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Il y a deux siècles, naissait à Zurich le célèbre théologien David Friedrich Strauss

 

 



        DAVID FRIEDRICH STRAUSS, «UN ENNEMI ALLEMAND DU CRHIST»

La Neue Zürcher Zeitung du 26 janvier 2008 a eu la bonne idée d’évoquer la grande figure du théologien protestant allemand du XIXe siècle, David Friedrich Strauss, né il y a tout juste deux siècles, le 27 janvier 2008. Le public francophone ne le sait peut-être pas, mais c’est ce théologien, bien sous tous rapports, qui révolutionna l’univers feutré de la théologie spéculative en publiant  entre 1835 et 1836 une sorte de biographie révolutionnaire de Jésus qui mit l’Europe entière en émoi. Le livre s’intitulait exactement : Das Leben Jesu, kritisch bearbeitet. (La vie de Jésus, un examen critique).
Le sous titre est un euphémisme puisque Strauss, qui avait étudié la théologie et la philosophie à Tubingen et à Berlin, ne laisse rien subsister de l’édifice patiemment construit par l’Eglise catholique au cours de son histoire pluriséculaire. Le livre fut un véritable best seller de l’époque et connut de multiples rééditions et traductions. En France, ce fut le libre penseur et célèbre lexicographe Emile Littré, membre de l’Académie Française, qui le traduisit. Cette démarche ne fut pas anodine puisque, dès 1862, le jeune Ernest Renan, chassé par l’Empereur Napoléon III de sa chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France, composa une belle Vie de Jésus qui n’aurait guère vu le jour sans l’apport du théologien protestant. La critique moderne et contemporaine a sévèrement jugé ce livre mais le style de Renan a résisté à tout : 60.000 exemplaires en moins de trois mois !
A l’époque, c’était Hegel qui dominait la scène philosophique allemande et c’est tout naturellement que le jeune Strauss quitta Tubingen pour se rendre dans la capitale prussienne. Par malheur, le grand maître de l’idéalisme allemand mourut quelques jours après son arrivée à Berlin. On oublie souvent de signaler que Hegel lui-même, dans son jeune âge, avait conçu le projet d’écrire une biographie de Jésus, ce qu’il ne fit jamais. C’est Strauss qui réalisa ce projet si controversé.
En février 1839, les autorités de la bonne ville de Zurich offrirent au jeune théologien protestant, devenu célèbre, une chaire de dogmatique dans l’université qu’elles venaient de fonder. Ce fut une véritable levée de boucliers : les pasteurs, les paysans, toutes les forces réactionnaires se liguèrent pour chasser le professeur sacrilège. Près de deux mille paysans, armés de faux et de fourches, marchèrent sur la ville, occupèrent la place de la cathédrale et s’en prirent aux forces de l’ordre qui réagirent violemment : 14 victimes du côté des manifestants et un conseiller municipal tué alors qu’il essayait de parlementer. Après une semaine de troubles, alors qu’il n’avait pas donné une seule heure d’enseignement, on dut mettre à la retraite le malchanceux professeur par lequel le scandale était arrivé…
Comme le remarque l’auteur de ce bel article, les contestations religieuses consécutives à la publication de cette Vie (iconoclaste) de Jésus masquaient un malaise social profond : d’un côté, se trouvaient les forces libérales, séduites par un modernisme naissant et désireuses de secouer le joug d’une église omniprésente dans la vie sociale, de l’autre , une paysannerie, un monde rural, sur la défensive, sentant que l’évolution lui échappait et que son avenir était hautement incertain. Si, en plus de cela, on lui subtilisait l’image traditionnelle de Jésus, que lui resterait-il ?
Même les théologiens les plus progressistes de l’époque, ne cachaient pas leur étonnement : Strauss avait appliqué aux récits évangéliques les normes de la critique hegélienne, mettant à nu le fossé profond séparant le Jésus de l’Histoire de celui de la légende ecclésiastique. Strauss n’hésita pas à écrire que les récits évangéliques sur Jésus étaient un «amas de mythes» auxquels la conscience historique était réfractaire… Il expliquait ensuite que l’on avait dû élever au rang d’un genre ce qui n’était pas acceptable au plan d’un simple individu car, dans ce dernier cas, les contradictions étaient trop criantes alors que dans le premier , elles se neutralisaient réciproquement et pouvaient revendiquer un peu de vraisemblance.
Strauss ne laissa pas passer l’affront des cléricaux sans réagir puisqu’il publia un violent pamphlet dès 1841 intitulé la dogmatique chrétienne dans son évolution historique et son combat contre la science moderne… Un tel titre laisse bien augurer du contenu de l’ouvrage !
On ne mesure pas assez l’influence décisive du livre de Strauss sur le jeune Renan, même si ce dernier finit par s’autonomiser. Par exemple l’idée renanienne que l’avenir du christianisme consistait en un humanisme vient du théologien allemand (Fortbildung des Christentums zum reinen Humanismus… Or, une telle spéculation eut des conséquences incalculables sur la pensée européenne du XIXe siècle. Une réserve cependant : comme l’explique le collègue professeur, auteur de l’article, quand on entame une entreprise de désacralisation on en suscite obligatoirement une de… re-sacralisation. C’est tout le secret de la pensée dialectique.

 

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