Les Français et les élections: la rupture
Loin de dissiper les malentendus, de clarifier les choses, de ranger convenablement les enjeux, le résultat du premier tour de ces élections présidentielles nous fait pénétrer dans une vaste zone de turbulence, tant nous avons du mal à comprendre ce qui s’est passé. Ou plutôt nous comprenons l’étendue du bouleversement sans pouvoir nous y faire : à preuve, les réactions contradictoires au sein de ces grands partis d’hier, habitués à se succéder au pouvoir, à gérer seuls leurs petites affaires en se disant que de toutes façons il n y a pas d’alternative et que ce sont eux les politiques qui auront toujours le dernier mot. Mais voilà, cette ère est révolue.
Les Français et les élections: la rupture
Et de fait, en dépit d’un total discrédit que le premier tour a mis en exergue, la classe politique, de droite comme de gauche, n’avait pas l’intention de changer, de se pencher sur les réels besoins de nos compatriotes, de mesurer la pénibilité de leur existence quotidienne et leur désespoir croissant. Imaginez simplement l’angoisse de parents qui voient leurs enfants diplômés et aguerris, incapables de trouver un emploi. Quelle angoisse ! J’ai entendu une demoiselle d’une vingtaine d’années se lamenter au sujet de l’extrême difficulté qu’elle éprouve à trouver un emploi ! J’avais honte de notre impuissance. Et je ne parle même pas de ceux qui n’ont plus d’emploi depuis des années… Est ce étonnant que la course à l’échalote déclenchée depuis deux jours entre les deux candidats et dont une presse paresseuse fait ses choux gras colonise nos écrans de télévision ? A quel niveau se trouve la campagne présidentielle ?
Depuis des décennies, la classe politique se refusait à tenir compte de la longue et interminable clameur, déplorant tout ce qui ne va pas dans le pays. Les élites, encore elles, se bouchaient les oreilles et ne voulaient rien entendre. Est il étonnant que le FN soit devenu fréquentable pour des millions de Français ? Il ne faut pas pratiquer la politique de l’anathème qui n’a pas réussi à imposer un reflux au parti de Marine Le Pen. Ce parti est devenu, pour des millions de Français, un parti comme les autres. Voire mieux puisqu’il a survécu et qu’il figure au second tour.
Je ressens moi-même un doute. Qu’est ce qui nous différencie de ces millions de Français qui ont opté pour le FN ? Je les écoute à la radio et à la télévision, ce sont des Français comme les autres. Et les partis traditionnels désormais exclus de la compétition n’ont rien à dire, sinon à faire des offres de service à peine déguisées !! Alors que le pays s’interroge, s’apprête à faire un saut dans l’inconnu, deux anciens premiers ministres, d’innombrables députés sortants, essaient de se placer et de conserver leur statut d’élus alors qu’ils ont failli et que ce sont eux qui ont provoqué, par leur autisme politique, l’impasse dans laquelle se trouve, se débat, le pays. Nous n’avons jamais eu une si profonde division. Et c’est si dramatique que la lassitude gagne et qu’on en vient à souhaiter une seule chose : que tout s’arrête, advienne que pourra.
En effet, où en sommes nous ? Nous avons deux candidats entre lesquels rien n’est joué même si un léger avantage peut être accordé à l’ancien ministre de l’économie. Mais, en dépit du soutien résigné que veulent lui apporter les électeurs qui refusent Marine Le Pen, on sent sourdre de graves hésitations sur sa vie personnelle, son inexpérience, sa densité loin d’être à toute épreuve. Comment fera t il en cas de crise grave ? avec qui va t il gouverner ? Quelle sera la longévité de sa majorité parlementaire ?
