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Un film récent sur la dénazification...

 

 

Allez voir le film Le labyrinthe du silence

Hier soir je suis allé voir ce film, qui est très bien fait et qui parle des ratés, des aléas de la dénazification dans l’Allemagne post-hitlérienne. Un jeune procureur débutant affronte, seul ou presque, aux côtés d’un journaliste un peu singulier, l’indifférence puis l’opposition marquée à toute tentative d’inspecter ce passé si douloureux du pays où il est né. Les échanges sont fins et bien tournés, les acteurs bien choisis. On sent une volonté de traiter le sujet de façon sérieuse mais qui ne soit pas ennuyeuse.

Lorsque le jeune procureur se met à enquêter sur Auschwitz il est consterné en découvrant  que nombre d’Allemands, surtout de la jeune génération, ne sont au courant de rien, ignorant les horreurs commises en leur nom par des tortionnaires qui se sont reconvertis dans tous les secteurs de la vie sociale.  Le jeune procureur décide de se lancer dans l’enquête qui menace de bouleverser le quotidien d’une petite cité allemande, toute proche d’une métropole, Francfort sur le Main.

La première difficulté à surmonter, après l’hostilité des collègues, n’est autre que le mutisme des victimes qui rechignent à revenir sur leur calvaire dans un environnement où ils sentent accusés, oui mis en accusation en vertu même de leur statut de victimes ; un peu comme si on leur reprochait de rouvrir des plaies que l’on voudrait voir cicatrisées au plus vite, tant elles replacent toute la société face à ses responsabilités.

Peut-être y a t il aussi un léger dérapage ou simple glissement lorsque le héros du film, ainsi que son amie et le journaliste qui a porté la question sur la place publique, sont eux aussi indirectement impliqués dans cette sinistre affaire ; le père du jeune procureur et celui de son amie ont été membres du parti nazi, le journaliste a été envoyé par les Nazis à Auschwitz alors qu’il n’avait que seize ans, le père de la petite amie reçoit ses camarades de régiment pour des beuveries où l’on chante de guerre, comme au bon vieux temps… Bref, personne n’est épargné. C’est peut-être vrai, c’est peut-être faux, mais le risque est de voir se profiler l’accusation de responsabilité ou de culpabilité collective (Kollektivschuld), un point de vue développé par un officier de l’armée américaine qui ouvre ses archives sur une dénazification bâclée. Est ce que tout le peuple allemand est responsable ? D’aucuns le pensent, arguant que sans sa complicité, au moins passive, jamais un tel régime n’aurait pu faire de telles choses. Mais l’héroïsme quotidien n’est pas la chose du monde la mieux partagée… N’oublions pas que même les enfants pouvaient dénoncer leurs parents si ces derniers n’étaient pas de fervents partisans du régime nazi. Toutes les classes sociales étaient touchées par une idéologie barbare qui avait étendu ses tentacules sur tout, absolument tout.

 Le jeune procureur qui est horrifié en découvrant l’étendue du mal manque de peu de sombrer dans le découragement et l’alcool ! C’est sa mère qui, bien involontairement, lui porte le coup de grâce quand elle lui apprend que l’homme avec lequel elle veut refaire sa vie, était membre du parti nazi, tout comme son… propre père…

Cela peut paraître un peu excessif mais le film tend à montrer qu’aucun espace sain n’a pu être préservé au sein de la société allemande de cette époque et que l’esprit nazi s’est introduit un partout. Même les églises chrétiennes ne furent pas à l’abri, quelques très rares exceptions lui ont tout de même permis de sauver l’honneur.

Que devait on faire de toute cette population ? Pratiquer une sorte de purification, non plus ethnique mais idéologique ? Impossible, c’eût été marcher dans les traces des bourreaux d’hier.

Quelques exemples : le professeur d’histoire du lycée local a été actif parmi les tortionnaires d’Auschwitz, le boulanger-pâtissier qui produit de si bons petits croissants qu’il offre à tout le monde, est un ancien criminel, les élites locales ne sont pas épargnées, bref tout le monde a quelque chose à se reprocher. Seul, isolé dans sa propre administration, le vieux procureur général tient bon et permet à son assistant, le héros du film, de mener l’enquête et d’instruire l’accusation, conformément aux règles juridiques en vigueur : des témoignages clairs, des preuves irréfutables, des éléments factuels (noms des victimes et de leurs tortionnaires, des dates, des lieux, etc) : on l’oublie souvent, mais c’est aux victimes d’apporter la preuve irréfutable des sévices qu’elles ont subies ! Or, que souhaitent-elles ? Avant tout, qu’on oublie, qu’on ne revisite pas un passé si douloureux qu’elles ne veulent plus revivre, surtout quand son voit de quoi sont capables les avocats qui assurent la défense les bourreaux.

                  Lors de la phase la plus grave du découragement , le héros du film veut absolument mettre la main sur le Dr Josef Mengele qui faisait des expériences si barbares et si inhumaines sur des enfants vivants, et notamment des jumeaux. Le jeune procureur est horrifié par le témoignage d’un Juif, rescapé d’Auschwitz dont les filles jumelles ont été livrées à ce monstre. On apprend que ce médecin dévoyé se rendait en Allemagne  après la fin de la guerre, dans la maison de ses parents sous une fausse identité, sans qu’aucune autorité judicaire, parfaitement au courant, n’ait jamais songé à lui demander de rendre des comptes. A la suite du décès de son père, Mengele a même le front de quitter son repère sud américain pour se rendre à ses obsèques et quitter ensuite l’Allemagne toujours sous une fausse identité, sans être le moins du monde inquiété. Mais qui donc lui a fourni de faux papiers ?

Il y a là un fait historique incontestable : même si une série de procès a bien eu lieu, une partie de l’institution judicaire allemande n’a pas ménagé ses efforts pour venir en aide à des criminels nazis en quête de havres lointains, hors d’atteinte du bras de la justice. Le film en donne quelques exemples lorsque les collègues du jeune procureur expliquent à ce dernier que tous ces hommes étaient des soldats qui ont accompli leur devoir. Et rien d’autre. Ceci est évidemment inacceptable et pourtant même Adolf Eichmann, et avant lui les principaux accusés de Nuremberg, ont tenté de se prévaloir de cela pour échapper à leurs responsabilités dans le génocide.

On peut se demander pourquoi ce film paraît maintenant, à cet instant précis, à un moment où l’Europe enfin réunifiée, a rejeté loin d’elle les vieux démons du passé, et où l’Allemagne est bien arrimée au camp de la démocratie.

Je pense que la création de ce beau film contribue à l’effort mémoriel qui ne doit jamais se relâcher. A mes yeux, la question prend un relief particulier. Par ma forma de philosophe et de germaniste, je n’arrive pas à comprendre comment une nation chrétienne, une nation si civilisée avec une si haute culture, a pu sombrer dans un tel abîme de cruauté et de barbarie. Je ne suis pas d’accord avec la déclaration d’un grand spécialiste comme Peter Gay aux yeux duquel l’antisémitisme est un fait culturel permanent dans l’histoire allemande…… Cela posé, je ne parviens à prouver qu’il a entièrement tort, il a en partie raison, mais cette raison me gêne considérablement.

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