Nicolas Sarkozy et le France
Trois ans. Il y a 1095 jours, Nicolas Sarkozy était élu président de la République. Incarnant le renouveau et la modernité, il fourmillait d’idées et clamait son amour de la France. Son plus proche collaborateur M. Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, écrivait il y a quelques mois dans le journal Le Monde: Nicolas Sarkozy aime la France.
On se souvient de quelques mots d’ordre de la campagne présidentielle, comme travailler plus pour gagner plus. Tout semblait aller pour le mieux lorsque la crise financière s’abattit soudainement sur le monde. Tout ce qui paraissait possible et réalisable devint soudain difficile, voire impossible. Certains commentateurs s’adonnèrent aussitôt à leur sport favori : parlant d’échec, ils prétendirent avoir été les premiers à prédire l’avenir…
Scruter le pouvoir prépare-t-il nécessairement à l’exercer ? C’est peu probable.
Une telle sévérité n’est pas vraiment justifiée, pour peu qu’on examine les faits objectivement et qu’on leur assigne leur juste place dans un contexte général.
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Prenons les choses à l’origine. Nicolas Sarkozy avait, des mois durant, clamé haut et fort, sa volonté de rupture avec le régime précédent. Pourtant, peu de gens avaient compris ce que cela impliquait, et ils furent encore moins nombreux à en mesurer les conséquences. La rupture signifiait tourner résolument le dos à plus d’une décennie d’immobilisme où, sans accabler qui que ce soit ni plaider je ne sais quel héritage, le précédent pouvoir pratiquait une danse fameuse au Moyen Age, le drapier des lanciers : un pas en avant et trois pas en arrière ! Pour peu que l’on engageât la moindre réforme dont le pays avait pourtant grand besoin, elle était reléguée aux oubliettes, dès le premier défilé de protestation.
Comprendre dans toute son ampleur l’idée de rupture conduit à porter un autre regard sur le surnombre de réformes engagées. Plus de quatre-vingt-dix ! Pourquoi une telle avalanche ? Pour la bonne raison que la France en avait grandement besoin. Il suffit de suivre la courbe de l’endettement et du déficit pour comprendre que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, le moindre fléchissement de la part de Nicolas Sarkozy eût été une impardonnable négligence.
Si toutes les réformes en cours n’ont pas encore produit leurs fruits cela ne signifie pas pour autant que leur mise en œuvre fut une erreur. Loin de là. Le corps social français vivait dans un état d’apesanteur car toutes les décisions importantes étaient différées.
Et il y eut cette crise économico financière qui a failli tout réduire à néant. Le sort sembla s’acharner sur l’économie mondiale : à la crise des subprimes qui menaçait les banques de faillite retentissante, succéda, sans crier gare, celle de l’Euro. Sans sombrer dans le fatalisme, on doit admettre que certaines choses i dépendent des hommes et d’autres pas.
N’est-il pas juste de relever que Nicolas Sarkozy s’est démené pour chercher et trouver des solutions ? Que serions nous devenus sans notre système bancaire, s’il n’avait pas été sauvée à temps par des avances qui furent du reste remboursées ?
Au beau milieu d’un mémorable mois d’août, période au cours de laquelle la France, depuis des années, est assoupie, telle la belle au bois dormant, le président sa fait preuve d’une énergie incroyable pour mettre un terme à la crise russo-géorgienne . Sans ses navettes entre Moscou et Tbilissi, que serait-il advenu du régime géorgien ? Qui aurait stoppé les chars russes ? Qui a insisté pour être reçu sur le champ par le président Medvedev et lui arracher l’assurance que la capitale Tbilissi ne serait pas investie ?
Et puisqu’on traite de diplomatie, disons un mot du judicieux rééquilibrage de la politique étrangère : Nicolas Sarkozy a mis un terme à cet anti-américanisme d’un autre âge, réchauffant et renforçant le lien transatlantique. Il a aussi gagné la confiance des Israéliens sans s’aliéner l’estime et la confiance d’un monde arabo-musulman, menacé par des poussées d’intégrisme dont les effets se font parfois sentir au sein des frontières de l’hexagone. Rompant avec une politique picrocholine, il a tendu une main amie à la Syrie dont dépend, que cela nous plaise ou non, tout règlement pacifique au Proche Orient. Il a aussi lancé une vaste initiative au profit de l’union méditerranéenne : pour la première fois à Paris, le président syrien et le premier ministre israélien étaient présents à la même tribune présidentielle, lors du défilé du 14 juillet.
