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Georges Bensoussan, Un nom impérissable. Israël, le sionisme et la destruction des juifs d’Europe. Paris, Le Seuil, 20

 

     Georges Bensoussan, Un nom impérissable. Israël, le sionisme et la destruction des juifs d’Europe. Paris, Le Seuil,  2008

    La thèse de ce livre est claire : montrer que c’est au terme d’une évolution progressiv, sous la pression d’événements extérieurs particulièrement graves, que l’Etat d’Israël s’est graduellement approprié la Shoah, a repris cet héritage douloureux et s’est reconnu dans le prolongement même de l’histoire du judaïsme de la diaspora. Et notamment celui d’Europe qui a subi une saignée encore jamais vue.
    On connaît la thèse arabo-palestinienne que plus personne ne reprend tant elle est infondée : ce seraient les puissances européennes, culpabilisées par l’aspect effroyable de la Shoah qui auraient accordé un Etat aux Juifs, privant les pauvres Palestiniens de leur patrie, eux qui n’étaient pour rien dans le massacre des Juifs d’Europe. Une sorte de création artificielle de toutes pièces, sans aucun lien historique …
    L’auteur n’en parle pas et préfère axer son propos sur les réalités historiques vérifiables. Dans un long chapitre, nourri aux meilleures sources, il rappelle que depuis des siècles, les Juifs de la Diaspora ont maintenu en vie le lien avec la Terre promise. Bensoussan se limite au XIXe siècle mais il aurait pu remonter au XVIe siècle même, lorsque les kabbalistes de Safed, regroupés autour de la figure charismatique d’Isaac Louria (qui a d’ailleurs donné son nom à cette mystique tardive)… L’auteur a préféré se concentrer sur la XIXe siècle, montrant les vagues successives d’immigration, la diffusion de la langue hébraïque, l’établissement du dictionnaire hébraïque en plusieurs volumes d’Eliézer Benyehuda, le développement d’une littérature hébraïque moderne, la construction d’une vraie ville à Tel Aviv, le maillage du pays par des villages agricoles (kibboutz, mochav, etc), la multiplication des journaux et de quotidiens hébraïques, la fondation de l’Université Hébraïque de Jérusalem et des milliers d’autres faits de moindre importance attestant de la volonté indomptable des Juifs de revenir sur la terre ancestrale et de s’y établir durablement.
    L’auteur analyse avec objectivité les réactions du yishouv, c’est-à-dire de la population juive de Palestine, face aux menaces pesant sur la diaspora d’Europe, en butte aux lois raciales de Nuremberg et ensuite victime de la solution finale. L’objet du débat est le suivant : est-ce que le yishouv n’a pensé qu’à sauver sa peau, à assurer sa survie et a laissé la diaspora à son triste sort, c’est-à-dire promise à une mort certaine ? Ben Gourion et Moshé Shertock se sont défendus contre de telles accusations, mais les passages cités par l’auteur jettent quelque peu le trouble sur ce qui s’est passé. Et une partie de l’historiographie israélienne n’hésite pas à parler de culpabilité des autorités du yishouv qui auraient peut-être pu faire plus… Ben Gourion avait souvent exprimé les craintes sérieuses éprouvées par les Juifs de Palestine en voyant, après la chute de Tobrouk, l’avancée irrésistible de l’Afrika Korps de Rommel. Si cette division d’élite n’avait pas été stoppée à El Alamein, que serait-il advenu du rêve sioniste ? Cet épisode est particulièrement douloureux et l’on saura gré à l’auteur de l’avoir évoqué (je n’ose pas dire traité car c’est gigantesque) de manière équilibrée et pondérée. On trouve aussi des déclarations sur l’immigration jadis obstruée par la puissance mandataire britannique. Bensoussan cite un passage particulièrement tragique où unn Juif d’Europe se lamente sur son sort et reproche à son oncle de l’avoir abandonné et d’être parti en Palestine. C’est un point très douloureux et très controversé qui fait encore couler beaucoup d’encre et de larmes en Israël.
    Le livre parle aussi très largement du hiatus, du fossé, qui s’est creusé entre une jeunesse combattante juive, ayant grandi sur le sol ancestral, et une foule de pauvres juifs (ce mot lui-même ayant pris dans la bouche des jeunes combattants une connotation péjorative) qui se sont laissés massacrer sans résistance. On a alors favorisé l’exaltation des jeunes combattants des Ghetti (lohamé ha-Ghettaot), Ben Gourion allant jusqu’à dire que les combattants juifs auraient tué les soldats de la Wehrmacht jusqu’au dernier… Dans un autre ouvrage, j’ai lu que là où les officiers d’Etat-Major (Rabin en tête) traitaient les gouvernants civils (Lévy Ehkol notamment) de juifs, ces derniers répliquaient en qualifiant leurs jeunes militaires de Prussiens, ce qui n’était pas vraiment un compliment dans ce cas précis…
