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  • Lettres d'Israël VI: Le chabbat au Herods à la Mer morte

    Lettres d’Israël : chabbat au Herods à la Mer morte.

    Il est environ 15h30 quand le véhicule s’immobilise devant l’entrée principale du Herods. C’est un peu irréel, ce paysage lunaire avec en avant plan ce grand hôtel qui attire toujours autant de gens du monde entier. Nous l’avons connu et apprécié grâce à l’un des principaux managers, Mister Ismaïl, un bédouin devenu le gestionnaire avisé d’un si grand hôtel. Pour une fois, pas de file d’attente devant la réception, l’installation se fait très vite. Sitôt les valises déposées dans la chambre, je descends rapidement pour rejoindre la fitness room où je fais un peu d’exercice. C’est qu’il ne faut pas traîner car dans quelques heures, c’est l’entrée du chabbat. Et même s’il y a tant Russes qui ne sont pas juifs, l’atmosphère est tout de même étrange par rapport, je crois, aux autres jours.

     

    Après le sport, je rejoins Danielle qui se baigne dans cette eau chargée de sel et qui donne au corps une sorte de peau satinée. Le soleil darde ses rayons sur tous les baigneurs. Il y a encore du monde sur place, mais les Juifs les plus religieux sont entrés dans leurs chambres afin de se préparer à accueillir le chabbat.

     

     

    Comme nous avons avec nous une amie suisse Micaëlla G-M., nous convenons de nous retrouver devant l’une des salles à manger de l’hôtel. Vers 19h45, nous entrons dans la salle à manger et là, c’est indéniable, l’atmosphère est celle du chabbat. Le talmud le dit bien : ha-chabbat mé’eyn olam ha-bas : le Chabbat évoque quelque chose du monde futur. Encore cette obsession juive de faire le coup de Josué qui ordonne au temps de suspendre son vol : comme le disait Abraham Heschel dans on texte sur le chabbat et sa signification pour l’homme moderne, le temps du chabbat évoque l’éternité Plus prosaïquement, on change de registre C’est probablement ainsi qu’il faudrait interpréter la belle métaphore d’une âme supplémentaire (neshama yetéra). Certains se demandent même si la notion bergsonnienne de supplément d’âme ne vient pas des pâles origines juives du philosophe…

     

    Je vous ai parlé il y a un instant des bédouins dont l’Etat d’Israël a su faire des maîtres d’hôtel, des directeurs de salle et des serveurs. Certes, ils ne sont pas stylés comme à Paris, mais ils font de leur mieux. Je m’adresse donc à celui que je connais le mieux pour commander une bouteille de vin rouge sec gamla. Il apporte la bouteille et me la tend pour l’ouvrir car il sait que les Juifs hyper religieux tiennent à ouvrir la bouteille eux-mêmes et à se faire servir par des Juifs. Je lui fis la réponse suivante : vous savez , je suis juif mais j’ai oublié d’être idiot. Il éclate de rire, ouvre la bouteille, me fait goûter le vin. C’est excellent

     

    Les deux dames restent assises, comme chez mes parents à Agadir et moi je me lève pour réciter le kiddoush. Ensuite je récite les deux autres bénédictions. A la table de droite, une jeune maman fait réciter à sa petite fille la prière ha-motsi léhém min ha-aréts. Je cache l’émotion qui m’envahit. Une maman qui, sous nos yeux, éduque sa fille qui doit comprendre que le chabbat n’est pas un jour comme les autres.

     

    Conformément à leur habitude, et comme je vous l’ai déjà signalé en parlant du rapport des Juifs à la nourriture, les Israéliens se jettent sur les buffets qui sont plantureux.

    Je me rends compte que la totalité des jeunes serveurs et des maîtres d’hôtel sont des bédouins. L’Etat d’Israël a très intelligemment géré les Bédouins qu’il recrute pour son armée où ils forment des bataillons homogènes. Ils n’ont pas leurs pareils pour repérer les traces laissées par des infiltrations de terroristes. Dans l’obscurité, ils ont une vue perçante et jusqu’ici ils ont, comme les Druzes, fait preuve d’une totale loyauté à l’endroit de leur pays, l’Etat d’Israël.

     

    En allant moi aussi au buffet où ma femme a déjà repéré un plat de langue de bœuf à la marocaine, accompagné de délicieuses olives vertes, je me rends compte que je suis le seul à être en costume. La salle est bien climatisée mais dehors il fait encore trente degrés. Et il est plus de vingt heures.

