La France a-t-elle encore une vision de Afrique et du monde arabe ?
Oui, on peut légitimement se poser la question. Lorsque Nicolas Sarkozy menait tambour battant la campagne pour l’élection présidentielle qu’il a brillamment remportée, les idées fusaient, le débat était riche et l’on utilisait souvent, dans son entourage, une expression fort bien tournée, mais qui a aujourd’hui totalement disparu du registre politique : être animé d’une vision et porteur d’un projet.
Mon premier contact avec cette métaphore remonte à mes études germanistiques : les vieux leaders de la social-démocratie allemande, Gustav Stresemann et Friedrich Ebert qui fondèrent la République de Weimar sur les ruines du Reich de Guillaume II, usaient souvent de l’expression : beseelt vom Willen, animé d’une vision…
A la lumière des récents événements dramatiques de Tunisie et d’Egypte, et au vu de ce qui se passe au Yémen, à Bahreïn et surtout en Libye (plus de 40 morts par balles à ce jour), on peut se demander si la France n’a pas perdu la main… Avons nous encore une vision de l’Afrique ? Avons nous encore un projet pour ces peuples dont l’histoire récente est si liée à la nôtre et dont nous avons, des années durant, formé les élites ?
Il ne s’agit pas d’infliger des blâmes ni de décerner un satisfecit à l’un ou l’autre mais il est évident que le précédent locataire du Quai d’Orsay a largement confondu ingérence humanitaire et politique étrangère de la France. Et durant toute cette période, nos alliés américains se sont engouffrés dans la brèche : on a pu le constater en Egypte où l’influence français était moindre mais même en Tunisie ce sont les USA qui étaient à la manœuvre.
Et si l’armée tunisienne a lâché Ben Ali dès le premier jour, refusant de s’en prendre aux manifestants, c’est parce que le Pentagone avait relayé auprès des chefs militaires la consigne de la Maison Blanche : ne pas noyer dans le sans les aspirations légitimes d’un peuple soumis à un oligarque autocratique depuis près d’un quart de siècle…
En Egypte, la main mise américaine était encore plus flagrante, mais là on ne pouvait pas faire grand chose : c’est l’US army qui équipe et dorlote l’armée égyptienne (al-Djich al-masri) depuis le traité de paix avec Israël en 1979, c’est encore elle qui a fait pression chaque fois que le président Moubarak manifestait sa volonté de rester à son poste.. La France n’aurait jamais eu ni n’aura jamais les moyens de rivaliser avec le géant américain, mais en Afrique du nord et en Afrique noire, elle dispose encore d’une certaine marge de manœuvre. …
Qui aurait la cruauté de revenir sur le cas ivoirien où un ultimatum maladroit (révérence gardée) et qui n’a eu aucun effet… n’aurait jamais dû être lancé.
Qui est responsable et que faudrait-il changer ? A l’évidence, et en dépit de nos chétifs moyens, le corps diplomatique français ne s’est pas suffisamment préparé. Il y a moins d’un an, je me trouvais dans le bureau d’un très haut commis de l’Etat qui me disait qu’on avait un sureffectif de ministres plénipotentiaires, encouragés à prendre leur retraite, que les carrières des diplomates avaient été mal gérées, bref que le Quai d’Orsay n’avait pas réussie sa mue… Le Figaro d’hier a officialisé ses sombres prédictions.
Il faut rajeunir ce corps et en diversifier le recrutement. Il faut cesser ce «monogénisme du recrutement». Prenons exemple sur les USA qui nomment à des postes importants, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, des banquiers, des entrepreneurs, des avocats, des professeurs ou des militaires. Alors qu’en France, on réserve ces postes, pourtant cruciaux, à une clientèle bien particulière.
Il n’est pas normal que les USA soient mieux placés que la France dans un continent jadis considéré comme une chasse gardée de l’hexagone. Il était de bon ton de stigmatiser alors les réseaux Foccart ou Pasqua. Mais eux au moins n’auraient pas été pris au dépourvu…