    Cette discrimination mentale était certes silencieuse mais elle a contribué à un refoulement qui dura des décennies. Après l’indépendance, s’est posée la question des relations diplomatiques avec la RFA et l’acceptation ou non des réparations allemandes (Wiedergutmachungen) ; mais poursuivons le déroulement de la thèse : c’est en 1967, lorsque pesa sur Israël la menace d’une extermination nouvelle (Ahmed Choukeiri, le patron des Palestiniens disant depuis Gaza qu’après la guerre il n’y aura plus de problème juif, puisque tous les juifs auront été massacrés…), que l’on reprit l’héritage de la Shoah comme quelque chose d’intrinsèquement israélien et non plus de juif de la galout (l’exil) dont on avait honte…  Ce sentiment assez légitime fut clairement exprimé vers la fin des années 90 par le général Ehoud Barak en visite à Auschwitz. Il déclara en substance ceci ; nous, membres des forces armées d’Israël arrivons en ce lieu cinquante ans plus tard (après les massacres), cinquante ans trop tard (sous entendu ; si nous avions été là, les choses se seraient passées autrement et nous aurions infligé aux Nazis une cuisante défaite…)…
    Mais c’est bien en 1967 que l’assimilation entre Nasser et les Nazis fut faite, permettant l’identification de tout un peuple avec non plus une partie de son héritage (la reconquête de la terre d’Israël) mais avec la totalité de l’histoire juive, celle-là même qui fut jalonnée de souffrances, d’humiliations et enfin d’extermination.  Entre temps, on avait érigé le mémorial Yad washem (qui a d’ailleurs donné son nom au livre même) ; et là l’auteur expose les divergences de vues entre le grand historien Dinour qui privilégiait l’approche historico-critique et une autre école, plus jeune qui optait au contraire pour une méthode plus natioanle, voire politique. On perçoit ci de l’historien Dubnov mais aussi, dans une certaine mesure, Grätz. Je pense que les derniers avaient raison car la Shoah ne doit pas être appréhendée sur un plan exclusivement critique. C’est un des éléments incontournables de l’essence même du juif ou du judaïsme contemporain.
C’est donc une œuvre de reconquête que Yad washem a mené avec succès dans le camp politique et idéologique israélien.  Récemment, lorsque la Chancelière Fédérale Angela Merkel s’est rendue en Israël, les consultations gouvernementales entre les deux délégations se sont déroulées dans l’enceinte de Yad washem : tout un symbole
    L’auteur s’interroge aussi sur l’instauration d’un jour de commémoration de la Shoah qui est devenu en Israël le Yom ha-Shoah we-ha-Gevoura, le jour de l’extermination et de la bravoure… Que l’on ait ou non exalté un héroïsme hypothétique ou trop tardif, on a bien fait d’associer la destruction à la renaissance, afin de tourner enfin le dos à ce deuil et à ces plaintes sempiternels que les religieux affectionnent tant. Les autorités politiques ont donc réussi une sorte de laïcisation ou de politisation (bienvenue) d’un douloureux passé qui appartient désormais à la nation tout entière et non plus à sa seule frange religieuse.
    Il n’en pas moins évident que la mémoire de la Shoah ne doit pas occulter celle du judaïsme et des valeurs juives tant culturelles que cultuelles. Si la Shoah a eu lieu, c’est parce qu’on en voulait aux Juifs en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’incarnation d’un message qui a apporté le monothéisme éthique et le messianisme à l’humanité civilisée. Il ne faut que le judaïsme multimillénaire soit occulté ou remplcé par la religion ou la théologie de la Shoah. Et ce n’est pas amoindrir le moins du monde la place qui revient à cet événement des plus dramatiques que de le dire.
    Cette mise au point nous permet de conclure sur un aspectt qui nous semble crucial pour le développement de l’histoire contemporaine, mais aussi dans la définition de l’essence du judaïsme. Quelle est la place de la Shoah dans la définition du juif contemporain ? Doit-on vivre dans un passé douloureux ou doit-on, au contraire, tout en maintenant le passé, opter résolument pour l’avenir, sans jamais, je le répète, jeter le passé par dessus bord ? On devine ma réponse.
    Je crois que cette alternative est correctement résumée par deux citations produites dans le livre de M. Bensoussan ; p 109 : je veux qu’on raconte à ma fille l’histoire de Cendrillon et pas celle d’Auschwitz. Déclare une héroïne de la romancière  Savyon Liebrecht , excédée du poids de la mémoire en Israël (et en Diaspora).. p 149 : au cours de l’hiver 1943, une rescapée du ghetto de Varsovie qui vient d’arriver en Palestine dans le cadre d’un échange entre ressortissants étrangers rend visite à Ben Gourion. Quand j’eus terminé de parler, j’ai vu des larmes dans ses yeux… Ben Gourion était là et pleurait… quelques semaines plus tard, Ben Gourion écrivait à sa secrétaire à Washington : je ne peux me dégager du cauchemar qui, à nouveau, nous a été transmis… tu te sens totalement impuissant sans même pouvoir devenir fou… et ce n’est pas facile, crois-moi.
    Tout est dit.
   


 

   
 

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