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Ni droite ni gauche, retour au paradigme platonicien?

Ni droite, ni gauche, les dessous de la crise brésilienne. Retour vers l’idéal platonicien du philosophe-homme s’Etat ?

 

La crise brésilienne qui n’est pas prête de s’arrêter ne manquera pas d’être riche en enseignements. Les manifestants, tous étudiants ou membres de la classe moyenne éduquée et cultivée, auxquels se sont hélas mêlés des bandes de casseurs et de pilleurs, viennent de dénoncer le régime politique quel qu’il soit, de droite ou de gauche. C’est bien la première fois qu’un pays qui compte parmi les plus prometteurs aujourd’hui et qu’on nomme les pays émergents, remet en question de manière globale le régime politique en général. C’est rarissime et cela vaut la peine d’être souligné.

 

Que veulent ces impressionnants et interminables cortèges de mécontents ? Au fond, on ne sait pas très bien puisque le mouvement est authentiquement spontané et ne dispose d’aucun soutien partisan ni n’a été suscité par quelque leader que ce soit. Ni parti politique, ni action écologique, ni mouvement syndical. Et ceci est d’autant plus surprenant que le parti des travailleurs y règne depuis plus de dix ans. C’est ce même régime dont les manifestants ne veulent plus : et l’actuelle présidente a beau donner raison aux mécontents pour se placer habilement du même côté qu’eux et prétendre trouver ailleurs l’objet de leur mécontentement, les gens ne veulent rien entendre. Pourquoi ? Parce qu’ils exigent non plus un changement DU système mais un changement DE système.

 

Dans quelque temps, peut-être une poignée de mois ou d’années, des sociologues qui ne doutent de rien prétendront avoir élucidé les ressorts intimes de ce phénomène largement imprévisible et dont l’alchimie reste impénétrable : des manifestations, des violences, des tourments, la société brésilienne en a tant connus mais jamais quelque chose d’aussi inouï ni d’aussi inexplicable. On pointe la corruption à très grande échelle, l’impéritie gouvernementale et un nombre sans cesse croissant d’équipements publiques restés inachevés ou simplement  jamais entamés en dépit de tant de promesses. Non tenues comme les précédentes.

 

Bien que le mouvement ne soit pas de même nature que ce qui se passe dans les pays arabo-musulmans, une approche comparatiste n’est pas saugrenu. Lorsque les premiers manifestants commencèrent à se rassembler sur le Meidane al-Tahrir au Caire, le pouvoir ne leur prêta aucune attention. On connaît la suite : une irrépressible lame de fond a tout balayé, tant et si bien qu’aujourd’hui encore, plus de deux ans après le soulèvement, on se demande si l’actuel président islamiste va aller jusqu’au bout de son mandat. C’est d’ailleurs peu probable quand on voit l’état de délabrement de l’économie et le triste paysage qu’offrent les institutions. Et les quelques milliards prêtés par les émirats ne changeront rien à cette situation préoccupante. Là encore, on ne comprend pas très bien ce qui s’est passé : cela faisait des décennies que le fellah égyptien vivait une existence précaire, mais là, même après l’installation d’un régime islamiste qu’il semble avoir appelé de ses vœux, il ne se déclare pas satisfait pour autant.

 

Et nous avons d’autres exemples de ce type de soulèvement spontanés et authentiquement populaires. Depuis la mort ignominieuse de Kadhafi, il ne s’est trouvé personne pour tenter une restauration ou la défense, même pacifique, de sa mémoire et de son régime… Or, le tyran de Tripoli a régné sans partage durant plus de quatre décennies, sans tolérer la moindre opposition. C’est qu’il existe désormais au sein des peuples une irrépressible envie de vivre libres.

 

On pourrait ajouter le cas tunisien et le cas syrien. Ici aussi, dans les deux cas, une sorte de crise libertaire a jeté hors des frontières deux tyrans cupides et sanguinaires, même si le tyran syrien est encore en sursis. Pour combien de temps ? Pas très longtemps. Mais les similitudes sont là, in déplaçables : les Tunisiens ont déjà vécu une grande crise gouvernementale et la question de l’islamisme n’est toujours pas réglée. Quant aux Syriens, il suffit de voir les divisions de l’opposition syrienne à l’étranger pour comprendre qu’ici aussi la population ne veut pas se couler dans un moule qui s’avérerait être, par la suite, un carcan rigide.

 

Mais le cas le plus intéressant et le plus instructif est incontestablement la Turquie qui a elle aussi un premier ministre islamiste depuis plus d’une décennie et dont la partie la plus évoluée et la mieux éduquée de la population réclame sans cesse le départ. Nul ne croira que c’est un simple plan de rénovation urbanistique qui a mis le feu aux poudres… Ne confondons pas cause et prétexte, incendie majeur et feu de paille. Et si c’en était un, les manifestants ne seraient jamais revenus à la charge avec une telle vigueur quand on voit comment les forces de l’ordre les ont boutés hors de Taksim et du parc avoisinant.  Là encore, des débuts timides risquent de donner naissance à une véritable lame de fond…

 

Alors que se passe-t-il au juste dans tous ces pays et qui pourrait se reproduire aussi dans nos contrées civilisées et démocratiques, comme un lointain écho du mouvement des indignés ? Comme aucun régime n’est plébiscité, et –j’y insiste- ni la droite ni la gauche ne sont plus crédibles, les peuples souhaitent peut-être confusément un retour à l’idéal platonicien de la cité antique. Une sorte de cité idéale régie par le philosophe-homme d’état, un dirigeant incorruptible, désintéressé des biens matériels attachés à l’exercice de sa fonction, économe des deniers de la collectivité et ne songeant plus à récompenser ceux qui lui ont permis d’accéder à la magistrature suprême en finançant sa campagne électorale. Certes, même chez Platon il y a loin de la coupe aux lèvres et dans certains cas cette démocratie athénienne, maintes brandie en exemple, virait vite à la dictature. Voyez Socrate et la ciguë.  Mais je parle du modèle et non de sa traduction dans les faits.

 

Si les gens jugent qu’un même discrédit frappe tant la droite que la gauche par qui donc veulent ils être gouvernés ?  On ne va tout de même en revenir au fameux cri : mon royaume n’est pas de ce mon de ?

 

Souvenez vous de ce désenchantement du monde dont parlait Max Weber ; il semble bien qu’il soit à l’œuvre cet an-ci… Les citoyens sont à la recherche de gouvernants insoupçonnables, irréprochables et incorruptibles.  Le meilleur exemple en fut le général de Gaulle qui laisse derrière lui une réputation indiscutable, si on excepte les conditions de son retour en 1958 et le fait qu’il devait s’appuyer un parti politique, l’UDR. Mais François Mitterrand avait fait une autre réponse à la question posée : vos hommes politiques sont à votre image, avait il cru devoir dire à ses compatriotes. Cela témoigne d’un excellent sens de la répartie mais aussi d’un non moins remarquable cynisme politique : je suis comme je suis car vous êtes comme vous êtes… On attend plus d’un chef d’Etat.

 

C’est précisément ce que les peuples se refusent à accepter. Ils réclament, parfois même sans le savoir, le retour ou l’instauration de ce prince, philosophe-homme d’état qu’ils estiment parés de toutes les vertus. Principalement celle qui consiste à gouverner les autres sans jamais penser à soi-même.

 

Au fond, Platon n’est pas si mal, même si ses idées politiques ne sont pas toutes d’une perfection absolue.

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