LE TERMPS EXISTE-T-IL ? CONSCIENCE HUMAINE ET TEMPORALITE
On nous dit sur tous les tons que dans quelques heures on change d’année ; et il y a presque onze ans (moins quelques précieuses heures) on nous prévenait qu’on changeait de millénaire ! Seigneur D-… Mais au fond de quoi s’agit-il et comment devons nous comprendre cette mutation qui ne s’opère en réalité que dans notre esprit, mieux dit, dans notre conscience ?
En philosophie, la question du temps est la plus difficile, c’est celle qui nous échappe le plus, qu’on n’arrive pas à cerner.
En fait, dans l’absolu, le temps n’existe pas, il est simplement la trace qui demeure dans notre conscience : s’il n’y avait pas d’être humain, ni d’être vivant, qui pourrait avoir une conscience temporelle, partager le temps selon ces trois aspects : passé, présent, futur. Mais le présent lui-même, si souvent assimilé au temps proprement dit, existe-t-il ? Non, puisque la fraction de seconde suivante le repousse incontournablement dans le passé. Alors, oui, on parle d’un passé proche, d’un passé lointain, d’un passé révolu, ce qui montre l’élasticité d’une notion assez insaisissable. D’ailleurs, la linguistique moderne, critique des anciennes notions grammaticales classiques, ne parle pas de futur ni du passé, mais de l’accompli et de l’inaccompli… Apparemment, le présent n’est donc plus pris en compte.
Que dit Aristote, le pilier irremplaçable de la philosophie occidentale, du temps ? Le stagirite en traite dans le livre VIII de sa Physique. Etrange, mais juste. D’autres en auraient parlé dans la section réservée à la Métaphysique, Aristote, lui, en fait un sujet de physique. Pour lui, le temps est un accident du mouvement, en d’autres termes, c’est le mouvement qui entraîne le temps. Ou bien il dit aussi que le temps est le nombre du mouvement : en d’autres termes, lorsqu’un corps se déplace, il le fait nécessairement à une certaine vitesse, ce qui établit une sorte de corrélation entre le temps et l’espace, puisqu’un corps évolue nécessairement dans un espace.
Pour ne pas vous saouler en cette veille de nouvel an, je ne m’attarderai pas sur le livre Sein und Zeit (Être et temps) de Martin Heidegger.
Mais revenons au sujet : qu’est ce qui va changer dans quelques heures ? Non pas le temps, non pas l’année, mais la conscience que nous en avons. Qu’est-ce qui différencie au niveau de la temporalité stricte, l’an 2011 de l’an 23 avant l’ère chrétienne ? Je ne parle pas des progrès techniques et culturels, mais du temps pur ? Rien. Sinon que l’homme a une durée de vie déterminée. Il comptabilise une année supplémentaire, chaque fois que lon change de numéro d’année
Le mot le plus important est lâché : la durée. Bergson mais bien avant lui Saadia Gaon avaient établi une distinction intéressante entre le temps et la durée. La durée, c’est le temps vécu, éprouvé, ressenti par une conscience humaine…
Quand vous attendez quelqu’un que vous aimez, le temps est long, ou plutôt vous trouvez le temps long. Si, au contraire, vous coulez des jours heureux avec l’être aimé, lorsqu’arrive le terme, la mort ou la fin des vacances, vous avez la sensation que même cinquante ans sont passés comme un clin d’œil…
Le temps est aussi inséparable de la notion d’attente. Songez un peu à cette notion historique d’un avenir rose, bien meilleur, c’est-à-dire à l’époque messianique, la plus séduisante utopie qui ait jamais germé dans un cerveau humain… Elle prit naissance dans le cerveau d’un vieux prophète hébreu du VIIIe siècle avant notre ère. Et pourtant, nous y croyons toujours…
Décidément, nous ne réussirons jamais à nous affranchir de ces catégories spatio-temporelles…
Bonne année, tout de même !