On assiste ces jours à un véritable festival, un grand défilé à New York de ceux et de celles qui dirigent cette planète ; et leurs discours respectifs, même les plus enflammés, nous laissent sur notre faim. Une foule de questions se bousculent dans notre esprit en les écoutant : quelle est leur emprise réelle sur les événements qui secouent notre monde ? Comment peuvent-ils, comment pourraient-ils y obvier, dans la mesure où ils souhaitent vraiment le faire ? Peuvent-ils tirer des plans sur la comète alors qu’ils ne sont même plus certains d’être de nouveau à cette même tribune des Nations Unies, l’année prochaine ou dans plusieurs années ? Tant de paris risqués sur l’avenir laissent rêveur.
Ce sont là les sombres considérations qui occupent l’esprit un peu abattu du philosophe qui scrute le sens de ce qui se passe autour de soi. On voit des yeux le mur de l’espoir des hommes politiques, les grandes limites de leur discours, l’orientation souvent électoraliste de leurs propos et on se demande s’il ne faut pas dépasser cet horizon de la politique. C’est d’ailleurs ce qui se passe - très mal - dans les pays qui se disent théocratiques comme les républiques islamiques (Iran, Daesh, Libye etc…).
Mais alors remplacer la conduite politique de nos sociétés par quoi puisque les Etats sont des monstres froids qui finissent toujours par s’affronter militairement ? Car leurs ambitions économiques, territoriales, ou autres les poussent irrémissiblement vers une confrontation armée. Et à ce titre, on a été servi mardi dans l’enceinte onusienne. Cette politique qui se dit planétaire puisque tous les états du monde y sont représentés butte une nouvelle fois contre ses limites.
L’idée d’un remplacement, d’un changement total fait son chemin. Peut-on changer la politique sans avoir, au préalable, changé l’homme ? Ces réflexions me sont venues en constatant que dès aujourd’hui, un jour après la 72se session de l’ONU, commence le Nouvel An juif, l’année 5778. C’est le comput hébraïque qui entend remonter à la création du monde.
Imperceptiblement, presque à mon corps défendant, je récitais à voix basse les cantiques les plus vibrants de la liturgie de cette fête austère et les comparais au contenu des discours prononcés par les chefs d’Etat… Quelle déception, quelle indigence, quelle courte vue ! On passe de la nostalgie de l’éternité, du dépassement de soi, de la soif d’absolu à de sordides petits calculs, centrés autour de son pays ou de sa personne… Aucun souffle prophétique, aucune envolée lyrique où le lyrisme religieux rejoint le lyrisme amoureux.
On prête à André Malraux une phrase prédisant en quelque sorte le retour du religieux. Cette idée en hérisse plus d’un car on n’a de la religion qu’une représentation d’un ritualisme fruste, de l’intolérance et des guerres de religion. C’est une caricature de la religion qui, comme chaque chose ici-bas, a plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation.
Le Nouvel An juif, suivi dix jours plus tard par le jour des propitiations (mieux connu sous le nom de Grand Pardon), est une fête austère qui n’a rien à voir avec les beuveries, voire les orgies des fêtes païennes. Les orants prient que Dieu leur accorde la rémission de leurs péchés. Ils prient aussi pour être inscrits dans le livre des vivants, selon la belle métaphore pédagogique, appliquée aux gens simples et qui représente Dieu comme le grand comptable céleste des actions humaines. Mais cette comparution devant le tribunal céleste est étrangère à tout fatalisme.
On peut toujours se racheter, se rédimer. On reconnaît la nature pécheresse de l’être humain, sans en faire, toutefois, un péché originel, comme on a cherché à le faire croire en interprétant le Psaume 51. L’homme, fait d’esprit et de matière, se voit offrir la possibilité d’un bilan, d’un examen de conscience, à des moments fixes de l’année liturgique. IL est appelé à réfléchir sur lui-même et sur le monde qui l’entoure…
Un peu comme ces chefs d’Etat qui profitent de ce rendez-vous planétaire à la tribune de l’ONU à New York. Mais, hélas, la comparaison s’arrête là, excepté pour Benjamin Netanyahou qui a cité en hébreu un verset des prophètes : L’Eternel, le victorieux d’Israël ne ment pas… Que l’on se rassure, il n’a pas non plus évité les pièges de ses collègues car il a commencé par s’attribuer quantité de mérites pour lui-même et pour son pays.
Je ne nie pas du reste les grands accomplissements, les prouesses de cette start up nation sur laquelle se portent les regards du monde. Mais le fond du dossier est tout de même en meilleure posture qu’ailleurs. Avec Donald Trump, le si controversé président US, le discours prononcé était bien loin de la prière, même s’il a achevé son laïus par cette merveilleuse formule, Dieu bénisse l’Amérique. Comme j’aimerais qu’on en fît autant pour la France…
Il faut mettre un terme au discours universel de la violence. Le problème est que, dans notre monde, on ne peut pas combattre la violence pacifiquement. On se ferait soi-même tuer. On doit combattre la violence en se servant des mêmes armes qu’elle. Vous ne pouvez pas réciter des Psaumes ou des incantations pour désarmer les islamistes de Daesh. Il faut une force armée. Donc, notre monde n’est pas encore devenu celui où, comme le disait Hegel, le verbe remplace la violence, les voies de fait. C’est aussi le message du Nouvel An juif, au cours duquel la spiritualité d’Israël atteint son apogée.
Les Juifs ne prient pas que pour eux, ils prient pour le monde entier. La tradition souligne qu’il faut ressembler à Abraham plus qu’à Noé. Pourquoi ? Parce que Noé, prévenu de l’imminence du Déluge n’a prié que pour lui-même et pour les siens, alors qu’Abraham a prié d’abord pour les autres. On en veut pour preuve son marchandage en faveur des deux villes pécheresses Sodome et Gomorrhe. On prie aussi pour s’éloignent du genre humain les épidémies, les famines et les maladies. Et la guerre n’est pas oubliée, non plus. Il faut souhaiter qu’un jour cette même tribune des Nations Unies devienne le point de ralliement de tous les peuples épris de paix.