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Peut-on causer religion à la tête d'un Etat laïque

 

                     LA FRANCE EST TOUJOURS UN ETAT LÂIC…

 

paru dans la Tribune de Genève, du 24 janvier 2008 page  de l’invité. Sous le titre :Peut-on causer  religion à la t^te d’un Etat laïque ?


Avec le discours du Latran, celui du 14 janvier devant le Conseil consultatif saoudien (majlis a-choura) de Ryad, et la présentation des vœux aux autorités religieuses à l’Elysée, le président Nicolas Sarkozy offre un triptyque permettant de cerner sa pensée profonde en matière religieuse.

Au Latran, le président français a, certes, tenu un discours qui tranche par rapport à ce qu’on avait l’habitude d’entendre dans l’Hexagone de la bouche d’un président de la République. Mais il n y a pas, à proprement parler, d’écart ni de mutation sensible dans la position officielle de la France lorsque M. Sarkozy semble accorder un léger avantage (mais aps une préference) à ceux qui nourrissent l’espoir en eux et autour d’eux, grâce à leurs croyances.Tout discours présidentiel a aussi, nécessairement, une dimension politique :Nicolas Sarkozy a dû se souvenir que le Vatican avait, sans succès, demandé la prise en compte des racines chrétiennes de l’Europe, ce que les Allemands avaient relayé, sans être entendus, en proposant de mentionner dans le traité constitutionnel l’expression geistig-religiös (spirituelles et religieuses). On peut donc dire, qu’en présence du chef spirituel de plus d’un milliard de catholiques, le Président français ne pouvait guère faire moins,.
Avec le discours de Ryad, nous avons affaire à une pièce plus riche, plus nuancée et de ce fait, plus complexe. Mais pas une fois, le président ne s’est écarté des principes  fondamentaux de la laïcité française, même s’il n’a cessé de répéter que celle-ci commande une séparation des Eglises et de l’Etat, mais non point la destruction ni la négation des croyances des citoyens. On est donc surpris par la virulence de quelques commentaires que rien dans le discourt ne vient justifier.
Rédigé dans un style élégant et sobre, qui reflète bien la personnalité du président français, le discours commence par rendre hommage  à la centralité du royaume wahabite dans le monde musulman. Aussitôt après, il rappelle le triple héritage du monothéisme abrahamique. En somme, une fraternité placée sous la figure tutélaire du patriarche biblique.
Juifs, chrétiens et musulmans (suivant l’ordre chronologique) vénèrent le même Dieu unique, est-ce étonnant qu’ils lui adressent des cultes différents ? Après tout, le Coran lui-même fait clairement référence aux gens du Livre (ahl al-kitab) . Ce Dieu libère l’homme et ne l’asservit point, il le protège de l’orgueil et de la folie qui le menacent, Ces dérives sont seules responsables de la dénaturation du message fraternel des religions. Le mal vient de la volonté morbide de certains de politiser la religion et de l’instrumentaliser : c’est son utilisation à des fins politiques régressives au service d’une nouvelle barbarie.
Le Chef de l’Etat se défend d’exprimer la moindre préférence, il lui incombe simplement de veiller au respect des croyances de tous.  Il concède, cependant, qu’il a la charge de préserver un héritage (judéo-chrétien, probablement) car, dit-il justement, les croyances religieuses ont toujours été à l’origine des cultures, des civilisations et des doctrines politiques. Cela s’appelle la genèse religieuse du politique et du culturel.  L’humanité croyante et pensante a fini par rationaliser la foi de ses ancêtres. Même un juriste comme Carl Schmitt avait reconnu dans sa Théologie politique qu’au fondement de doctrines politiques gisaient des principes théologiques sécularisés.
C’est ainsi qu’apparut une doctrine éthique universelle, qu’aucun être humain ne saurait récuser. On aborde enfin l’aspect éthique de l’héritage religieux. Les métropoles célèbres telles que Athènes, Rome, Jérusalem, et bien avant elles, Alexandrie, ont donné naissance ou réuni des hommes de croyances et de cultures différentes. Le président a eu le bon goût d’y ajouter la cité de Cordoue puisqu’en Europe, les Lumières de Cordoue, Averroès et Maimonide, ont largement préparé la voie aux Lumières de Berlin.
Et pour finir, le président aborde le problème des identités, précisant qu’une blessure identitaire peut dégénérer en une quête fanatisée du même ordre. C’est peut-être ici le point le plus délicat du discours : la compatibilité ou l’incompatibilité entre l’identité islamique et la culture européenne. Un oubli, peut-être volontaire, l’absence du rappel de la laïcité dans le berceau du wahabisme. La diplomatie doit garder ses droits. Mais les principes sont saufs.
                           

 

 

                                Maurice-Ruben HAYOUN
                            Professeur à l’Uni. de Genève

 

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