juifs et arabes ; vers une fraternité retrouvée ?
Hier soir, jusque tard dans la nuit, les juifs originaires du monde arabo-musulman ont pu relire une dernière fois avant l’année prochaine, le seder de Pessah. Mais cette fois ils l’ont lu en hébreu avec une traduction en judéo-arabe qui s’inspire de celle que l’ancien directeur de l’académie babylonienne du Xe siècle, Saadya Gaon (882-942) avait rédigé pour ses frères dont l’immersion culturelle au sein du monde environnant était grande. Cette version a subi quelques modifications pour l’adapter à la langue arabe vernaculaire de chaque contrée : par exemple, dans les pays d’Afrique du nord, une touche maghrébine, alors que dans ceux d’Orient, une touche locale un peu plus prononcée.
J’ai pu observer hier, comment dans ma propre famille proche, chez Annie et Jacques, entourée de mes frères et de mes sœurs ainsi que de membres des familles apparentées, la langue arabe de l’enfance, de la prime enfance, était indissolublement liée à la personnalité de chacun d’entre nous. Mais il y avait au milieu de cette magnifique table de fête une sorte de mur de Berlin ; d’un côté, notre génération (vieillisante ?) de quinquagénaires, bientôt sexagénaires, locuteurs de l’arabe et attachés à cette tradition ancestrale judéo-arabe dans laquelle plongent les racines, de l’autre, les jeunes, âgés de moins de vingt ans jusqu’à la trentaine, grosso modo, qui ignorent cette langue et ne font pas d’efforts pour l’apprendre et la comprendre : dommage. C’est un appauvrissement et une perte de la mémoire collective. Ils ignorent que leurs grands père ou arrière grands père s’exprimaient dans cette langue…
Dans un cadre plus général, cette proximité linguistique devrait nous rappeler qu’en dépit des vicissitudes actuelles (la question palestinienne, notamment), Juifs et Arabes ont tissé des liens profonds d’amitié, de compréhension et même de fraternité. Les langues hébraïque et arabe sont sœurs, la première compte un peu plus de 1500 racines, la seconde un peu plus du double, mais les similitudes sont si grandes. Dans la constitution du corpus textuel religieux, les similitudes, voire les emprunts, sont encore plus considérables. Je veux dire par là que toute cette familiarité a tendance à disparaître à cause de la violence et de l’entêtement de certains à refuser de voir la réalité en face…
Il faut, tout en l’adaptant au nouveau milieu, faire renaître cette sensibilité judéo-arabe menacée d’extinction. Cela était manifeste hier soir autour de cette belle table familiale : ma fille, par exemple, Laura-Sarah, âgée de seize ans, rit lorsque son père déclame cette version judéo-arabe du récit de la sortie d’Egypte, ignorant que son propre grand-père et d’innombrables générations précédentes ont vibré à l’audition de ces syllabes, aujourd’hui en voie d’extinction… C’est bien dommage.
Le patrimoine culturel commun à ces deux ethnies, à ces deux cultures, voire même à ces deux religions, est considérable : le plus gros de l’œuvre de Maimonide fut en écrit en caractères hébraïques mais en langue arabe.
Saura-t-on enfin prêter l’oreille à ce message de paix et de vie au lieu d’opter pour une culture de mort et de déni ? Il faut bien l’espérer.