POUR VOUS CHANGER DES TRIBULATIONS DE DSK, UN PEU DE SPIRITUALITÉ PHILOSOPHIQUE ET RELIGIEUSE.
Friedrich Christian Oetinger (1702-1782)
Kabbaliste chrétien séduit par Isac Louria
Conférence à la mairie du XVIe arrondissement de Paris
Prévue le 19 mai 2011 à 20h 15
Friedrich Christian Oetinger me semble être un cas unique dans la tentative de rapprocher kabbale et protestantisme, voire d’instrumentaliser la kabbale juive et hébraïque pour asseoir la vérité du christianisme. Mais ce qui est nouveau, si on laisse de côté les tentatives plus anciennes de Johannes Reuchlin et du baron Knorr von Rosenroth, c’est l’opinion relativement bonne que cet évêque protestant avait du judaïsme, de l’Ancien Testament et de la synagogue dont il affirme qu’à la fin des temps, elle sera appelée à devenir une église universelle dont le Grand Prêtre serait évidemment Jésus…
On aboutit au même résultat, à cette différence près qu’on a affaire à un éminent théologien qui croyait sincèrement à la validité et à la solidarité des textes vétéro-testamentaires et néo-testamentaires. Pour Oetinger, la Bible, toute la Bible est la parole de Dieu et il ne convient pas, comme le firent les adeptes de la théologie rationaliste, de l’expurger des textes sortant du cadre de la raison. Un exemple : pour Oetinger, les visions du prophète Ezéchiel qui défient la saine raison et que même un penseur aussi juif que Maimonide a résolument allégorisé pour les réinterpréter au sens philosophique, doivent garder leur sens premier… Rien d’étonnant, donc, qu’un tel théosophe ait vu en l’Apocalypse le couronnement des Ecritures.
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Conférence à la mairie du XVIe arrondissement de Paris
Prévue le 19 mai 2011 à 20h 15
Friedrich Christian Oetinger me semble être un cas unique dans la tentative de rapprocher kabbale et protestantisme, voire d’instrumentaliser la kabbale juive et hébraïque pour asseoir la vérité du christianisme. Mais ce qui est nouveau, si on laisse de côté les tentatives plus anciennes de Johannes Reuchlin et du baron Knorr von Rosenroth, c’est l’opinion relativement bonne que cet évêque protestant avait du judaïsme, de l’Ancien Testament et de la synagogue dont il affirme qu’à la fin des temps, elle sera appelée à devenir une église universelle dont le Grand Prêtre serait évidemment Jésus…
On aboutit au même résultat, à cette différence près qu’on a affaire à un éminent théologien qui croyait sincèrement à la validité et à la solidarité des textes vétéro-testamentaires et néo-testamentaires. Pour Oetinger, la Bible, toute la Bible est la parole de Dieu et il ne convient pas, comme le firent les adeptes de la théologie rationaliste, de l’expurger des textes sortant du cadre de la raison. Un exemple : pour Oetinger, les visions du prophète Ezéchiel qui défient la saine raison et que même un penseur aussi juif que Maimonide a résolument allégorisé pour les réinterpréter au sens philosophique, doivent garder leur sens premier… Rien d’étonnant, donc, qu’un tel théosophe ait vu en l’Apocalypse le couronnement des Ecritures.
Selon les spécialistes, Oetinger a subi trois influences : la première, et probablement la plus forte et la plus marquante, fut celle de Jakob Boehme (1575-1624), le fameux savetier de Görlitz, que l’auteur tenait pour un prophète dont il voulait expliciter les oracles. La seconde influence fut celle de son maître et ami Johann Albrecht Bengel (1687-1752) qui se considérait lui-même comme un véritable prophète et qui se livrait aussi à l’exégèse biblique. La troisième es constiuée par la kabbale. Benegl est allé jusqu’à calculer l’avènement du royaume de Dieu qu’il prévoyait pour l’année 1836. C’est chez lui que Oetinger a trouvé l’idée que l’Apocalypse était la pointe de diamant de la Bible. Ce féru de kabbale lourianique était aussi un exégète qui voyait dans l’interprétation kabbalistique de la Bible la plus sublime de toutes les philosophies. Il faut savoir que Oetinger vivait à une époque où les Lumières et leur idéologie rationaliste et anti-mystique étaient triomphantes.