     

    De retour du buffet, je tente de me faufiler entre ma chaise et celle de la voisine. Je lui dis en hébreu pardon (tisléhi li) et elle me répond comme seul un Israélien peut vous répondre : mais je vous ai déjà pardonné (kvar salahti lakh…). Il faut vraiment venir dans ce pays pour entendre de telles réparties.

     

    Toutes les langues (sans jeu de mots avec ce plat que je ne mange qu’une fois par an) se font entendre ici, mais l’hébreu est devenu la seconde langue du pays, au profit du russe. Figurez vous que les Bédouins comprennent l’hébreu, mais pas les femmes de chambre ukrainiennes ni les plagistes. Il faut parler russe : quand je dis à la femme de chambre que j’ai besoin d’un nouveau peignoir de bain, je dois faire une foule de gestes. Pas un mot d’hébreu ni d’anglais !!

     

    J’ignore à quoi ressemblera le chabbat dans cinquante ans en Israël tant les traditions locales divergent les unes par rapport aux autres. Mais, grâce soit rendue au ciel, les prières resteront les mêmes. Et ces visages rayonnants de Juifs âgés, de vieux Messieurs, grand old men qui récitent les prières suivant leur ancienne mélodie… A la limite, on oublierait de manger pour les écouter et les scruter.

     

    Vivre intimement le chabbat, c’est de cela précisément que je suis le témoin ce soir ; certes, il arrive qu’un touriste français, particulièrement arrogant, vienne tout gâcher en manifestant bruyamment sa mauvaise humeur car un Israélien a pris la table qu’il convoitait. Mais cette inconvenance ne suffit pas à rompre l’atmosphère presque magique que je ressens.

     

    Au-delà d’une certain âge on ne se refait pas : je me remets à penser, à me demander comment nous avons fait pour conserver, contre vents et marées, un dénominateur commun, un lien unificateur, qu’on ait vu le jour dans un pays arabe, en Europe, en Amérique, en Australie ou en Israël même… Pour nous tous, le chabbat garde son lustre extraordinaire, même si nous nous écartons de toutes ses prescriptions qui viennent corseter un jour au cours duquel tout devrait être joie et allégresse. N’oubliez pas ce que Ernest Renan disait du sérieux judaïque… Il le dénonçait à juste titre.

     

    Je suis plongé dans mes pensées quand soudain, j’entends nettement l’action de grâce après le repas, récitée dans une mélodie presque nostalgique par un vieux Monsieur. Un peu comme s’il disait à Dieu qu’il a trop tardé à permettre la renaissance d’un grand état juif… Ces sons presque plaintifs font penser aux mélodies hassidiques ; Je sais que c’est ma sensibilité juive qui me fait dire ou penser cela. Et c’est cette même sensibilité qui radoucit les critiques justifiées que nous adressons à l’Etat d’Israël quand nous venons d’Europe et surtout de France. Les Israéliens ne sont pas gens faciles, ils sont même parfois ingérables. Mais ce sont nos frères avec lesquels nous réapprenons à vivre

     

    Ce lien entre nous tous n’est pas seulement un ciment d’unité, c’est un lien profondément fraternel.

     

    Encore un détail : le lendemain matin, au petit déjeuner, ce sont des jeunes venus d’Erythrée qui servent le café. Eux font un effort pour parler hébreu. Ils obéissent au doigt et à l’œil aux Bédouins qui les dirigent avec douceur et délicatesse.

     

    C’est bien cela la définition de l’Etat juif : ne pas distinguer entre les êtres humains. Se souvenir que le terme ADAM qui désigne la base même de la nature humaine ne connaît pas de pluriel. C’est une façon d’insister sur l’unicité de l’être. Le Talmud nous apprend que contrairement au fondeur qui frappe des pièces de monnaie, toutes absolument et strictement identiques,, Dieu crée des hommes, tous issus du même Adam, sans qu’aucun ne soit la copie conforme d’un autre. Les humains ne sont pas interchangeables. Et quand on veut parler du genre humain les sources juives anciennes disent bené Adam… Tous fils et filles d’une même souche tout en respectant la diversité.

     

    Etre un Etat juif c’est incarner les valeurs universelles de la Tora, dans toute la mesure du possible. Aujourd’hui, entouré d’ennemis impitoyables, Israël fait de son mieux pour être digne de cet héritage dont il fit l’apostolat au reste de l’humanité.

     

    Quand la paix sera là, on considérera la période précédente comme une sorte de préhistoire.

     

    On comprend mieux la symbolique du chabbat : vingt-six heures durant, on s’éloigne du monde et de ses vicissitudes. On cherche la paix qu’on instaure dans son âme à défaut de la vivre dans le monde extérieur.

