Religion et religiosité
Difficile d’ignorer ici en Israël l’impact de la religion sur la vie de tous les jours, tant les règles religieuses sont inscrites au plus profond de l’âme des gens. De retour du Mochav où nous avons séjourné quelque temps, je me suis rendu a Netanya où, pour reprendre l expression célèbre du roi David concernant Jérusalem, les maisons se touchent ; ici, ce sont les synagogues qui se touchent : trois dans une même petite rue !
Une famille, plutôt importante et aux ramifications très nombreuses, arrive à l’office religieux du soir et donne, l’occasion des sheloshim (un mois après le décès d’un proche) uns sorte de dîner ou de repas communiel où tous doivent prendre part. La famille doit servir les convives qui sont les orants. On me remarque et lo voit que je ne me suis pas servi car je discute avec l’administrateur de la synagogue afin, justement, d’organiser la cérémonie identique pour ma belle mère le mardi suivant, à savoir deux jours plus tard. L’un des endeuillés e rapproche, une assiette à la main. Je me lève pour le remercier, lui présenter mes condoléances et refuser poliment les aliments qu’il me présente. Mais il fait comprendre que derrière cette action, il y a le devoir religieux de nourrir tous les gens, les pauvres comme riches afin, nous enseigne le Talmud, que le peuple d’Israël reste uni dans les peines comme dans les réjouissances. Un passage talmudique va même jusqu’à reprocher au patriarche Abraham d’avoir donne une magnifique festin à l’occasion du sevrage d’Isaac et d’avoir omis d’y convier quelques indigents d’Israël. En dépit de cette invraisemblance, Abraham étant réputé pour avoir tenu table ouverte à tous, quelle que fût leur origine ethnique ou religieuse : comment donc le patriarche aurait-il pu oublier les pauvres ?
Mais j’entends parler de la religion et de la religiosité. Si la foi d’Israël n’était pas chevillée au corps des gens, et surtout des gens simples, l’idéal sioniste n’aurait jamais pu prospérer. Les grands leaders sionistes laïques, y compris Ben Gourion, l’ont intelligemment assimilé et ont joué là-dessus. Mes vieilles tantes survivantes, résidant dans ce pays, puis un peu plus d’un demi siècle, m’ont relaté qu’à leur arrivée, elles et leurs conjoints devaient parfois couvrir un peu plus de trois ou cinq kilomètres, pour acheter du pain et du lait afin de nourrir leurs enfants. Dans le Néguév, il n’ y avait rien mais ce qui s’appelle rien. Et pourtant, la Bible parle avec entêtement d’un pays où coulent le lait et le miel (éréts zavat halav u-devash : une terre ruisselant de lait et de miel). Face à cette promesse, deux attitude opposées étaient envisageables : celle se contentant de voir le lail et le miel couler d’eux-mêmes, ce qui n’arrive jamais nulle part, et celle, plus réaliste et donc conforme à la réalité et à la nature humaine : retrousser ses manches, se lever avant le jour chaque matin que D- fait, asséchant les marais, gagnant des terres de cultures sur le désert et espérer qu’au terme de sous ces efforts un peu de lait et très peu de miel finiront par couler…
C’est pour cette raison que je me suis toujours étonné de lire qu’Israël était une théocratie. Ce qui n’est vraiment pas le cas, c’est un pays qui tente de gérer intelligemment son héritage religieux dans des conditions extrêmement difficiles.
En fait, la totalité du problème avec un P majuscule est de voir, sans passion, sans œillères, sans préjugés ni visées apologétiques, comment les Juifs sont devenus des Israéliens. Cette continuité me paraît parfaitement légitime, mais je reconnais qu’elle pose problème. Lequel n’est guère insurmontable. Même si hier soir, au téléphone, avec une correspondante israélienne, j’ai encore appris un nouveau proverbe dont je ne soupçonnais guère l’existence. Me plaignant avec mesure de l’insatiable avidité de quelques uns et de l’incompréhensible dureté de quelques autres, ma charmante interlocutrice m’interrompit pour me dire en hébreu que dans ce pays il était impossible de vivre et même impossible de mourir. J’ai passé une partie de la nuit à réfléchir à cette formule qui me parait quelque peu excessive. Au lever, devant ce magnifique lever du soleil, j’ai réalisé que des millions d’hommes et de femmes pouvaient fort bien vivre ici. Et que tous ceux qui y sont sont heureux d’y être