A ses yeux, la théologie, la sienne, était une philosophie sacrée. Elle s’opposait frontalement à la philosophie profane de l’Aufklärung qui ne respectait pas la lettre des Ecritures prétendant lui substituer un sens allégorico-philosophique. En lieu et place d’une philosophie rationaliste et d’une exégèse spirituelle, Oetinger place la théosophie qui devient souvent chez lui une véritable christosophie. Comme on le relevait supra, ce sont les visions prophétiques qui sont la quintessence des Ecritures tandis que l’idéalisme des Lumières n’était qu’une hérésie des temps modernes. Oetinger va encore plus loin en affirmant que même l’intelligence de l’univers, la science du Tout n’était que le résultat d’une grâce, le fruit de la foi.
Si vous vous référez à mon livre qui vient de paraître il y a quelques jours aux éditions Ellipses (La kabbale, pp 347-400), vous y trouverez le détail des contacts de Oetinger avec des kabbalistes juifs de son temps, qui lui facilitèrent l’accès aux sources kabbalistiques dans leur version originale. C’est que Œtinger avait étudié les langues anciennes, et notamment l’hébreu, lors de ses études de théologie. A cet engouement pour les œuvres kabbalistiques, notamment celles portant sur Isaac Louria (Sefer éts hayyim), Œtinger joignait une profonde vénération pour les anciens Hébreux. Comme je le laissais entendre dans les premières lignes de cette conférence, il christianisait la kabbale comme le firent avant lui le baron Knorr von Rosenroth et Franciscus Mercurius van Helmont qui fut le premier à parler dans une partie de la Kabbala denudata de kabbala christianae… En l’homme primordial des kabbalistes, l’Adam kadmon, le théosophe protestant voyait Jésus et en la Shekhina inférieure, la dixième sefira, malkhout, la Sagesse. Pour Œtinger qui le répétera sans cesse, le salut vient des juifs.
La découverte du Zohar et des autres grands textes de la kabbale espagnole fit un grand effet sur le théologien wurtembergeois qui pensait que cette Bible de la kabbale remontait au temps des Apôtres Paul et Jean. A ses yeux, les deux hommes étaient des kabbalistes : en réalité, ce fut son mentor juif, féru de kabbale, un certain Koppel Hecht, qui lui avait soufflé cette idée qui arrangeait tout le monde puisqu’elle contribuait à fonder encore plus la thèse (erronée) de l’antiquité du Zohar. Enthousiaste, Œtinger prétendait que l’exégèse kabbalistique de la Bible était la plus sublime, que des prêtres juifs révéleraient les secrets des saintes Ecritures à la fin des temps, dans ce même temple vu par Ezéchiel et dont Jésus serait le Grand Prêtre. Quel syncrétisme…
Les éléments ayant permis à Œtinger de bâtir son système proviennent des influences exercées sur lui et signalées au tout début de cette conférence : Boehme, Bengel et la kabbale juive. Contrairement à l’écrasante majorité des théologiens et théosophes chrétiens, Œetinger est fermement attaché à l’unité de la Bible, il refuse d’opposer la lettre à l’esprit car c’est la première qui contient et préserve le second. Dans ses recherches spéculatives, Œtinger a aussi croisé d’autres courants, par exemple Emanuel Swedenborg (1688-1772) qui pensait dialoguer et communiquer directement avec Dieu et ses anges. Après une période d’engouement, Œtinger s’en détacha, comme il se détacha des prophètes inspirés de son temps, ou qui se donnaient pour tels. Par ailleurs, un homme comme Œtinger avait eu aussi connaissance de la Table d’émeraude, attribuée à Hermès Trismégiste dont le principe majeur est que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et inversement.
Etait-ce pour attirer vers lui les juifs par le biais de la kabbale ou pour retrouver une unité brisée par le schisme des premiers chrétiens avec la synagogue ? Toujours est-il que Œtinger souligne que la lettre des Ecritures ne sera pas abolie mais sera illuminée à la fin des temps. Cette idée est probablement une variation sur une pensée de son mentor allemand Jakob Boehme en lequel notre auteur voyait l’authentique prophète des temps modernes. Boehme aspirait à l’unité du Tout et à ses yeux la science de Dieu, la théosophie et la science de la nature finiraient par se rejoindre, le livre de Dieu et le livre de la nature ne feraient qu’un. Et dans ce cas, l’homme ne peut accéder à cette science universelle que par la foi et le don d’une grâce particulière.
La kabbale chrétienne de Œtinger visait à réunir la révélation hébraïque et le Nouveau Testament. Nous allons voir qu’un fait spécial a donné à l’auteur l’opportunité d’exercer son ingéniosité exégétique sur un problème insoluble, de prime abord.