     

    Et on troque le temps contre l’éternité

     

     

     

     

     

     

     

  • LETTRE D ISRAEL AU BORD DE LA MER MORTE

    Lettres d’Israël V : Au bord de la Mer morte

     

    Il a fait très chaud durant toute la journée d’hier. Au milieu de la nuit, j’ai pu observer à la jumelle le thermomètre de la plage ; 22° vers quatre heures du matin. Ce vendredi, le long de la route vers la Mer morte, la chaleur a regagné en intensité. Chaque fois que nous entreprenons ce voyage vers le site le plus bas au monde, par rapport au niveau de la mer, je suis plongé dans mes pensées. Nul autre paysage dans ce pays, celui de nos lointains ancêtres, n’évoque plus que celui-ci notre vieille histoire.

     

    Ce paysage quasi lunaire avec des traces inimaginables de l’érosion éolienne ou autre, me rappelle toujours la saga abrahamique, ce personnage semi légendaire qui a fondé, sans le savoir vraiment, l’identité juive, même la nôtre, contemporaine.

     

    Ernest Renan avait un peu raison de dire que le désert est monothéiste. Rien ne bouge, rien n’est à l’échelle humaine, l’homme, pour y survivre, doit vraiment s’atteler à la tâche. Pas une goutte d’eau, pas un brin d’herbe Rien, absolument rien. De temps en temps des camps de bédouins avec des chèvres faméliques qui tentent de brouter quelque chose. Parfois un chameau. Mais nul être humain n’est visible : les bédouins se mettent à l’abri sous la tente, sirotent leur thé sirupeux et sont très économes de la moindre mobilité. C’est qu’il faudrait alors se réhydrater chaque fois et ici l’eau est une denrée rare.

     

    Danielle tient à conduire, ce qui me permet de m’abîmer dans mes pensées. En 2011, j’avais fait paraitre aux éditions Ellipses à Paris un livre intitulé Abraham, un patriarche dans l’Histoire. Peut-être aurais je dû, avant la rédaction finale, venir me ressourcer ici… Nul ne reste insensible en contemplant ce paysage, probablement unique au monde, par sa situation.

     

    Le livre de la Genèse est l’un des plus complexes de la Bible hébraïque. Il contient cinquante chapitres et les chapitres 12 à 25 sont dévolus à la saga abrahamique. Après c’est la vie d’Isaac (notamment au chapitre 22 sa ligature) et de Jacob… Mais la personnalité qui se dégage le plus et devient emblématique est bien celle de Joseph qui est traitée du chapitre 37 au chapitre 50, presque autant que son arrière-grand père le patriarche Abraham. Lequel connaissait ce territoire comme sa poche puisqu’il l’a sillonné de long en large, comme le note littéralement la Bible hébraïque.

     

    Les montagnes défilent devant mes yeux et j’imagine Abraham sous sa tente, puis assis devant elle, accueillant les voyageurs ou les trois anges qui se font passer pour de paisibles caravaniers alors qu’ils ont pour mission de détruire les deux villes pécheresses, Sodome et Gomorrhe. Mais aussi de faire d’autres annonces, plus réjouissantes, notamment la naissance d’Isaac.

     

    Les scripteurs du livre de la Genèse ont ressenti le besoin d’installer, pour ainsi dire, un patriarche, comme l’expliquait brillamment M. Albert de Pury. C’est peut-être ici l’authentique berceau de la religion d’Israël, une religion qui faisait ses premiers pas dans un environnement si oriental avec des nomades juchés sur des dromadaires, effectuant des transhumances suivant les saisons, suivis ou précédés de leurs troupeaux ; mais ces descriptions ne sont qu’une toile de fond, l’objectif des rédacteurs est de montrer que même Abraham, sans avoir reçu la Torah de Dieu, en appliquait déjà les commandements à la lettres. Et le Talmud, fidèle à son habitude, amplifie encore plus cette fidélité et cette obéissance en soulignant que le patriarche était au fait même de la tradition orale, alors que celle-ci ne verra le jour que des siècles et des siècles plus tard. En effet, la critique biblique établit conjecturalement la vie d’Abraham vers 1850 avant notre ère.

     

    Un panneau de signalisation interrompt mes réflexions : en caractères hébreux et arabes, il indique qu’il faut ralentir car il y a devant nous un barrage militaire. Et en effet, des soldats, plutôt jeunes et lourdement armés, montent la garde de manière débonnaire. Sue le bas côté de la route est stationnée une jeep lilitaire hérissée d’antennes. Les soldats jettent un coup d’œil rapide mais c’est plus loin, quand on se rapproche de Eyn Boqéq que leurs camarades font ouvrir le coffre de la voiture.

