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Claude Quétel, Tout sur Mein Kampf (Perrin)

Tout sur Mein Kampf de Claude  Quétel (Perrin)

 

En général, un tel titre donne l’impression que son auteur promet bien plus qu’il ne peut tenir. Pourtant, dans le cas qui nous occupe, le titre est justifié. L’auteur, historien de renom, ancien responsable de Mémorial de Caen, a lu attentivement le texte de Hitler en version originale, il a aussi compilé de manière critique et avec discernement la littérature secondaire. Le seul reproche, mince, par ailleurs, que je lui ferai, tient à une annotation bibliographique parfois sommaire. En revanche, on trouve aussi dans les notes des explications bienvenues et éclairantes. Mise à part cette vétille, le texte est riche, dense et se lit aisément

 

Tout sur Mein Kampf de Claude  Quétel (Perrin)

 

 

 

Le plan est simple et se comprend de lui-même puisque l’auteur se pose les mêmes questions que nous nous posons et qu’il entreprend d’y répondre.  Je recommande de tout lire mais il y a au moins un chapitre, le troisième, qui se lit le crayon à la main, celui qui s’intitule : Que dit Mein Kampf ? Les réponses apportées me satisfont et j’y reviendrai, mais il faut s’arrêter un instant sur le profil psychologique de Hitler dont l’âme (s’il en avait vraiment une) se soucie autant de méthode que du fanatisme le plus pathologique. Je n’arrive pas à extraire de ces analyses un ensemble cohérent, et ce, depuis les années où j’étais jeune étudiant en germanistique : je ne parviens toujours pas à comprendre cette haine inexpiable envers les juifs, au point qu’on pourrait même parler de haine (juive ?) de soi-même… Cette haine, il est vrai, s’étend aussi à la France, accusée  de menacer sur ses frontières terrestres le Reich millénaire que le fou furieux de Berlin appelait de ses vœux. Il faut dire qu’une certaine philosophie allemande avait préparé le terrain, tant contre les juifs que contre la France : Hegel, le grand Hegel, apôtre de la philosophie de l’histoire et de la philosophie du droit, n’en a pas moins traité notre pays de Negervolk, «peuple de nègres»… Et Arthur Schopenhauer, auteur d’une monumentale œuvre, Le monde, en tant que volonté et représentation avait eu cette phrase fort improbable : l’Afrique a ses singes, l’Europe ses … Français !

 

Mais il faut se garder du triomphalisme et dire que tout était clair pour qui savait lire entre les lignes ; dire, de manière péremptoire, que tout s’explique, que Hitler était prévisible, que les démocraties ont péché par naïveté, pacifisme et angélisme… J’aimerais rappeler ici une anecdote vécue et rapportée par le grand romancier judéo-autrichien, issu de Galicie, Josef Roth : lors d’un dîner chez un riche banquier juif de Vienne, ce dernier dit à son invité que les juifs comme lui n’avaient rien à craindre d’Hitler… Tout au plus, ajouta-t-il, il se contentera de tuer quelques Ostjuden mais nous, il ne nous touchera pas. Imaginez la réaction de Roth, lui-même issu de ces Ostjuden. Il partit en claquant la porte, l’écume aux lèvres. 

 

Rares, très rares furent ceux qui avaient vu venir les choses. Et justement, Claude Quétel consacre tout un chapitre à ce sujet : Qui était Hitler avant Mein Kampf ? Un besogneux, un artiste raté, errant sans le sou dans les rues de Vienne, isolé, sans soutien ni acquéreur de ses tableaux ou de ses cartes postales. Certes, il rumine ses frustrations, commence à prêter une oreille attentive au discours raciste et xénophobe, surtout de nature antisémite. Il fait des lectures rapides et superficielles des livres importants de son temps. Mais on ne se représente pas bien comment naquit cet antisémitisme biologique qui, moins de deux décennies plus tard, allait culminer dans les chambres à gaz et les meurtres de masse. On connaît la controverse entre les intentionnistes et les fonctionnalistes : les uns expliquent que tout était prévu, notamment l’extermination des juifs dans ses moindres détails, tandis que les autres sont d’avis que la chose a été décidée, en raison des circonstances de l’heure. Un détail, cependant, frappe  et qui fut d’ailleurs repris et mis en avant par les négationnistes : on ne trouve aucun document écrit signé par Hitler pour l’extermination. Il l’avait fait auparavant pour les malades mentaux, mais tout en prenant certaines précautions, notamment lorsqu’un prince de l’Eglise avait publiquement exprimé son indignation. Les nazis parlaient de lebensunwertes Leben, une vie indigne de vivre, ce qui est assez glaçant quand on y pense.

