Les contestations judéo-chrétiennes : l’antinomisme dans quelques épîtres de Saint Paul
Conférence à la mairie du XVIe arrondissement de Paris
Le jeudi 9 février 2012 à 19heures
Les remous causés par la naissance du christianisme primitif :
l’église d’Antioche et l’église de Jérusalem
Paul, l’apôtre des prépucés et Pierre, l’apôtre des circoncis
Livre de l’abbé Michel Quesnel Les chrétiens et la loi juive : une lecture de l’épître aux Romains (Cerf, rééd. 2008)
L’esprit de l’épître aux Romains de Saint Paul, cette épître de l’apôtre qui a vraiment porté l’estocade au respect des lois juives par les juifs (ralliés à l’Eglise naissante) et parmi l’ensemble des païens, ayant rallié l’église :
du pagano-christianisme.
Judéo-christianisme
Le meilleur exemple de la détermination de Paul est son épître aux Galates qu’il traite de tous les noms et leur demande même : mais qui vous a envoûtés ?
Dans sa brillante lecture de l’épître aux Romains, l’abbé Quesnel dit d’emblée : l’épître aux Romains est par excellence l’écrit de saint Paul qui aborde front et la question d’Israël et celle de la foi. On peut difficilement avoir compris Paul sans s’y plonger… (p 7) Observation frappée au coin du bon sens.
Le cas d’Abraham : la foi ou les œuvres ? Révélation avant ou après la circoncision ?
Même si l’on peut parfois s’interroger sur la bonne foi de Paul (nous disons cela révérence gardée) il faut bien reconnaître qu’il a pénétré au plus profond de la problématique de la loi dans ses rapports avec la foi.
On connaît la controverse entre juifs et nouveaux chrétiens : quand donc Dieu s’est-il révélé à Abraham, avant ou après sa circoncision ? Pour les juifs ce fut après cet acte rituel que la vraie révélation eut lieu, pour les chrétiens, cet acte ne revêt pas d’importance cruciale. Ce débat entre la circoncision et l’incirconcision, entre le circoncis et le prépucé, doit toute sa acuité, voire son extrême violence à Paul qui réagira énergiquement face aux Galates, responsables d’une régression : comment avoir commencé avec l’esprit pour s’en retourner à la chair, leur dit-il sans ménagements ?
Nous parlions d’Abraham un peu plus haut ; en effet, Paul insiste pour que l’on élargisse le sein d’Abraham, c’est-à-dire qu’il optait pour l’intégration des païens dans la nouvelle église. Il développe donc une comparaison entre le juif pécheur et la païen observant de la loi, mais il ne s’agit pas, évidemment, de la loi des juifs (comme il aimait à le dire) mais de la loi de la foi, qui est tout autre chose…
Le juif pieux est celui qui est en accord avec la loi et qui est circoncis ; le juif pécheur est celui qui transgresse la loi tout en portant la marque de son alliance avec Dieu. Au terme de son raisonnement, Paul conclut que le païen pieux se trouve en état d’égalité avec le juif observant et circoncis.
Dans cette croisade antinomiste (du grec nomos pour loi), Paul va nettement plus loin. Il fut, à notre connaissance, le premier juif d’importance à poser la question de l’utilité de l’essence juive, à savoir sa supériorité ou son obsolescence : quelle est donc la supériorité du juif, ou quelle est l’utilité de la circoncision ? (Romain 3 ; 1) Mais Paul pose en fait deux questions apparemment opposées et auxquelles il apporte des réponses contradictoires. L’avantage des juifs est incontestable puisqu’ils sont les premiers dépositaires de la Révélation, mais au plan historique, c’est-à-dire en tant que peuple, ils sont, selon l’Apôtre, aussi pécheurs et donc coupables que les Grecs, donc les païens…
Laissons à l’Apôtre le soin de décider avec lui-même ce qu’il faut retenir de ce raisonnement trop sinueux, trop subtil pour être vraiment cartésien.
