Le départ des Juifs de France pour Israël : un phénomène inéluctable ? Ce thème, je dois l’avouer, m’a toujours mis mal à l’aise. Je ne voulais pas le prendre en considération, arguant que la presse, en mal de sensations fortes en cette période creuse de l’été, nous resservait de vieux marronniers. ET voici que des visites sur les plages de Tel Aviv, de Herzliya ou de Netanya m’ont contraint d’admettre cette évidence : de plus en plus de citoyens français de religion juive préparent leur aliya en Israël sous différentes formes. La configuration la plus fréquente et peut-être aussi la plus simple consiste à envoyer les enfants poursuivre leurs études supérieures en Israël tandis que leurs parents prennent leur temps pour liquider leurs affaires sur place et voir venir. Qui sait ? Peut-être y aura-t-il une hypothétique embellie permettent de croire, même confusément, que les Juifs ont encore un avenir en France. L’autre façon d’émigrer touche les retraités ou les préretraités qui s’installent définitivement ici même en Israël et continuent de faire des allers-retours à Paris ou en province. Comment ai-je fini par me rendre à l’évidence ? Je n’entends que cela sur les plages prises d’assaut par des compatriotes, sur les terrasses des restaurants à Tel Aviv, à Herzliya, Natanya et ailleurs. Tous ces citoyens français de confession juive ne parlent que de cela. Dans certains quartiers, vous chercheriez vainement des locuteurs de l’hébreu et vous auriez du mal à en trouver. Si vous allez chercher la version française du Jerusalem Post, une fois sur deux, le stock du libraire est épuisé tant la demande, chaque mercredi matin, est forte. Un autre indice insinue dans le même sens, celui d’une tendance lourde inclinant vers cet exil étrange et tout à fait inattendu : les constructions d’habitations en Israël, toujours dans les mêmes villes, avec une prédilection pour les cités traditionnellement francophones : Natanya, Ashdod (la cinquième ville d’Israël), Ashkelon et quelques autres agglomérations moins connues comme Raanana, Pardessiya, etc... Ces immeubles, parfois construits très près les uns des autres, signe que chaque mètre carré coûte cher en Israël, poussent comme des champignons et sont achetés sur plan. Et les prix évoquent ceux de l’immobilier à Paris et dans les grandes villes françaises. L’été bat son plein en Israël. Il y a eu de puissantes vagues de chaleur, parfois au-dessus de 40° : je puis en témoigner personnellement. Les gens sortent donc le soir, les meilleurs restaurants de Herzliya sont prises d’assaut, et quand vous avez la chance de trouver une table, vous entendez les conversations des tables voisines. Les thèmes les plus récurrents ne varient guère d’une table à l’autre. Et parfois ce sont des visages familiers qui viennent vous complimenter sur votre dernier livre ou votre dernier article dans le Huff. Ou ailleurs. Et voici ce qu’on vous dit : Alors, vous avez fait votre Aliya ? Où habitez vous désormais ? Quant à nous, disent ils, presque unanimement, nous ne voyons plus d’avenir pour nous à Paris… Et de citer pêle-mêle la sanglante agression visant l’Hyper Casher, la tuerie de Charly Hebdo, les incidents avec les jeunes des banlieues sur la voie publique, la nécessité de poster des agents statiques devant les synagogues et les autres institutions juives, à Paris comme en province. Bref, un sentiment diffus mais très réel d’insécurité et l’impression, sans cesse croissante, que le ou les gouvernements ont perdu la main. Bref que la situation n’est plus contrôlable, et ce pour plusieurs raisons : crainte de combattre frontalement le communautarisme et le terrorisme, désir subliminal d’attirer à soi certains électeurs qu’il ne faut surtout pas brusquer, etc… Tel Aviv constitue un cas à part car le marché de l’immobilier y est très peu abordable pour des bourses moyennes. Mais cela n’a pas empêché un nombre considérable de citoyens français de s’y établir, malgré tout. Si vous vous installez à la terrasse du café-restaurant qui jouxte l’Institut français de la ville, vous pourrez passer l’essentiel de votre commande aux serveurs dans la langue de Molière… Mais dans toute cette litanie, dans cette liste interminable de griefs contre tout ce qui périclite en France, pas une fois les belles et sincères déclarations du Premier Ministre Manuel Valls ne sont citées. Or, cet homme politique a prononcé des discours remarquables à l’Assemblée Nationale sur le sujet. Quand vous en faites la remarque à des interlocuteurs, ceux-ci rétorquent que ce n’est pas tel ou tel homme politique qui sont en cause, mais tout un climat : et de citer les cas d’agressions anti-juives consécutives au port de la kippa en public ou à un maguen David ostensible… De tels faits, et on le peut le comprendre sans peine, génèrent un climat d’insécurité. Un autre fait ne laisse pas d’inquiéter : les semaines de vacances ne servent plus exclusivement à se dorer au soleil, à faire la grasse matinée et dîner entre amis dans les meilleurs restaurants de Tel Aviv ou de Herzliya ; les gens profitent d’être sur place pour prospecter, voire acquérir un bien immobilier. Je n’oublierai jamais ce vieil avocat parisien connu qui me croisa sur place et dont la première phrase, après m’avoir dit bonjour, fut celle-ci : enfin, j’ai une adresse à Tel Aviv. Je ne sus que répondre et il lut dans mes yeux une certaine incompréhension. Il ajouta donc cette phrase de ses petits enfants : Grand père, nous ne voulons plus nous bunkeriser ni prier dans les synagogues, derrières des hommes en armes… J’avoue que cela m’a coupé l’appétit. On aura compris que c’est la transposition du conflit du proche orient qui pèse sur la vie quotidienne des Juifs français ou des Français juifs. Si rien n’est fait, le processus enclenché ira en s’accélérant. Un autre indice pointe dans la même direction, celle d’un exode, non encore massif mais soutenu, en direction de cette fameuse Terre promise que tant d’hommes et de femmes dans ce monde contestent aux fils d’Israël : c’est la création de nouvelles radios et de télévisions francophones. La dernière en date est, si je ne m’abuse, la TAF Radio (Tel Aviv francophone), magnifiquement installée dans une très belle avenue de Tel Aviv, non loin du quartier Sarona où un beau stand de Fauchon vous tend les bras… C’est un morceau de France qui vous donne l’impression que vous êtes encore chez vous, que vous n’avez pas changé de vie, que vous restez encore et toujours fidèle à notre belle socio-culture française Enfin, un dernier point, assez inattendu, il faut bien dire, mais qui constitue un renfort inespéré pour les candidats au départ : le livre Soumission de Michel Houellebecq. Un bon nombre de gens le lisent sur les plages. L’auteur a du style, mais sa thèse sur l’islamisation de la France est ici prise très au sérieux, même si elle paraît incroyable. Et j’ignore si cet auteur l’a fait volontairement mais il met en scène une de ses jeunes maîtresses, juive de Paris, qui lui annonce après une dernière nuit d’ébats amoureux, son départ pour la pays de ses ancêtres… Un divorce entre la France et ses fils de confession juive ne serait pas seulement un désastre, ce serait aussi une douleur indicible sur tous les plans. Il est encore temps d’apporter un démenti à Houellebecq, un bon écrivain dont j’ai bien apprécié La carte et le territoire…