Abraham dans les Evangiles et la tradition chrétienne
Dans le christianisme, la problématique d’Abraham ne se présente pas du tout comme dans le judaïsme ou dans l’islam, où la patriarche Abraham représente une origine insubstituable, un fondement, un commencement absolu… C’est-à-dire le père de tous les convertis au monothéisme. Dans le christianisme, l’arrivée de Jésus, considéré comme le fils de Dieu, se substitue à tout ce qui précédait. Comme nous le verrons infra, même la fameuse ligature d’Isaac est une lointaine annonce du vrai sacrifice de Jésus, prévu selon les Evangiles avant la fondation du monde… Aux premiers chrétiens (encore) juifs qui voyaient en Jésus l’alpha et l’oméga de leur religion, les juifs, restés fidèles à la synagogue, se réclamaient d’Abraham en lequel ils voyaient leur premier ancêtre. Pour les musulmans, comme on va le voir, Abraham devient le modèle auquel Mahomet va s’identifier au point de devenir le prophète de la religion abrahamique.
Pour le christianisme primitif se posait la question de la légitimation, en particulier face au judaïsme rabbinique qui commençait à se constituer. De qui se réclamer, se prévaloir ? En qui se découvrir un lointain ancêtre qui aurait, d’une manière ou d’une autre, annoncé sa venue ? Les écueils étaient nombreux : comment faire croire que Dieu a décidé d’envoyer son propre fils se faire crucifier pour racheter les fautes du monde et le ressusciter ensuite afin qu’il rallie toute à l’humanité à la foi en ce même Dieu? Et singulièrement, un Dieu bon et juste qui décide d’envoyer son «fils unique» (comme Abraham pour Isaac) mourir pour des fautes qu’il n’a jamais commises ? Qui pouvait-on bien se choisir comme exemple irréprochable et symbole d’une foi aveugle ? Le choix n’était pas difficile : Abraham était tout désigné, il n’y avait que le patriarche pour satisfaire pleinement à de tels critères. Dès les premières lignes de son épîtres aux Romains, Paul tente de faire d’Abraham l’archétype du christianisme, l’ancêtre qui annonçait la venue de Jésus et sa reconnaissance en tant que Christ par les juifs de l’époque… Le raisonnement de l’apôtre est simple : de même qu’Abraham a marqué les premiers pas de l’humanité vers le monothéisme, Jésus représente à son tour un nouveau départ, une réorientation des croyants vers la religion du Christ.
Abraham dans les Evangiles et la tradition chrétienne
Dans le christianisme, la problématique d’Abraham ne se présente pas du tout comme dans le judaïsme ou dans l’islam, où la patriarche Abraham représente une origine insubstituable, un fondement, un commencement absolu… C’est-à-dire le père de tous les convertis au monothéisme. Dans le christianisme, l’arrivée de Jésus, considéré comme le fils de Dieu, se substitue à tout ce qui précédait. Comme nous le verrons infra, même la fameuse ligature d’Isaac est une lointaine annonce du vrai sacrifice de Jésus, prévu selon les Evangiles avant la fondation du monde… Aux premiers chrétiens (encore) juifs qui voyaient en Jésus l’alpha et l’oméga de leur religion, les juifs, restés fidèles à la synagogue, se réclamaient d’Abraham en lequel ils voyaient leur premier ancêtre. Pour les musulmans, comme on va le voir, Abraham devient le modèle auquel Mahomet va s’identifier au point de devenir le prophète de la religion abrahamique.
Pour le christianisme primitif se posait la question de la légitimation, en particulier face au judaïsme rabbinique qui commençait à se constituer. De qui se réclamer, se prévaloir ? En qui se découvrir un lointain ancêtre qui aurait, d’une manière ou d’une autre, annoncé sa venue ? Les écueils étaient nombreux : comment faire croire que Dieu a décidé d’envoyer son propre fils se faire crucifier pour racheter les fautes du monde et le ressusciter ensuite afin qu’il rallie toute à l’humanité à la foi en ce même Dieu? Et singulièrement, un Dieu bon et juste qui décide d’envoyer son «fils unique» (comme Abraham pour Isaac) mourir pour des fautes qu’il n’a jamais commises ? Qui pouvait-on bien se choisir comme exemple irréprochable et symbole d’une foi aveugle ? Le choix n’était pas difficile : Abraham était tout désigné, il n’y avait que le patriarche pour satisfaire pleinement à de tels critères. Dès les premières lignes de son épîtres aux Romains, Paul tente de faire d’Abraham l’archétype du christianisme, l’ancêtre qui annonçait la venue de Jésus et sa reconnaissance en tant que Christ par les juifs de l’époque… Le raisonnement de l’apôtre est simple : de même qu’Abraham a marqué les premiers pas de l’humanité vers le monothéisme, Jésus représente à son tour un nouveau départ, une réorientation des croyants vers la religion du Christ.