La même hésitation ou contradiction (apparente ?) se rencontre au sujet de la justification de l’homme par les œuvres de la loi… C’est tantôt oui, et tantôt non. En fait, on comprend les déchirements de Paul : élevé dans le respect absolu des préceptes de la Tora, il entrevoit aussi un nouvel horizon ébauché par l’Eucharistie et dans le cadre duquel la loi n’a plus sa place. C’est une idée fixe chez Paul : il y a un état du monde d’avant Jésus et un autre, après sa venue… Cette mue de son âme, cette révolution copernicienne de sa vie et de sa pratique religieuse, sont, pour un esprit non chrétien, absolument incompréhensibles. Ce n’est pas un jugement de valeur. Un homme qui se rend à Damas, précisément pour y persécuter des hommes suspects de christianiser, un homme suspecté d’avoir pris part à la lapidation d’Etienne et qui a sa fameuse révélation sur le chemin de Damas et qu’un homme comme Ernest Renan a tenté d’analyser en profondeur…
Mais le lecteur a du mal à suivre le raisonnement de l’abbé (p 27) : selon lui, les multiples ramifications de la loi (613 commandements selon le dictum talmudique de rabbi Simlaï) «lui donne dès le départ une coloration négative…» Et il conclut à la croix du Christ.
La crucifixion annule la loi car le sang de Jésus a racheté l’humanité.
Dialectique de la loi : l’existence de la loi entraine l’existence du péché
La suppression de la loi entraîne celle de la loi
En Jésus, poursuit Paul, le monde passe de la logique de la loi à celle de la foi. Or, cette foi s’oppose aux œuvres de la loi. Et l’apôtre de mettre en avant le verset suivant de la Genèse (15 ;6) : il crut en Dieu et celui-ci le lui imputa en justice. Li-tsédaka Dans cette racine hébraïque se trouve le fameux verbe justifier, le-hatsedik… Si cela était bon pour Abraham, la même chose vaut pour tous les autres hommes. Paul en déduit très adroitement que c’est la foi qui sauve Abraham et si cela est reconnu par la Tora elle-même alors la loi contient en elle-même son propre dépassement.
Paul a une pensée résolument antinomiste. L’abbé Quesnel en déduit ceci (p 38) : la foi justifiante précède tout, la circoncision ne fut donnée que plus tard, comme «sceau de la justice de la foi» de telle sorte qu’Abraham est aussi bien le père des croyants circoncis que celui des croyants incirconcis (Romain 4).
Elargir le sein d’ABRAHAM
Et la conclusion arrive, incontournable : les héritiers du patriarche ne sont pas que les juifs mais tous les croyants.
C’est Paul qui a institué l’opposition apparemment inconciliable entre la loi et la grâce, ce que la théologie allemande du XIXe siècle avait résumé dans le couple antithétique, Gesetz und Gnade…
Mais ici aussi, il ne faut attiser les oppositions : après tout, le chapitre 31 du livre des Proverbes ne parle-t-il pas de Torat hésséd, la loi de la grâce, se gardant bien d’ériger entre ces deux une infranchissable barrière… On pourrait objecter que ce texte nie lui-même la loi, c’est une erreur, il en fait ressortir l’aspect gracieux, ce qui est différent.
Mais Paul suit sa logique, emporté par elle, il statue l’existence de trois éons, trois âges du monde :
a) d’Adam à Moïse, pas de corpus législatif, pas de loi, ce qui vise presque à excuser la faute du premier homme qui n’avait péché contre aucune loi, si ce n’est l’interdit divin .
b) de Moïse à Jésus, le règne ou l’empire de la loi.
C) après la mort de Jésus qui effectue le pardon des fautes de l’humanité pécheresse : c’est la grâce.
Paul est tellement conquis par cette problématique qu’il va jusqu’à dire que sous l’empire de la loi, l’homme est attiré par la faute. Accusé de favoriser le libertinage, il répond à ses contradicteurs que cette affirmation paradoxale ne vise nullement à pousser les êtres à se vautrer dans la luxure : le péché ne vous dominera plus, car vous êtes sous l’empire de la grâce… (Romains 6 ;14)
Mais qu’entendait l’apôtre sous le vocable de loi ? Certains spécialistes de la littérature néo-testamentaire lui ont reproché un usage peu cohérent de ce terme… Pensait-il à la loi de Dieu, à la loi juive, à la loi de Dieu ou à la loi d’amour du Christ ?
Les pommes de discorde judéo-chrétiennes:
a) l’allégorisation et l’évacuation des préceptes de la Tora
b) le rejet du chabbat
c) le rejet des lois alimentaires
d) le rejet des mariages endogamiques
e) le changement du calendrier
f) le changement de la liturgie
g) l’oubli de la langue hébraïque
h) la transformation de la signification des fêtes juives : Pâques juive et Pâque chrétienne
CONCLUSION :Le débat entre les juifs et les chrétiens pourrait se résumer à un débat entre nous, juifs, et nous mêmes.
Maurice-Ruben H