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Une dépouille mortelle peut elle servir de monnaie d’échange?

Une dépouille mortelle peut elle servir de monnaie d’échange?

Le débat qui se déroule sous nos yeux en Israël autour de la récupération des dépouilles de deux soldats israéliens prouve, une fois de plus, que l’Etat d’Israël n’est pas un Etat comme les autres, à plus d’un titre.

L’Etat d’Israël se réclame, se prévaut d’une promesse divine, d’une Terre de promission, d’un système de valeurs intrinsèquement religieuses, accompagnées de principes démocratiques et humanitaires qui s’enracinent dans un humus dit laïc… C’est la relation dialectique entre ces deux domaines, c’est cette tension polaire, étrangère à toute entité politique, autre qu’Israël, qui fait la grandeur mais aussi la vulnérabilité morale de l’Etat juif.

David Ben Gourion, le réalisateur de l’utopie sioniste, était un Juif irréligieux (ce fut dur de le convaincre de passer à la synagogue le jour de la proclamation d’indépendance) mais qui brandissait toujours la Bible pour fonder de manière irrécusable les droits du peuple d’Israël sur la terre ancestrale. Il n’existait pas, aux yeux de Ben Gourion, cet athée juif (sic), de preuve plus absolue, plus accomplie de la légitimité d’Israël en tant qu’Etat-nation du peuple juif …

Cela a eu et continue d’avoir d’incroyables répercussions sur l’action de cet Etat juif qui doit, chaque jour que Dieu fait, de se battre pour rester en vie. Les racines qui le portent ne lui permettent pas d’agir à sa guise, il doit sans cesse veiller à ce que son action politique demeure conforme aux valeurs qu’il est censé incarner.

Aujourd’hui, il se bat par tous les moyens, surtout pacifiques et humanitaires, pour rendre à deux familles juives d’Israël, le corps de leur fils rué au combat. Le Hamas qui le détient comme il a détenu cinq années durant le soldat franco-israélien Gilad Shalit, au mépris de toutes les lois et conventions réglant le statut des prisonniers de guerre, refuse obstinément de rendre ces deux dépouilles dans l’espoir de faire monter les enchères et d’obtenir la libération de ses propres prisonniers, comme dans le précédent échange. Or, le pays tout entier a vécu cet échange comme un profond traumatisme. La mère de l’un des deux soldats tués a cru bon de saisir la cour suprême, connue pour son activisme et son orientation critique à l’égard des décisions gouvernementales.

La compassion la plus élémentaire nous commande d’accepter cette initiative, même si elle n’a aucune chance d’aboutir, la cour suprême ne pouvant pas dicter au gouvernement son propre mode d’action. Certaines voix autorisées s’élèvent pour condamner cette action au motif que cela renforce les exigences du Hamas… On se trouve devant une véritable aporie kantienne : les deux camps ont raison !

Mais il y a l’aspect moral, voire éthico-religieux, jamais passé sous silence dans ce pays qui veut respecter les droits de l’homme tout en devant se défendre, les armes à la main. Mais dans le contexte précis de ce jour, il s’agit d’un marché macabre : Israël a récupéré les cadavres de cinq membres du Djihad islamique. Sans l’avoir jamais dit clairement, on semble s’acheminer vers une sorte d’échange qui n’ose pas dire son nom ; le Hamas rend les deux dépouilles israéliennes et Israël rend les djihadistes morts qui sont en sa possession.

Ce n’est pas seulement la morale juive qui interdit une telle attitude, c’est la conscience humaine universelle. Même si, dans certaines situations, il est permis de faire flèche d e tout bois, ou de recourir à des méthodes que l’éthique universelle réprouve.

Le Hamas ne s’embarrasse pas de telles considérations,, pour lui, la fin justifie les moyens. Pendant cinq années de détention de G. Shalit, sa famille n’a presque jamais eu la possibilité de s’assurer qu’il était bien en vie alors que les prisonniers palestiniens en Israël jouissent d’un traitement conforme aux conventions de Genève.

Mais ce danger est secondaire, le vrai danger qui menace Israël, c’est le renoncement à ses impératifs éthiques, la trahison de ses idéaux humanitaires, proclamés par ses prophètes dont les plus anciens remontent aux IX-VIIIe siècles avant notre ère. L’humanisme de Jésus n’est pas né d’une génération spontanée, il s’enracine dans une tradition plurimillénaire. La défense du faible, l’amour de l’Autre, même de l’ennemi, la reconnaissance de la part qui lui revient au sein de l’humanité universelle, tout ceci et bien d’autres choses se trouvent dans le messianisme biblique.

Et la tradition postbiblique ne s’est guère écartée de ces valeurs, au contraire, elle les a renforcées, raffermies, même dans les situations les plus extrêmes. Ce judéo-christianisme structure aujourd’hui encore les fondements de nos sociétés occidentales. Dans ce sens, il y a une genèse religieuse du politique, sans que cela n’affecte le moins du monde la laïcité.

Pour finir : faut-il procéder à un échange macabre de cadavres ? Il faudrait arriver à un accord librement consenti par les deux parties, excluant tout marchandage avilissant.

Me revient en mémoire un adage talmudique attribué à Rav Hunna : Dieu est toujours avec ceux qui souffrent. Et si les hommes cessaient de se faire souffrir les uns les autres, tant de graves questions restées en suspend seraient réglées. Y compris celle-ci.

Maurice-Ruben HAYOUN

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