Pour bien saisir les visées pauliniennes, il faut se souvenir de sa mentalité profondément antinomiste, c’est-à-dire hostile à l’observance stricte de la législation mosaïque. Puisqu’Abraham, par sa seule foi en Dieu, a été «justifié» par celui-ci sans se soumettre aux préceptes divins (lesquels n’avaient pas encore été promulgués), on pouvait fort bien s’inspirer d’un si haut exemple. Cette foi consiste en la confiance placée en Dieu (Romains 4 ; 3), en l’espoir que ses promesses se réaliseront, en sa capacité à ressusciter les morts, à rendre fécond ce qui était préalablement stérile (d’où l’exemple d’Abraham).
Les Evangiles citent Abraham soixante-douze fois, juste après Moïse en personne. Et un apôtre comme Paul, pourtant ancien disciple des Pharisiens, ne veut plus entendre parler des rites juifs puisque son modèle (Abraham) ne s’en est pas inspiré tout en devenant l’ami du Seigneur. Alors que le talmud compare Moïse à Abraham et leur découvre, en dépit de la différence de leurs missions respectives, une profonde convergence, les apôtres insistent, au contraire, sur leur absence de continuité, voire sur leur rupture: l’un représenterait une identité spirituelle, librement choisie, sans aucun lien ethnique ni légal, tandis que l’autre représenterait une tradition fermée, coercitive et exclusiviste, entièrement déterminée par l’obéissance à la loi… En somme, Jésus ne fait que mettre ses pas dans ceux d’Abraham qui n’était guère tenu par les dispositions juridico-légales de Moïse. Matthieu (3 ;9) va dans le même sens : N’allez pas dire en vous-mêmes : nous avons Abraham pour père car je vous dis que Dieu peut de ces pierres susciter des enfants à Abraham… Paul lui fait écho dans le passage suivant (Galates 3 ; 6-7), rédigé dans un style polémique entre les années 52 et 57; l’apôtre réagissait à la prédication d’autres missionnaires qui exigeaient des pagano-chrétiens une observance scrupuleuse des rites juifs : selon qu’Abraham s’est fié à Dieu et ce lui fut compté pour justice ; sachez donc qu les gens de la foi, ce sont eux les fils d’Abraham… de sorte que les gens de la foi sont bénis avec Abraham fidèle. Les fils d’Abraham ne sont donc pas les fils de la circoncision. Il faudrait revenir au temps où la loi positive n’était pas encore entrée en vigueur. Le patriarche avait écouté la parole divine avant même la promulgation de la Tora, cette même parole doit être écoutée après l’abrogation de la Tora (Romains 10 ; 17). Cela suffit pour que ceux qui reçoivent l’Evangile soient tout aussi justifiés qu’Abraham le fut, même en dehors de la loi (Romains 3 ; 21)
Qu’on les admette ou, au contraire, les rejette, ces paroles de Paul, écrites ou prêchées à cette époque là, étaient absolument révolutionnaires : l’apôtre proposait, ni plus ni moins, d’élargir le sein d’Abraham, de faire de païens qui ne s’étaient même pas convertis au judaïsme, des fils du patriarche. Toute une lignée spirituelle abrahamique devait prendre naissance par cette prédication révolutionnaire. Formé, à l’origine, à la dialectique des Sages et à leur exégèse de l’Ecriture, Paul n’omet pas de rappeler que Dieu lui-même (Gen. 12 ;3) avait prédit que toutes les familles de la terre seraient bénis par (ou dans) Abraham…
Paul considérait donc que la foi était nettement supérieure à la Tora et qu’elle devenait, par voie de conséquence, le principe de la pure relation à Dieu, hors de toute observance légale ou rituelle. Paul s’appuie ici sur Genèse 15 ; 5-6. En Romains (4. 13) l’apôtre revient sur le même thème : Il n’a pas été promis à Abraham et à sa semence d’être héritiers du monde par la loi, mais bien par la justice de la foi…
