LE LIVRE ET SON AVENIR…
Voilà bien longtemps que je voulais parler du livre et de son avenir, de son rôle et des menaces qui pèsent sur lui, au point de laisser présager sa disparition. Il est normal d’évoquer cette question dans une excroissance d’internet, sur un blog, puisque seule la vente en ligne, sur Amazon par exemple, progresse alors que les canaux traditionnels stagnent ou carrément refluent.
J’aurais dû parler de ce sujet entre le 15 et le 19 octobre, dates de la tenue de la Foire du livre de Francfort sur le Main cette grand’ messe où tant de choses, cruciales pour l’édition mondiale, se décident.
En introduction, rapidement, quelques réflexions sur le rôle du livre, et donc de l’écriture, comme support de la culture, de l’enseignement et de l’éducation. L’acquisition de l’art d’écrire, l’installation d’ateliers d’écriture depuis l’Antiquité, à la cour du roi, ou dans les temples des religions, toutes ces choses ont radicalement modifié la mentalité de l’humanité. Les latins nous ont appris que les paroles s’envolent et que les écrits restent. Renan allait jusqu’à affirmer (par hyperbole) que le succès de la Bible, moitié de l’effort intellectuel de l’humanité, s’explique en grande partie par le vecteur choisi pour se diffuser et perdurer, l’écriture. Comment savons nous, par exemple, des petites choses sur l’origine de l’Egypte ancienne, de la vieille Mésopotamie, l’Assyrie et les Hébreux ? Grâce à des signes gravés sur des briques et des pierres (glyptique). Grâce à de telles briques, nous apprenons en visitant le Musée du Louvre que la parabole de Job, livre mettant en scène les théories de la justice et de la providence divine, intriguait déjà au IIIe millénaire avent l’ère chrétienne l’élite de l’humanité pensante et croyante : à cet effet, les différences entre la figure égyptienne de Job et celle, sumérienne, du même personnage, sont frappante : les premiers, croyant en une vie dans l’au-delà déconseillent le suicide lorsque la douleur est trop forte, les seconds ne l’excluant pas pour des raisons inverses…
L’écriture a donc préservé le patrimoine à la fois intellectuel et spirituel de l’humanité. Qui n’a admiré les superbes manuscrits enluminés que les scribes des trois grandes religions monothéistes ont passé leur existence terrestre à préparer pour les générations futures, attendant secrètement que l’imprimerie prenne le relais et change du tout au tout les perspectives d’avenir de l’humanité.
Aujourd’hui, nous sommes allés si loin que l’écriture et la lecture (qui se porte mal) sont devenus le bien commun de l’humanité civilisée et libre. Nous en sommes même à l’ère de l’E-book : quelle ne fut ma surprise de voir que ma propre thèse de doctorat d’Etat, soutenue en Sorbonne il y a plus de 22 ans sur un commentateur médiéval d’Averroès, était lisible sur l’internet, sans bouger de chez soi, sans aller dans une bibliothèque… Et là, il faut bien le dire, la révolution numérique a changé la donne.
Mais alors, pourquoi les gens lisent-ils si peu ? Pourquoi le secteur de l’édition est-il en crise depuis si longtemps, au point que certains grands patrons me disent qu’il est même sinistré ? La question est vaste et ne saurait comporter un seul élément de réponse. Mais selon moi, on publie tout et n’importe quoi et ces publications masquent mal un vide culturel. Quand on lit de la mauvaise littérature, je veux dire de mauvaise qualité, on ne peut pas dire qu’on lit. Et puis combien de gens prennent en main un livre de qualité au lieu de regarder un match de foot-ball ou une série américaine à la télévision ? Ce n’est pas un reproche.
Mais il faut savoir que plus et mieux on lit, et mieux on se sent. Le célèbre Edmond Rostand écrivait jadis au poète Henry Pichette, après avoir savouré les Apoèmes de ce dernier : quand je vous lis, je respire mieux.
Lisez donc le discours de Madame Jacqueline Worms de Romilly (paru dans Le Figaro d’hier), prononcé à l’occasion à l’occasion de la rentrée solennelle des 5 académies ; il porte justement sur ces questions si passionnantes de l’ éducation et de l’enseignement. La célèbre helléniste, membre de l’Académie Française, y souligne l’intérêt majeur à connaître l’effort intellectuel du passé : en d’autres termes, il n’existe pas de langues mortes, car ces langues continuent de nourrir les langues parlées aujourd’hui, un peu comme des nappes souterraines irrigent, à notre insu, la culture de l’humanité de demain.