Il est vrai que les mêmes questions se posent concernant son adversaire du FN. Son programme économique, sa volonté de quitter l’Europe et l’Euro, en ont découragé plus d’un. Si Marine Le Pen avait le doigté de s’écarter de ses projets aussi erronés, elle gagnerait beaucoup de voix. Mais ce qui frappe encore et toujours, c’est le discrédit des personnalités de droite, même dans le sud du pays, notamment dans le Var où l’immigration et l’insécurité, réelle ou supposée, conduisent le corps électoral à siffler les édiles …. Voyez le cas de ce pauvre Christian Estrosi qui se livre à un vrai drapier des lanciers, un pas en avant et trois pas en arrière. Chez lui, dans sa ville de Nice, il fut copieusement sifflé. Voilà un événement qui aurait dû le conduire à l’introspection politique, à une remise en question, eh bien non, il essaie de se placer, d’émerger contre vent et marée. Et il n’est pas le seul, hélas.
Au lieu de préparer fébrilement les élections législatives, même si cela peut se comprendre de la part de gens qui font de la politique leur principal métier, les élites devraient s’interroger et oublier leur petite personne. Cette politique du moi d’abord a été lourdement sanctionnée l’autre dimanche. Est ce que les politiques raisonnent comme nous ? Sont ils une humanité aux yeux de laquelle le pouvoir, les palais nationaux, les privilèges et tout le reste sont aussi importants que l’est pour nous l’air à respirer, condition sine qua non pour rester en vie ? Etrange.
On ne se fait pas d’illusion sur la suite. Quand on veut changer la politique il faut d’abord changer l’Homme. Et cela est pratiquement hors d’atteinte. Quand je pense qu’on place en tête du premier tour un jeune homme qui n’a pas quarante ans. Je sais que nous sommes le pays où la valeur n’attend pas le nombre des années, mais tout de même… Souhaitons lui bonne chance, s’il y arrive.
Croyez vous que le problème de la bonne gouvernance date d’hier ou d’aujourd’hui ? Croyez vous que depuis les origines, l’humanité n’ait jamais eu la moindre difficulté à se donner des chefs, des leaders ?
La Bible nous en offre de nombreux exemples. Déjà dans le Pentateuque, Moïse se risque à recruter des hommes de valeur (anshé middot) ; il insiste que leurs valeurs éthiques, suivez mon regard. Alors qu’aujourd’hui, ce sont les communiquants qui règnent sans partage. L’éthique est devenue une machine à perdre. Jamais nous n’oublierons cette phrase, sommet du cynisme politique, de Jacques Chirac : les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… Incroyable, et il fut tout de même élu et réélu, malgré tant de démêlés avec la justice.
Pour finir, je voudrais parler du chapitre 9 du livre des Juges qui remonte à plus de deux millénaires et qui contenait déjà une critique acerbe du processus de désignation d’un roi, d’un élu, d’un leader appelé à guider les autres. On nous sert une magnifique parabole, savoureuse par ses comparaisons et ses enseignements.
Un homme, l’un des fils de Gédéon, mécontent du choix des habitants de Sichem, leur donne le discours parabolique suivant : les arbres de la forêt ont voulu se donner un roi. Ils sont allés voir l’olivier pour qu’il règne sur eux. L’olivier répond : abandonnerai je mon produit phare, l’huile qui sert à oindre les rois, pour aller m’agiter au-dessus des arbres ? Retenez bien cette dernière expression, elle exprime la vanité du pouvoir. Les arbres tentèrent leur chance auprès du figuier qui fit la réponse suivante : renoncerai je à la douceur de mon fuit pour aller m’agiter au-dessus des arbres ? Ils allèrent voir la vigne qui leur dit : renoncerais à mon vin qui fait la joie des rois et des hommes pour aller me balancer au-dessus des arbres ? En désespoir de cause, les arbres firent la même proposition au buisson d’épines qui leur répondit ce qui suit: si vous voulez vraiment de moi, abritez moi à mon ombre, sinon qu’un feu sorte de moi et brule tout jusqu’aux cèdres du Liban…
Qu’on se rassure ni l’un ni l’autre des deux candidats n’est le buisson d’épines.
Mais on voit que la sagesse antique n’a pas pu donner la bonne réponse. Il n y a donc que de mauvaises solutions. Cette parabole, diadème de la sagesse orientale, n’a pas pris une ride.
Maurice-Ruben HAYOUN