Au fil du Monde Paris, Plon, 2007, 396 pages, 20 €
Le dernier livre de Jean-Marie Colombani, véritable chant du cygne du dirigeant d’un grand journal qu’il fut contraint de quitter, laisse une impression insaisissable. Lecteur de ce journal depuis l’âge de seize ans, un an avant de passer mon bac, je puis témoigner que les articles qui y étaient publiés ont constitué mon indispensable lecture quotidienne (un peu dans le sens de Hegel qui parlait de la prière quotidienne du lecteur de journal), l’essentiel de mon ouverture sur le monde, jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire quarante ans après…
Je puis donc porter une appréciation mesurée sur l’évolution de ce grand journal, passé des mains d’un grand Monsieur comme Hubert Beuve-Méry à celles de Messieurs Edwy Plenel et Jean-Marie Colombani. L’évolution, au cours de toutes ces années, s’est apparentée à une rupture car le journal donnait souvent la parole à des journalistes d’investigation dont le style tranchait nettement par rapport à ce qu’avait été la grande tradition de cette publication. Mais tout n’était pas négatif. Toutefois, cette orientation n’était pas du goût de tous et petit à petit les recettes se firent plus rares, forçant les dirigeants à remédier à certaines outrances que la brièveté de ce billet m’empêche de détailler. Le divorce, prévisible intervenu entre les deux dirigeants du journal précipita le dénouement. Dès lors, il paraissait évident que le départ du premier serait inéluctablement suivi de celui du second… Il est vrai que certains ouvrages consacrés au fonctionnement interne de ce journal jetèrent une lumière crue qui n’arrangea pas ses affaires.
Il n’est pas question ici de critiquer qui que ce soit, ce serait déloyal et déplacé à la fois. D’autant que le journal fait peau neuve Mais je dois bien reconnaître que durant deux décennies au moins, j’ai eu du mal à retrouver le journal de ma jeunesse et de mes années d’étudiant, quand, avec mes amis et mes camarades qui étudiaient à la Fondation des Sciences Politiques, nous passions des week-ends entiers à commenter les éditoriaux de Sirius, de Pierre Viansson-Ponté (Ah ! qu’elles étaient belles ces envolées reprises dans un volume intitulé Des jours entre les jours…) et de quelques autres… Nous les lisions et les relisions, tant le style était ciselé et le vocabulaire bien choisi Et je dois bien reconnaître qu’en ce temps là, on gardait vraiment les articles du Monde.
Mais tout a changé, même Le Monde. Non qu’on ne reconnaisse point à ce journal et ses dirigeants (passés ou actuels) le droit d’évoluer eux aussi avec leur temps… Mais il faut savoir faire le départ entre le pouvoir et le contre-pouvoir, entre la critique et le parti pris, entre des positions critiques mais toujours sensées et des postulats idéologiques qui sont loin de faire l’unanimité des lecteurs… En somme, plus d’analyses objectives et sobres, et moins de partis pris et d’opinions personnelles.
Souhaitons donc par courtoisie à l’auteur de ce livre une large diffusion de son écrit et au Monde de repartir du bon pied sans jamais confondre les notions de pouvoir et de contre-pouvoir.
Le Monde et le livre de M. Colombani
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