En 1673, la princesse Antonia de Wurtemberg, femme érudite qui ne s’est jamais mariée et partageait l’engouement de certains hébraïsants de sa cour pour la kabbale juive, offrit à une petite église de Bad Teinach en Forêt Noire une sorte de tableau didactique (Lehrtafel) représentant le symbole accompli d’une kabbale chrétienne aboutie : le Christ trônant au-dessus de l’arc-en-ciel et faisant défiler devant son tribunal toute l’humanité. Près d’un siècle plus tard, Œtinger publia son commentaire de ce tableau.
Dans cette œuvre, publiée en 1763, Œtinger développe les idées qui lui sont chères : il ne faut déprécier la lettre qui reste bonne car elle préserve en son sein l’esprit, il faut saisir ce tout, cet ensemble que sont la lettre et l’esprit, le salut vient des juifs et enfin, ce sont les anciens Hébreux qui nous livreront la clé des Evangiles.
Œtinger nous communique aussi ses propres conceptions religieuses ; Dieu est incognoscible et si, malgré tout, il se révèle, c’est le signe de sa toute puissance qui continue de défier la raison humaine.
Mais notre homme ne reflétait pas l’opinion commune des penseurs religieux de son temps. Un théologien rationaliste comme Johann Konrad Dippel, mort en 1734, pensait autrement et se trouve en maints endroits réfuté par Œtinger. Dippel ne rejetait pas les dogmes fondamentaux de l’église et voulait admettre, par exemple, que le Christ était vraiment mort sur la croix mais il avait une piètre idée du peuple hébreu (le peuple le plus sot, écrivait-il). Enfin, il ne prenait pas au pied de la lettre des expressions bibliques comme la colère de Dieu, le feu dévorant, etc… comment, interrogeait-il, concilier la colère de Dieu avec l’amour de Dieu, Sa rigueur et Sa miséricorde ? Il y allait de l’unité de l’essence divine.
Œtinger ne semble pas avoir considéré cette difficulté comme quelque chose d’insurmontable. Pour qui réussit à comprendre l’alternance ou la relation dialectique de deux sefirot Din et Rahamim, la rigueur et la miséricorde, le problème disparaît. On le constate de nouveau, notre théosophe protestant était si imprégné de théologoumènes kabbalistiques qu’il y recourt pour obvier à des difficultés théologiques au sein même du christianisme. Notre homme n’hésitait pas à faire des sermons sur la kabbale le dimanche dans son temps portestant devant ses ouailles…
Un dernier point mérite d’être évoqué brièvement ici : pour pratiquer une exégèse appropriée, il faut impérativement être soi-même imprégné de l’esprit saint. Car c’est ce même esprit qui a inspiré la Bible. En somme, commenter la parole de Dieu, la Bible, c’est soi-même écrire sous la dictée de l’esprit saint, en d’autres termes le commentaire biblique est une Bible tertiaire ou secondaire. Et ceci coupe les herbes sous les pieds de toute exégèse rationaliste.
Conscient de cet apport divin, quasi miraculeux, Œtinger souligne que la révélation ultime des secrets de la Bible ne se produira qu’à la fin des temps, encore une expression empruntée aux prophètes d’Israël (aharit ha-yamim). Mais il y eut des exceptions et l’une d’elles a nom Jakob Boehme. Cette science ultime sera accordée à l’homme dans le royaume de mille ans dont parle le chapitre XX de l’Apocalypse.
Quand il parle de la terre de l’âge d’or, Œtinger pense à notre terre, radicalement transformée car désormais remplie de la gloire de Dieu. On sent ici l’influence des chapitres VI et suivants d’Isaïe. Œetinger prend alors des accents lyriques car il fait de la religion juive ( transformée de fond en comble) le culte de la fin des temps dont Jésus sera le Grand Prêtre. Décidément, on ne l’oublie jamais… puisqu’il est le héros d’une religion messianique. Ce culte juif rétabli le sera selon la lettre et selon l’esprit. J’aimerais savoir comment, au juste. On assiste ici à un hymne vibrant à un messianisme purement chrétien.
Le prophète Malachie a dit et ce jour là, Dieu sera Un et son Nom Un… Œtinger le paraphrase en écrivant qu’à la fin des temps, il n’y aura qu’une religion pour toute l’humanité, une seule foi, une seule vraie philosophie. Car dans les temps présents, D ne se révèle à nous que de manière imparfaite. Grâce à l’exégèse kabbalistique qui recolle la lettre à l’esprit, nous parviendrons à parachever la Révélation divine pour tous. IL n’y aura plus qu’une Révélation unique.
Je laisse à chaque auditeur ou auditrice le soin de se faire une idée de la pensée kabbalistique d’Œtinger.