     

    La vision de ces deux jeunes gens et de cette jeune fille portant son fusil d’assaut en bandoulière me rappelle d’autres choses, et notamment la visite du président Donald Trump en Israël. La psychologie de ce peuple est largement déterminée par l’extérieur. Le point numéro un de la politique intérieure d’Israël, c’est la politique extérieure !

     

    Seul un tel peuple pouvait faire au reste de l’humanité l’apostolat du messianisme. C’est la formule plus élaborée de l’idée populaire : demain, cela ira mieux : ihyé tov. Mais jamais hic et nunc.

     

    Mais en dépit d’un état de guerre permanent depuis sa création si controversée mais légitime et absolument fondée, l’Etat d’Israël qui se proclame un Etat juif, est devenu l’une des premières puissances technologiques et militaires au monde. On le nomme la Start up nation. Il est rare de trouver des appareils électroniques d’usage courant sans quelques composants découverts et commercialisés en Israël : dans les avions, les téléphones portables et tant d’autres instruments.

     

    Et puis, il suffit de se concentrer sur la route goudronnée, bien signalée, avec des espaces de repos, des stations services, etc…

     

    L’hostilité quasi générale n’a pas frappé d’immobilisme, n’a pas paralysé le génie créatif du peuple juif, tant ici qu’ailleurs. Il ne s’agit pas de déclarations d’ordre apologétique. Tous ceux qui s’acharnent à dénoncer Israël devraient plutôt l’imiter ou suivre ses conseils. Le défunt premier ministre d’Israël, Itshaq Rabin avait jadis dans un très beau discours rendu hommage à la sagesse et à l’ingéniosité du peuple juif. Et il avait raison.

     

    Mais je doute que la paix apparaisse de notre vivant. Voilà pourquoi les liturgistes juifs ont ajouté à l’invocation de l’avènement messianique la formule : bi-mehéra beyaménou, vite et de nos jours, de notre vivant… Cette redondance est voulue, intentionnelle.

     

    Toujours cette course contre la montre du peuple juif, toujours cette temporalité qui sort du temps qui passe pour adhérer à l’éternité. Déjà le talmud avait frappé deux formules que Heidegger aurait dû méditer en publiant en 1927 Sein und Zeit. IL s’agit de Hayyé Olam et Hayyé sha’a : l’éternité face au temps qui passe. La stabilité face à la fugacité

     

    Mais Danielle m’arrache à mes pensées en me disant que nous sommes arrivés à bon port. Encore un chabbat au Herodes de yam ha mélah avec tous ces plats marocains relevés et cette ambiance unique en son genre.

     

    La moitié des nationalités du monde est ici représentée. Et surtout tous les maitres d’hôtel sont des bédouins, y compris le principal manager, mon ami Ismaïl…

     

    (Prochaine lettre d’Israël VI : importer les conditions de vie parisienne en Israël)

     

  • Lettres d'Israël IV: Au bord de l'eau

    Lettres d’Israël IV : Au bord de l’eau

     

    Dans une station balnéaire avec des kilomètres de plage au sable fin sans le moindre galet, un peu comme à Agadir, la baignade compte beaucoup. Les gens sont là, certes en moindre nombre qu’au cours du mois d’août où se déversent ici toutes les banlieues de Paris, mais on ne peut pas dire que la plage soit déserte, comme dirait Aznavour.

     

    Ici, comme dans les rues de cette ville balnéaire, le français est la langue la plus usitée, avant l’hébreu et le russe. C’est une véritable mosaïque qui se déploie sous vos yeux. En général, mis à part le mois d’août, je peux lire tranquillement des textes difficiles (Heidegger, Arendt, etc…) et la plage n’est guère brillante. Tout cela change lorsque les Français viennent.

     

    Ce sont eux, d’ailleurs, qui sont aussi là, mais ce n’est pas la même clientèle. Il s’agit principalement de retraités français qui ont fait leur alya mais qui n’ont pas coupé tout lien avec la France. Leurs conversations gravitent toujours autour des mêmes sujets : le taux de convertibilité de l’Euro, monnaie en laquelle est libellée leur pension… Ensuite viennent les difficultés d’insertion surtout pour des personnes âgées qui ne peuvent pas assimiler l’hébreu. J’ai même entendu une dame dire : nous sommes ici des analphabètes ! Elle a raison, mais à qui la faute ? Certes, il faut avoir de la compassion pour des gens d’un certain âge, peu cultivés mais qui ne sont plus en mesure d’acquérir les bases d’une langue sémitique, si différente du français, langue indo-européenne. Et qui sont perdus, incapables de déchiffrer l’alphabet hébraïque, de comprendre ce que leur dit le guichetier de la banque. Heureusement il y a un francophone qu’on appelle à la rescousse ; mais au lieu de durer cinq minutes, l’explication prend une bonne demi-heure.

