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Hommage à un homme de conviction, Philippe SEGUIN

Hommage à un homme de conviction, Philippe SEGUI

Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, la vie de Philippe Séguin s’est figée en destin. L’aventure humaine finit toujours mal, en quelque sorte, puisque au bout du voyage, il y a la disparition. Même si, certains jugent qu’ils vont à la rencontre de la lumière. C’est possible.

J’ai été frappé par le destin humain et politique de cet homme qui est, au fond, toujours demeuré secret. Pour un homme politique, je dirai même qu’il est resté vertueux, probablement en raison de son attachement viscéral aux valeurs incarnées par le Général de Gaulle, lui, le petit Philippe, natif de Tunisie, pupille de la nation et orphelin à un très jeune âge. Mon ami Pascal Décaillet rappelait dans la matinale de Radio-cité à Genève que le petit garçon se vit remettre la médaille militaire en souvenir de son père, mort au champ d’honneur. Quel lourd destin à porter par des épaules si frêles… Il est vrai que l’enfant, devenu un solide adulte, s’est nettement rattrapé par la suite.

Derrière des dehors bourrus, colériques et intraitables, cet homme était, comme on dit, un grand tendre. Haut fonctionnaire, ayant intégré la Cour des comptes dont Jacques Chirac le fera, des décennies après, Premier Président, Philippe Séguin cherchera un père, sa vie durant. Son engagement politique avait quelque chose de religieux. Il se voulait avant tout un gaulliste social et sut faire école puisque le Premier Ministre, M. François Fillon, s’est développé dans son sillage. Et lui doit sa fibre sociale. Mais ce n’est pas le seul.

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Comment prospérer dans un milieu politique sans pitié et où seule compte la victoire sur l’adversaire ? Philippe Séguin l’a appris à ses dépens. C’est là l’aspect qui me touche le plus dans sa vie. Tour à tour, député, ministre, Président de l’Assemblée Nationale, Chef d’un grand parti majoritaire, et enfin Premier Président d’un grand corps de l’Etat, il aura été un grand serviteur, sans jamais accéder au tout premier rang pour lequel il avait pourtant les capacités.

Ce furent soit les circonstances, soit les rivalités inhérentes à la nature humaine qui l’en empêchèrent. C’est le drame de tout destin inachevé. Il lui a manqué ce je ne sais quoi qui sépare le succès du malheur, la médiocrité de l’action d’éclat. Et pourtant, cet homme était à des années lumière de la médiocrité.

Le poste de Premier Ministre de la France était à sa portée mais Jacques Chirac lui préféra son rival de toujours Alain Juppé, remarquable mécanique intellectuelle dont la capacité de travail et la rigueur d’analyse rejoignaient celles de son concurrent direct. Et lorsque le président de la République se décida enfin à confier à Philippe Séguin les responsabilités auxquelles celui-ci aspirait ardemment, les élections furent remportées par la gauche… Une nouvelle fois, le succès n’était pas au rendez vous.

Comme tout homme de cœur, il n’en laissa rien paraître et n ‘étala jamais son amertume au grand jour. Comme c’était un être entier, un méditerranéen pur sucre, il est sûr que le voile de la mélancolie a plané sur lui au point de ternir un peu son regard… Comment gérer intérieurement tous ces coups du destin ? Des difficultés au sein de la famille, une famille monoparentale, un destin politique mitigé, un parcours jamais vraiment abouti, dans un vivier politique toujours plus cruel et dépourvu de toutes règles.

Je me souviens de deux choses chez cet homme, une rencontre privée et une intervention publique, à la télévision où il fit forte impression.

La première eut lieu lors d’un déjeuner au siège d’une association parisienne ; j’eus le privilège de lui faire les honneurs de l’édifice. Je me souviens encore de son caractère rugueux et cassant. J’étais impressionné mais durant le déjeuner, l’homme avait entièrement changé. Bon vivant, aimant rire et plaisanter, j’eux l’impression qu’en lui se trouvaient au moins deux personnalités. Il est vrai que lorsque je m’entretins, plus tard, avec certains de ses anciens collaborateurs, ces derniers me firent comprendre qu’ils les épuisaient au travail. La plupart firent d’ailleurs long feu.

Le deuxième événement se déroula, à la télévision, en présence du président Mitterrand au sujet du traité de Masstricht. Ph. Séguin rejetait des pans entiers de ce traité, mais comme il savait Fr. Mitterrand gravement malade, il affirma ses convictions avec modération, multiplia les marques de respect à l’égard du vieil homme et retint ses coups. Il faut savoir quelle était l’ambiance politique de l’époque : on reprocha à Séguin d’avoir épargné un président affaibli auquel certains souhaitaient porter l’estocade… Séguin tint bon, comme il tint bon lorsqu’il s’était agi de rejeter toute alliance, sous quelque forme que ce fût, avec l’extrême droite.

Quel exemple de droiture lorsque l’on sait ce que sont les mœurs politiques habituelles. Mais voilà, Philippe Séguin n’était pas un homme politique ordinaire. Il avait une éthique et savait s’en souvenir, le moment venu. Et quand il se retira de la vie politique active, certains se sont réjouis de cette nouvelle situation.

Cet homme qui nous quitte n’a pas eu, comme tant d’autres dans tous les domaines, les fonctions ni la reconnaissance qu’il méritait. Car notre humanité est incurablement dupe, envieuse et égoïste. Que faire ?

Reposez en paix, cher Philippe Séguin, ceux qui vous aiment ne vous oublieront pas. Et comme l’écrivait Ernest Renan, ressusciter, c’est continuer de vivre dans le cœur de ceux qui vous ont aimé…

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