Certes, l’amélioration de l’image de la France à l’étranger, sa présence renforcée sur tous les théâtres d’opération (Afghanistan) et de reconstruction (Irak), n’ont pas de retombées positives sur le pouvoir d’achat. Mais souvenons nous de ce que le général de Gaulle disait de la relation des Français à la politique étrangère de leur pays…
L’hexagone a des préoccupations spécifiques: des réformes qui s’imposent et des résultats qui se font attendre. La France de Nicolas Sarkozy ressemble, c’est vrai, à un vaste chantier. Mais comment faire autrement ? On comprend le désappointement, la déception même de nos compatriotes devant tant de changements après une longue période d’ immobilisme absolu : mais est-ce la faute du président ? Il aurait pu s’accorder du repos et prendre du bon temps ; il ne l’a pas fait, il a pris le taureau par les cornes, générant un mécontentement qui se reflète dans les sondages.
Voilà des décennies que la France attendait une profonde réforme fiscale qui tardait à venir: Nicolas Sarkozy s’est attaqué à ce chantier et a réformé les droits de succession. Mais l’opposition n’en parle jamais et préfère faire du paquet fiscal (je n’aime pas cette expression) un redoutable cheval de bataille. Elle parle d’un coût de plus de 15 milliards alors que la somme ne dépasse pas plus de cinq cents millions… La même remarque vaut de la réforme des retraites.
Michel Debré disait jadis que le rôle de l’opposition était de talonner le pouvoir. Ce qui ne veut pas dire le paralyser ni le harceler. Or, de nombreuses critiques ont occulté l’ouverture politique qui s’est traduite par l’entrée au gouvernement d’hommes et de femmes, issues d’autres horizons.
Citons d’autres réformes que le président a engagées et qui n’ont que trop tardé à venir. De nombreuses mesures sont prises pour combattre l’insécurité dans la rue et à l’école. L’autonomie offerte aux universités pour stimuler à la fois l’enseignement et la recherche, les décloisonnant et leur octroyant enfin une stature européenne. La carte judiciaire de l’Hexagone a été rationalisée et a rendu la justice plus proche des justiciables. L’écologie, enfin, en allant au devant des desiderada des uns et des autres, même si la taxe carbone eût gagné à être mieux préparée…
Voici l’unique critique que je formulerai : la France n’a pas été préparée à cette cascade de réformes dont elle avait pourtant grand besoin. Elle ne comprenait pas plus cette omniprésence présidentielle dans les média et cette éclipse, voire cette occultation du Premier Ministre qui s’acquitte pourtant fort bien de sa tâche. Doté de nerfs solides, François Fillon a toujours agi avec loyauté et compétence, faisant face à l’adversité avec ce phlegme quasi britannique que nous lui envions. Quand une pause s’est révélée nécessaire dans le salutaire débat autour de l’identité nationale, c’est le Premier Ministre qui a pris les choses en main.
La France doit faire face à des difficultés croissantes : je ne sais combien de ministres de la ville se sont succédé, qu’ils fussent de droite ou de gauche ; et pourtant, les mêmes problèmes subsistent. Comment intégrer tant de gens et en faire, pour certains, de bons Français comme les autres ? Comment juguler les troubles dans les banlieues, combattre les forces de l’obscurantisme et de la régression sociale? Au cours des trois années écoulées, d’indéniables progrès ont été réalisés. On a tendance à surestimer quelques incidents, certes inexcusables, mais qui demeurent limités; comment prétendre que rien n’a été fait dans les cités et les quartiers sensibles parce que quelques mauvais garçons caillassent des autobus ?
La France a vraiment besoin d’apaisement et de sang froid. Elle devrait accepter le pari de son président qui lui ouvre les portes du XXIe siècle.
Quand j’étais jeune étudiant, j’entendais le président Georges Pompidou pourfendre les adeptes de la délectation morose. C’est encore un peu le cas aujourd’hui. Certes, l’économie tarde à redémarrer et la croissance n’est toujours pas là. Mais les mesures prises sont justement destinées à accélérer le retour de la croissance ; il faut attendre qu’elles produisent leur effet. Si, à l’impatience, vous ajoutez une France naturellement rétive aux réformes, vous comprendrez pourquoi les sondages sont ce qu’ils sont aujourd’hui.
Mais gouverne-t-on un pays avec des sondages ? Assurément, non. Tous les présidents de la Ve république en ont fait l’expérience.
Je disais au début de ce papier que Nicolas Sarkozy a déjà passé 1095 jours au palais de l’Elysée. Nous lui souhaitons, pour la grandeur et la prospérité de notre pays, d’y rester encore 2555 jours…