     

    On entend aussi des critiques accablantes contre les Israéliens, surtout les commerçants et les artisans qui considèrent ceux qui viennent de l’extérieur, comme de véritables vaches laitières, taillables et corvéables à merci. Il y, certes, à prendre et à laisser. Il est indéniable que l’Israélien moyen abuse de l’inexpérience et ou de la naïveté du nouveau venu qui se croit protégé de tous ces requins par d’hypothétiques ou imaginaires valeurs juives. Je ne vais pas donner d’exemples que les antisémites pourraient nous envoyer à la figure.

     

    Si vous voulez acheter des cartes sim, réparer votre portable, faire marcher votre téléviseur, remettre à jour la climatisation ou l’eau chaude, c’est un véritable parcours du combattant. Je puis en parler en connaissance de cause. D’autres subissent comme un traumatisme les vicissitudes entourant l’achat d’un appartement. Ici, tous les avocats sont aussi notaires et les choses ne se passent pas toujours sans accrocs.

     

    Un vieille dame, non loin de mon transat, hurle au téléphone en français sa mésaventure de ce matin même à la banque. On l’a fait attendre, elle a à peine pu visiter son coffre… Une autre se plaint des incivilités de l’Israélien moyen qui ne dit jamais ni bonjour ni merci… C’est du moins ce que ces braves dames disent. Mais elles n’ont pas entièrement tort…

     

    Il existe incontestablement un fossé entre les deux cultures, celle du pays d’origine et celle du pays d’accueil. Quiconque s’attendrait à trouver ici le même service qu’en Europe, en France ou en Suisse, ferait fausse route et se préparerait de tristes lendemains.

     

    Comment s’explique cette rugosité israélienne ( ha hispous ha israélien) ? La guerre, les lendemains incertains, une administration tatillonne, les périodes militaires obligatoires, la vie chère, le terrorisme, la pression des religieux, la crise du logement, l’enseignement supérieur payant ? Ou d’autres choses ? Peut-être une volonté délibérée animant les éducateurs et les pédagogues israéliens de produire un Juif nouveau, fier de lui-même, valeureux, courageux, défiant le monde entier… J’y crois un petit peu et ce n’est pas pour me déplaire. Mais cela reste difficile à supporter car l’éducation reçue ne s’emboîte guère avec ce qui se passe en Israël.

     

    A toutes ces récriminations, plus ou moins fondées, les Israéliens natifs, les sabras, répondent que ce n’est rien, comparé aux défis que le pays doit relever à toute heure du jour et de la nuit, confronté à la méchanceté, à la cruauté des ennemis d’Israël qui proclament urbi et orbi sa disparition. Mieux vaut un soldat courageux, valeureux qu’un individu policé et bien élevé…

     

    Comment départager les deux parties ? Comment établir une passerelle entre ces deux visions ? La société israélienne évolue selon des critères qui lui sont propres. Elle bouge sans cesse, comme les routes et les infrastructures de ce pays. Certains sont pour d’autres sont contre. Sommes nous à l’orée d’un point de fracture ? J’espère que non, même si la vraie cassure oppose les religieux aux laïcs.

     

    Selon moi, l’élite rabbinique locale n’a pas accompli l’effet qu’on attendait d’elle. Elle se préoccupe plus de son pouvoir d’achat et de sa situation matérielle que de l’avenir spirituel de la nation. Or, mis à part les rabbins, aucun autre corps n’est en mesure de le faire.

     

    On m’a raconté des comportements de gardiens de la foi qui font flèche de tout bois pour s’assurer des revenus et un niveau de vie confortable. Je ne suis pas contre. Mais le rabbinat est une vocation, ce n’est pas une profession avec échelle mobile des salaires ou cumul de points de retraite. Israël est très fort militairement, c’est bien et c’est même rassurant. Mais il ne doit pas accumuler les retards spirituellement.

     

    Il nous faut des rabbins convaincus, fidèles, conscients de leurs devoirs vis à vis de nous tous. Il faut laisser à d’autres le trafic ou le commerce des indulgences. On oublie que pour être un Etat juif et le rester il faut que cette condition soit remplie : le respect des enseignements de la Tora, d’abord par ceux qui sont chargés de l’enseigner au kelal Israël…

     

    (Prochaine lettre d’Israël V : Au bord le Mer morte)