 

Comment est né Mein Kampf ? Chacun sait qu’après le putsch manqué de Munich, Hitler fut condamné à quelques années de réclusion criminelle à Landsberg, mais cette détention ne fut pas des plus pénibles, le futur dictateur recevant des visites, ayant une cellule ouverte, pouvant rencontrer certains de ses amis et usant cette rétention à des fins studieuses. Notamment en dictant Mein Kampf, si l’on en croit les témoignages les plus autorisés.  Les spécialistes –dont je ne suis pas- divergent quant à la genèse de ce livre dont tout ou presque a été dit : c’est un pot pourri des idées en vogue à cette époque troublée des années vingt ; Hitler a mal digéré quantité de lectures de certains auteurs de son temps et il ne tarda pas à se focaliser sur les pires tendances völkisch (racialistes) de l’époque, voire même en les aggravant. Il pense alors dans un système binaire : le Juif, ainsi qu’il le nomme, sans jamais le définir vraiment, s’oppose à l’aryen dont Hitler se croyait le détenteur exclusif et l’héritier légitime. Toute l’histoire de l’humanité serait selon notre idéologue, le récit de ce combat de titans. Cette fixation sur le juif est des plus étranges.

 

Quétel cite un petit passage où Hitler relate ce qu’il ressentit un soir à Vienne (p. 84) alors qu’il croisait un Ostjude revêtu d’un caftan, des boucles de cheveux pedant le long de ses tempes, qui semble avoir produit sur lui une très forte impression, négative assurément. Il y vit le symbole vivant du danger mortel que cet homme représentait avec toute son ethnie pour le peuple allemand. Rendez vous compte : il se lance même dans des divagations sur le sang allemand qu’il faut protéger de ce mal qu’il nomme Blutschande, le déshonneur, le crime du sang. Sans se livrer à une psychanalyse sauvage, il faut bien reconnaître qu’Hitler avait un problème concernant la sexualité. Cette insistance vire à la névrose obsessionnelle : relisez les passages où il campe la belle, la pure jeune fille allemande, blonde comme les blés, face à un juif caricaturé dont le regarde lubrique (sic) captive, pour ne pas dire, paralyse cette enfant, parangon de l’innocence, comme le serpent hypnotise sa proie.

 

Le chapitre 3 de ce livre, déjà mentionné et dont je recommande une lecture attentive, passe en revue différents thèmes traités ou évoqués dans Mein Kampf. Mais la première question porte sur l’idéologie d’Hitler. Hitler, un idéologue ? La plupart des spécialistes insistent sur l’attitude pragmatique, voire opportuniste du personnage et de son livre. Cela me paraît assez vrai. Toutefois, il est des thèmes sur lesquels Hitler n’a jamais varié, par exemple le sang, la race, le juif, la violence, la guerre, l’opposition entre les forts et les faibles, etc… Sa vision binaire du monde, son manichéisme tranchant constituent l’ossature de ce qu’il nomme sa Weltanschauung, un terme qui connut une grande fortune durant les années du nazisme. Cette vision du monde préconisait un univers sans juif, sans ennemis réels ou imaginaires où les notions de pureté, de souillure ou de préservation du sang, sont omniprésentes. Il est clair que ce terme, emprunté au registre philosophique, a fasciné Hitler dont l’univers mental a été contaminé par le confusionnisme.

