La France traverse une grave crise morale
Si un martien nous observait de sa lointaine planète, il se dirait que la France ne tourne vraiment pas rond, et ce à quelques semaines d’une élection censée déterminer son avenir proche. C’est le désarroi le plus complet, alors que ce pays est l’un des plus beaux au monde, les autres nations lui envient son mode de vie, sa protection sociale, la formation poussée de ses citoyens, la beauté et la variété de ses paysages, bref le pays de Molière a toutes les raisons de se sentir bien et d’être heureux. Pourtant, c’est exactement le contraire qui se produit. Pourquoi ?
La France traverse une grave crise morale
Je ne prétends pas, dans les lignes suivantes, résumer les raisons de ce mal français mais il faut bien signaler quelques points autour desquels se noue ce qui pourrait devenir un vrai drame national, si l’on n’y prend garde.
Le premier point, probablement le plus dangereux, le plus menaçant et qui est passé presque inaperçu, du moins quant à ses conséquences proches et lointaines, c’est l’impossibilité pour l’actuel président de la République de sa représenter alors qu’il avait déployé les efforts les plus vigoureux pour entrer en lice. Que l’on me comprenne bien, il ne s’agit pas de plaider en faveur du bilan de l’actuel président de la République, qui, en tout état de cause, a droit à notre respect et à notre impartialité ; on doit réaliser que la conjonction de forces et d’intérêts multiples ont contraint ( je dis bien contraint) un chef de l’Etat en exercice à renoncer, à mettre pied à terre… Cette décision, absolument inouïe sous la Ve république, a, d’une manière certaine, affaibli l’autorité de l’Etat, du gouvernement, de tout ce qui détient en France une parcelle de pouvoir. Il eût fallu, dans le sillage de cette décision de retrait, convoquer des élections à la fois présidentielles et législatives afin de montrer qu’il n y avait pas de vacance du pouvoir ni d’interrègne. Qui a pu orchestrer un tel chamboulement ? Oh, on finira bien par le savoir mais il est déjà clair que le propre camp du président n’est pas entièrement innocent dans cette affaire. La suite le prouve, notamment les soudaines vocations à se substituer au président sortant, au sein même de son propre gouvernement, donnent des mœurs politiques une mauvaise image.
Le second point, d’une autre nature mais qui revêt la même gravité, se résume à ce qu’on appelle l’affaire Fillon, une affaire qui commence à perdre de son ampleur et qui a donné au candidat de la droite et du centre l’occasion de montrer sa solidité après quelques semaines d’un flottement bien compréhensible. Là aussi, je demande que l’on me comprenne bien : comme le dit la théologie catholique, il n’est pas question à donner Dieu à qui que ce soit sans confession ; seul le Seigneur est à même de sonder les reins et les cœurs… Mais comment a-t-on pu faire d’une simple affaire de versements de fonds un monument ? Il eût fallu préciser juridiquement le statut de l’assistant parlementaire, dire qui on peut embaucher, comment et combien les payer, bref mettre un peu d’ordre dans cette jungle… Mais fallait il faire de toute la France une immense caisse de résonance ? Fallait-il que le pays tout entier fût suspendu aux révélations d’un journal satirique dont les révélations, si correctes soient-elles, ont contrarié le choix de millions de Français ? Le rôle d’une certaine presse retient, ici aussi, l’attention. A nouveau, je prie que l’on ne se méprenne pas sur mon intention : l’enquête en cours isolera le vrai du faux, si on n’instrumentalise pas la justice. Une chose n’en reste pas moins claire : après le résultat des élections, on finira bien par savoir qui est derrière tout cela. Mais il est vrai, le mal est fait et ce qui apparaissait comme une formalité évoque désormais une sorte de mythe de Sisyphe de notre temps. En politique, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir et nul n’est à l’abri de bonne surprises… Mais ce qui tempère mon optimisme, ce sont les nouvelles cibles de cette même presse qui s’en prend désormais au candidat de l’ancien gouvernement et à la présidente du parti d’extrême droite.
Le dernier point (en fait il y en aurait tant d’autres mais il faut bien conclure un éditorial) relève de la politique intérieure et ne laisse pas d’être inquiétant : la France est malade de ses immigrés. Pourtant, nos différents gouvernements de droite comme de gauche, ont, depuis, au moins trente ans, injecté des milliards dans la politique de la ville, en vain ! Certes, tout le mal n’est pas d’un seul côté car pour intégrer il faut être au moins deux ! Mais c’est la République qui doit donner le ton, agir, prendre des initiatives. Si l’on réalise que l’intégration, (je ne parle pas d’assimilation, ce serait excessivement optimiste) est chose impossible pour l’instant, alors on prend des mesures… Or, ce qui s’est passé dans une banlieue ne sera pas vite oublié. Mais là aussi, tout en manifestant une sincère empathie avec la victime d’un traitement si dégradant, il faut attendre pour séparer la vérité des faits de l’émotivité. Nous sommes un Etat de droit et pas un gigantesque reality show.
Pour faire toucher du doigt, l’état de déchéance dans lequel nous risquons de sombrer il faut une petite réflexion sur l’usage de deux termes dont le champ sémantique s’est totalement transformé : et dans le mauvais sens.
Il s’agit de CITE et de POLIS chez les Grecs ; certes, Platon parle de la CITE au singulier mais chez nous les occurrences de ce vocable, totalement dévoyé (comme quartiers) sont toujours au pluriel. Alors que Platon parle de la cité vertueuse nous parlons, au pluriel, de zones de non-droit ou presque. Cette dégradation des relations au sein d’une même nation coïncide avec l’insatisfaction des forces de police qui semblent ne plus croire en l’effectivité de leur mission : le maintien de l’ordre. Evidemment, la polis grecque ne signifie la police dans le sens précis du mot. Mais il faudrait que la France redevienne une CITE et non pas un conglomérat de cités.
Maurice-Ruben HAYOUN in La Tribune de Genève de 18 février 2017