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LE POUVOIR, SES ILLUSIONS ET SES TOURMENTS

LE POUVOIR, SES ILLUSIONS ET SES TOURMENTS
En ces temps de grands changements, de profonds remaniements et de constantes remises en question, il est légitime de s’interroger sur le pouvoir, sa nature et l’essence de ceux qui aspirent à l’exercer. Je ne ferai allusion à aucun événement politique marquant qui serait en train de se dérouler sous yeux, que ce soit en Europe ou dans une autre partie du monde. Il s’agit tout simplement d’exhumer une métaphore filée, ou plutôt une belle allégorie biblique qui se trouve dans le livre des Juges, un livre plus bâti sur une idéologie religieuse (largement deutéronomique) que sur une relation fondée à l’Histoire. Mais c’est souvent ainsi dans la littérature religieuse ou sapientielle de l’Orient ancien.

Qu’est ce le livre des Juges ? Après le Pentateuque, les cinq livres de Moïse dont la mosaïcité est loin d’être avérée, on lit le livre de Josué, son successeur. Ce livre retrace la conquête, réelle ou supposée, de la terre de Canaan par les Hébreux délivrés de la captivité d’Egypte. Immédiatement après Josué on trouve justement ces juges qui étaient des guerriers ou des hommes ordinaires, issus des différentes tribus qui n’avaient pas encore réalisé leur unité pour donner, au moins deux siècles plus tard, cette fameuse monarchie davidique unifiée que les historiens suspectent de n’avoir jamais existé. Mais ce n’est notre sujet présentement.

Dans ce livre des Juges, plusieurs personnalités se détachent dont le cycle est proprement extraordinaire. Il y a Ehoud, Yaïr, Samson et Gédéon, aussi connu sous le nom de Yeroubaal, ce qui signifie= que le Baal s’en prenne à lui (car ce héros avait renversé son autel). Ce qui m’intéresse ici, c’est bien ce Gédéon dont le nom en hébreu veut tailler, casser.

Un dernier mot sur l’idéologie de ce livre : il s’agit de montrer le bien-fondé d’un principe deutéronomiste. C’est de Dieu que proviennent le salut et la quiétude de son peuple Israël. La structure profonde du livre se nomme le pragmatisme à quatre termes qui sont les suivants :

a)    Israël fait preuve d’infidélité à l’égard de Dieu
b)    Dieu envoie un oppresseur qui persécute et asservit Israël
c)     Israël se repent et opère un retour vers Dieu
d)     Dieu suscite un sauveur / juge  qui le sauve de la main de son persécuteur.

Telle est la loi fondamentale, pourrait-on dire, de ce livre des Juges.

Je me rapproche de mon sujet en notant que ce livre brille par quelques couplets anti-monarchiques puisqu’il souligne bien «qu’en ce temps là, aucun roi ne régnait encore sur Israël, chacun faisait ce qu’il voulait…» Cette indication, apparemment anodine, comporte peut-être un intéressant indice sur la datation de ce texte.

Après bien des péripéties, ce Gédéon, d’abord rejeté par les siens en raison de sa médiocre extraction,, se voit par la suite courtisé et adulé par les dirigeants de sa ville qui lui demandent de prendre la tête d’un soulèvement contre les occupants oppresseurs. Gédéon remplit sa mission avec succès et règne un certain nombre d’années, laissant derrière une très nombreuse progéniture car, dit la Bible, il avait un grand nombre de femmes et de concubines. A sa disparition se posa le problème de la succession car il avait 70 descendants.

L’un d’entre eux, Abimélech, fils d’une simple servante, s’arrange pour tuer tous ses frères et va conspirer auprès des maîtres de la ville de Sichem dont sa mère était originaire. Il réussit à les circonvenir et se fait élire roi. L’unique survivant du massacre, son demi-frère Yotam, apprend la nouvelle et tient, juché sur une colline aux environs de Sichem (un peu comme Jésus sur la montagne, ou même Moïse), un discours parabolique parmi les plus beaux et les plus sensés de la Bible hébraïque.

Yotam adresse ce discours aux maîtres de Sichem pour leur montrer  leur légèreté et l’inanité de leur choix.

Les arbres de la forêt se cherchent un roi destiné à régner sur eux. Ils s’adressent à l’olivier qui refuse sèchement tout en motivant sa décision : pourquoi renoncerait-il à son huile qui réjouit Dieu et les hommes afin de se balancer au-dessus des arbres (verbatim) ? Les arbres vont voir le figuier, autre plantation si importante en Orient et reçoivent la même réponse négative : pas question de renoncer à son fruit si doux et si délicieux pour se balancer au-dessus des arbres. Ne se décourageant guère, les arbres se présentent devant la vigne qui refuse d’abandonner son fruit dont on fabrique le vin pour aller faire le zouave au-dessus des arbres… De guerre lasse, les arbres s’adressent au buisson d’épines (allusion à Abiméléech, le meurtrier de ses frères) qui est le seul à accepter. Et qui se fait même menaçant puisqu’il pourrait émettre un feu qui brumerait tout…

La morale de l’histoire est limpide : seul le bois, tout juste bon à brûler, accepte la fonction royale. La fécondité et la productivité des oliviers, figueirs et de la vigne, s’opposent à la stérilité du buisson. Lequel est prêt à tout pour accéder au pouvoir. J’ai déjà signalé supra que ce couplet était violemment anti-monarchique, mais il pointe aussi, je pense, l’inanité et les tourments de tout leadership politique, qu’il fût tribal, royal ou même républicain.

Mais il existe tout de même une justice immanente puisque le meurtrier usurpateur finit très mal… Cet homme aura une fin tragique, cependant : ayant assiégé une tour, il reçoit sur le crâne une meule jetée par une femme. Agonisant, il prie son écuyer de l’achever car il ne veut laisser le souvenir d’un roi tué par une.. femme

Les leçons à tirer sont multiples : pour parvenir au pouvoir, on est parfois conduit à utiliser des moyens pas très cachers. Ceux qui opèrent le choix de cette élection se trompent souvent et ne sont pas assez regardants sur la moralité de leur protégé. Enfin l’exercice du pouvoir n’est jamais vraiment innocent ou éthique. La nature humaine est ainsi faite et ne changera jamais.

Ce discours parabolique a dû être couché sur le parchemin il y a au moins deux millénaires, même si des réviseurs l’ont revu et corrigé selon l’idéologie deutéronomique. Est-ce que les choses ont changé depuis ? Est-ce que l’humanité dans son ensemble est  mieux dirigée, mieux gérée ?

Aux experts de décider. Mais avouez que la lecture attentive des Ecritures est toujours très instructive.

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