 

Le Juif, pris individuellement, ne semble pas représenter un grave danger, c’est la juiverie mondiale (un terme qui revient parfois sous la plume de Martin Heidegger) qui suscite les pires inquiétudes de Hitler. Les spécialistes se souviennent de cette phrase de Mein Kampf où Hitler accuse les juifs (qui dirigent le monde, en sous main, sic) de comploter pour déclencher une guerre mondiale. Et Hitler de leur promettre une extermination totale sur le sol européen. Quétel relève que même en avril 1945, alors qu’il dicte son testament, Hitler rend les juifs responsables de toutes ces horribles destructions, feignant d’ignorer qu’il en avait tué ou condamné à mort plus de six millions d’entre eux. Et s’ils avaient été aussi forts qu’il se l’imaginait, ils ne se seraient pas laissés conduire à l’abattoir comme des moutons…

 

Quétel relève un point qui n’a pas été suffisamment mis en valeur, il s’agit de ce caractère visionnaire que Hitler tente de se donner parfois et qui emprunte même au registre religieux. Des moments de fiévreuse exaltation, se transformant en véritable moulin à paroles, adoptant le ton de l’imprécateur, voire du prophète, tout ceci campe sous nos yeux un être auquel le principe de réalité (Realitätsprinzip) échappe parfois. Un peu comme avant la chute, alors qu’il se trouvait dans son Bunker bombardé sans discontinuer par les Russes, il déplaçait des corps d’armées imaginaires ou fantomatiques qui n’existaient plus que sur le papier. Il y a de l’apocalyptique  dans Mein Kampf.

 

Une métaphore, originellement biblique mais que le dictateur sanguinaire a détourné de son sens, fait souvent son apparition : il s’agit de l’opposition entre le glaive et la charrue. A l’évidence, Hitler accorde la primauté au glaive, alors que le prophète Isaïe (VIIIe siècle avant notre ère), trace les contours d’un idéal de paix où les nations transforment leurs glaives en socs de charrues et leurs javelots en serpes… Comme tous les Allemands et les Autrichiens de sa génération, Hitler a dû, jeune lycéen, fréquenter les cours de religion (Religionsunterricht) car dans ces pays, contrairement à la France, la religion s’enseigne comme une matière académique…

 

Page 95, Hitler dit : j’avance avec l’assurance du somnambule sur la voie que la Providence m’a tracée…  Et voici qu’il se prend pour un prophète, voire pour le Messie.

 

On pourrait disserter encore très longuement sur différents sujets annexes : la France a t elle ignoré Mein Kampf ? Quels sont mes pays qui éditent Mein Kampf ? A l’évidence les pays arabes qui remettent dans le commerce des traductions des Protocoles des sages de Sion.

 

Dans sa conclusion Quétel refait un peu l’histoire quand il écrit que si l’on avait écouté les enquêteurs bavarois qui préconisaient l’expulsion d’Hitler de Bavière, on n’en serait pas là. Il ajoute même que l’Autriche où le banni aurait pu se réfugier, n’aurait jamais fait la même carrière qu’en Allemagne… Nul ne sait à quoi aurait ressemblé la vie d’un Hitler à Vienne. Un livre assez volumineux porte justement ce titre Hitler in Wien…

 

Que retenir de tout cela ? Il faut se garder de minimiser le danger émanant de cette idéologie raciste, inhumaine, surtout à une époque où le repli, la quête identitaires prennent un aspect lancinant. Tout en veillant sur ce que nous sommes en tant que nation ou peuple, nous ne devons pas réchauffer en notre sein l’œuf du serpent.

 

Que l’Europe qui a décidé de rééditer ce livre illisible et touffu prenne garde : elle est déjà devenue un immense cimetière juif de 1940 à 1945. Pour ceux que cela intéresse, lisez un très beau livre que j’avais lu, alors que j’étais adolescent, dans la bibliothèque personnelle de ma sœur aînée, La fabrique des officiers de Hans Hellmut Kirst.

 

Ce livre cherchait à préserver la part de l’humain dans une époque inhumaine.

 

Maurice-Ruben HAYOUN

 

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