L’apôtre a, certes, le droit d’orienter l’héritage d’Abraham dans la direction qui lui convient mais il faut aussi tenir compte d’autres références scripturaires qui ne conduisent pas vers cet antinomisme paulien signalé supra. Il suffit de relire les verset de Gen. 18 ; 19 (déjà cité dans les précédents chapitres) et de Gen. 26 ;5 que nous produisons ici : parce qu’Abraham a écouté ma voix et qu’il a observé mon observance, mes ordres, mes préceptes et mes lois. Or, Paul sépare constamment l’audition de la voix de la stricte observance des préceptes… Pourtant, nous trouvons maints témoignages dans le deuxième livre des Jubilés où Abraham donne à ses fils des instructions purement légales : l’observance du sabbat (Jubilés II 27 ;33), le sang (Jubilés VI 11 ;14), les lois dites du talion (Jubilés IV ; 32), la seconde dîme (Ibid. 32 ; 9-15), la fête des Tabernacles. Apparemment, Paul tourne le dos à toutes ces recommandations puisque seule l’intéresse la confiance : Abraham s’et fié à Dieu…(Ibid. 16 ; 29-31) Il souligne même que la foi du patriarche a précédé sa circoncision (Romains 4 ; 10). Mais peut-être avons nous ici la réponse de Jean selon lequel le premier acte de celui qui accepte l’alliance est l’engagement de respecter les lois de Moïse (Romains 4 ; 10-11) : Il n’était pas circoncis mais prépucé et il reçut le signe de la circoncision, comme sceau de la justice de sa foi de prépucé ; aussi est-il devenu le père de tous les prépucés qui ont foi, en sorte que justice leur sera comptée. Aux yeux de Paul, point d’alliance que la foi ne précède, c’est la condition sine qua non. Contrairement à Matthieu, nul besoin de se convertir à la Tora pour être justifié.
Mais Jean plaçait lui aussi la foi en Jésus avant toute autre chose : Abraham, votre père, a exulté dans l’espoir de voir mon jour ; il l’a vu et il a été transporté de joie. » Sur quoi les juifs lui dirent : « Tu n’as pas même cinquante ans et tu as vu Abraham !» Jésus leur répondit : «en vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis.( Jean 8 ; 56-58).
Si l’observance des lois de la Tora n’a plus aucune valeur, quel est alors l’avantage du juif et l’utilité de la circoncision (Romains 3 ; 1) ? On connaît la célèbre répartie de Jacques (2 ; 21s) : la foi sans œuvres est oiseuse. Notre père Abraham n’a-t-il pas été justifié par les œuvres quand il a offert sur l’autel son fils Isaac ? Tu vois que la foi travaillait là aux œuvres, la foi se parfaisait par les œuvres… Et Jacques d’interpréter le fameux verset du chapitre 15 du livre de la Genèse dans un sens opposé à Paul.
Les apôtres Matthieu (1; 1, 2 ; 17) et Luc (3 ;34) soulignent la descendance abrahamique de Jésus. Et les trois Evangiles synoptiques mentionnent en commun Abraham et les deux autres patriarches. A ce titre, Abraham devenait une personnage incontournable de la religion chrétienne. En outre, en tant que dépositaire de toutes les promesses divines, il confère, à ce titre, une bénédiction universelle à tous les peuples de la terre. Partant, les chrétiens qui croient en Jésus sont des descendants d’Abraham puisqu’ils reprennent sa foi. Dans son épître aux Hébreux (11 ;8) Paul soulignait que le patriarche avait déjà apporté la preuve de sa foi, bien avant la ligature de son fils : guidé par la seule parole divine, il s’en alla de chez lui, sans même savoir où il allait…
Mais l’acte qui a laissé l’empreinte la plus profonde dans les écrits évangéliques est assurément la ligature d’Isaac. Tant Jacques que Jean (1 ; 29) veulent y voir la préfiguration du sacrifice de Jésus, véritable agneau de Dieu, et qui fut effectivement suivi d’une mise à mort. On remarquera, cependant, que le terme agneau a remplacé le terme hébraïque pour le mouton ( ha-séh). Mais le verset de Pierre (Ière de…; 19-30) souligne que Jésus était l’agneau sans défaut et sans tache, connu dès avant la fondation de l’univers…
Les Pères de l’Eglise soumirent Abraham à leur exégèse typologique ; ils mirent en avant la décision d’Abraham de tout quitter pour suivre Dieu, tout comme les Apôtres ont tout laissé pour suivre Jésus. Quant à la ligature d’Isaac, elle est présentée, ainsi qu’on l’a vu, comme une préfiguration du sacrifice, réel celui là, de Jésus. Le sein d’Abraham Luc 16 ; 22. Pour Luther, Abraham est le parangon de la foi absolue, aveugle.