Une affaire Fillon ?
L’observateur qui se veut impartial en abordant cette véritable tempête médiatique n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles tan cette entreprise de déstabilisation est incommensurable C’est du jamais vu mais une fois que l’esprit critique reprend ses droits –et cela prend du temps tant les forces lancées dans la bataille sont considérables- deux faits émergent et expliquent largement la situation déplorable dans laquelle nous nous trouvons : d’une part la tyrannie d’une certaine presse, notamment satirique qui doit sa notoriété et sa prospérité à l’excès et à la démesure, et d’autre part, l’excessive judiciarisation de la vie publique.
En 1935, Emmanuel Levinas, douze ans après avoir quitté sa Lituanie natale pour devenir français et devenir ce qu’il est devenu, publiait un bel essai philosophique, intitulé De l’évasion. Ce texte fut republié en 1982 par le regretté Jacques Rolland avec une brillante introduction et des notes très éclairantes. J’extrais de ce traité une phrase qui me semble contenir une façon d’écrire et de parler dont la quasi-totalité des journalistes et des commentateurs auraient dû s’inspirer avant de s’engager dans une opération plutôt navrante : Nous accédons au monde à travers les mots et nous les voulons nobles… (p112)
Les coups furent rudes et on ne se demande même plus, aujourd’hui, pour quelle raison toutes ces affaires autour du statut de l’assistant parlementaire surgissent maintenant. Au fond, quand cette affaire se dégonflera, que retiendra-t-on ? Simplement que le statut de l’assistant parlementaire n’est pas clair, notamment sur la grille indiciaire et sur le droit ou non d’employer des membres de sa famille (épouse, enfants, cousins ou apparentés). Certains journaux, désireux de vendre un peu plus que d’habitude ou de faire de l’audimat, ont annoncé des sommes globales portant sur de nombreuses années afin d’inciter la France dite d’en bas à s’indigner et à critiquer les élites qui ne vivent pas comme elle.
Je perdrais mon temps si je faisais l’inventaire de tous les griefs, réels ou imaginaires, formulés contre François Fillon, un candidat sorti vainqueur, haut la main, de la primaire de la droite. Des millions d’ électeurs se sont reconnus en lui et en son ‘programme et voila que tous ces Français ont la désagréable impression qu’on veut les frustrer de leur victoire, édulcorer leur choix, bref invalider leur candidat. Ces millions de Français se disent choqués par ce qu’ils découvrent mais que découvrent ils au juste ? Que l’intéressé n’a pas commis d’infraction caractérisée mais qu’il a fait preuve d’une incroyable légèreté dans un pays comme la France, vieille entité catholique qui entretient avec l’argent des rapports ambigus.
Mais si le statut de l’assistant parlementaire avait existé, et on espère que l’une des retombées positives de toute cette affaire conduira à en voter un à l’Assemblée Nationale, tout ceci n’aurait jamais eu lieu.
En France, à l’approche de chaque élection présidentielle, différentes officines s’attellent à constituer des dossiers compromettants sur les candidats afin de s’assurer une victoire qui d’ailleurs est toujours tangente : ce n’est pas un grand écart qui sépare l’élu du battu.
Je voudrais en guise de conclusion dire ma stupéfaction de voir traîner dans la boue une femme, une mère de famille, visiblement dépassée par tout ce qui lui arrive. Aller exhumer une émission de télévision, vieille de près de dix ans pour exploiter une seule petite phrase arrachée à son contexte, n’est pas très glorieux… Surtout quand on instruit constamment à charge.
Voici à présent un passage d’un texte d’un homme de lettres français, oublié ou presque aujourd’hui, Maurice Blanchot, un grand ami d’enfance du philosophe Emmanuel Levinas dont il contribua à cacher l’épouse et la fille durant l’Occupation alors que Levinas était en captivité en Allemagne. Cet extrait provient d’un article intitulé Le dernier mot et fut publié dans Le ressassement éternel en 1951. Je pense que ce texte, presque visionnaire dit bien ce qu’il veut dire, surtout si on en fait une interprétation allégorique : Je m’enfuis. Déjà avait commencé le crépuscule. La ville était envahie par la fumée et les nuages. Des maisons, on ne voyait que les portes, barrées par de gigantesques inscriptions. Une humidité froide brillait sur le pavé des rues. Lorsque j’eus descendu l’escalier, près du fleuve, des chiens de grande taille, des espèces de molosses, la tête hérissée de couronnes de ronces, apparurent sur l’autre rive. Je savais que la justice les avait rendus féroces pour faire d’eux ses instruments occasionnels. Mais, moi aussi, j’appartenais à la justice. C’était là ma honte : j’étais juge Qui pouvait me condamner ? Aussi, au lieu d’emplir la nuit de leurs aboiements, les chiens me laissèrent ils passer en silence, comme un homme qu’ils n’auraient pas vu. Ce n’est que bien après mon passage qu’ls recommencèrent à hurler, hurlements tremblants, étouffés qui, à cette heure du jour retentissaient comme l’écho du mot : il y a… Voila sans doute le dernier mot, pensais=je en les écoutant
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 4 février 2017