Nicolas Sarkozy ou comment gouverner les Français ?
Dans nos sociétés modernes, tout se tient… A elle seule, cette phrase pourrait résumer l’approche politique et l’état d’esprit du président Nicolas Sarkozy. Elle montre aussi quelle est sa vue d’ensemble de la France, un pays qui a toujours remis à plus tard un grand nombre de réformes dont il avait pourtant le plus grand besoin. C’est ce point précis qui a constitué la pierre de touche, le principe architectonique du débat d’hier : Nicolas Sarkozy lance-t-il trop de réformes ? Ne donne-t-il pas l’impression de se saisir de trop de problèmes à la fois? Ne devrait-il pas se cantonner à une seule grande réforme de fond, à l’instar du président Obama qui a jeté toutes ses forces dans la bataille d’une assurance maladie pour tous ? Tout en défendant sa méthode, le président n’a pas balayé ces interrogations d’un revers de main ; au contraire, il a finement laissé entendre qu’il disposait d’un peu plus de sens politique que son homologue américain lequel n’avait pas prévu que son unique réforme ferait face à des difficultés aussi sérieuses… S’il en avait entrepris d’autres en même temps, il donnerait aujourd’hui l’impression d’avancer au lieu de se trouver dans une impasse.
Grave sans être solennel solennel, le président est apparu calme, maître de lui-même, délaissant cet engouement presque jubilatoire qu’on lui a connu en d’autres occasions. Intervenant avec une certaine circonspection, notamment au cours des questions posées lors du journal télévisé de vingt heures, il na pas tenté d’exagérer sa proximité aux Français. La nature même de ses fonctions lui impose des servitudes auxquelles il doit se plier : conscient des difficultés quotidiennes de ses compatriotes et ne ménageant pas sa peine afin de les aider, il ne vit pas la même vie qu’eux : En somme, un Français presque comme les autres…
Un second principe, après la pluralité des réformes menées de front, est apparu avec force lors de ce long face à face avec les Français : le refus de l’injustice, le président l’a même maintes fois répété : il ne supporte pas l’iniquité sociale. Cette vigoureuse réaffirmation d’une éthique sociale était frappée du sceau de la sincérité : Nicolas Sarkozy se sentait visiblement proche de ces hommes et de ces femmes qui se plaignaient légitimement d’un chômage endémique, de salaires trop modestes et de retraites qui ne permettent plus de mener une vie décente. La crise économique qui s’est abattue sur tous a déjoué toutes les prévisions, notamment celles de la compagne présidentielle.
Et pourtant, le président n’a pas sacrifié ses convictions libérales à une attitude compassionnelle : il ne laissera personne sur le bord de la route, mais si l’Etat se doit de porter assistance à ceux qui en ont besoin, il n’a pas vocation à favoriser l’assistanat ; il faut, dit-il, rompre avec l’idéologie du partage du travail pour renouer avec la croissance, seule apte à créer des richesses et à rendre aux citoyens une dignité que le chômage leur a momentanément retirée. Le président rompt nettement avec cette idéologie si chère à tous les gouvernements de droite comme de gauche, et que l’on pourrait appeler le «social-étatisme» : si une usine ferme au nord, si une entreprise ne peut plus payer ses salariés au sud, bref chaque fois que quelque chose ne va pas dans ce pays, on se tourne instinctivement vers la puissance publique pour exiger d’elle la solution à tous les problèmes. C’est probablement le seul décalage perceptible entre Nicolas Sarkozy et ses interlocuteurs.
D’ailleurs, en scrutant attentivement l’attitude de ce président encore jeune, on avait l’impression que les Français n’avaient pas vraiment quitté la monarchie : on croit toujours, dans l’Hexagone, au pouvoir miraculeux d’un homme providentiel, capable de résoudre les problèmes individuels de tout un chacun : la jeune diplômée qui ne trouve pas de travail, la dame dont le mari, tout juste âgé de soixante ans, est en préretraité depuis plus de cinq ans, la productrice de lait qui travaille à perte et le courageux retraité, digne et émouvant de sincérité, auquel on sert une retraite misérable.
Si on laisse de côté les questions de gestion quotidienne -qui ne sont pas vraiment du ressort du président mais dont les Français raffolent (l’affaire Proglio, par exemple)- cette longue émission télévisée a abordé quelques points forts qui engagent l’avenir de ce pays : la cohésion de la société française avec la réforme des retraites et la défense du débat sur l’identité nationale.
A l’évidence, le président a infléchi sa politique dans un sens plus social : pour ce qui est des retraites dont tout le monde parle, il soutiendra le système de répartition, gage de solidarité, et appelle les Français à se parler, à se comprendre, à défaut de se rassembler et de mieux s’entendre. Certes, la gravité des problèmes rencontrés incite à la prudence. Un président parvenu à mi mandat, ayant tout juste franchi ce que les journalistes de ce pays nomment «la loi des deux ans», ne pouvait pas promettre la lune. Il a donc présenté un tableau à la fois réaliste et optimiste : la croissance revient et le chômage va amorcer sa décrue dès cette année…
Mais ce qui frappe le plus l’observateur, c’est la levée de boucliers qui a salué la simple annonce de cet entretien télévisuel avec les Français. Voilà plus d’un demi siècle que les Français vivent sous la Ve république. Tous les présidents -du général de Gaulle à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand- ont eu recours à ce genre d’émission lorsqu’ils le jugeaient utile. Qu’y a-t-il de choquant à ce qu’un président élu au suffrage universel s’adresse à ses compatriotes ?