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Charles DOBZINSKI, Je est un Juif, roman (Gallimard / Poésie)

 

Charles DOBZINSKI, Je est un Juif, roman (Gallimard / Poésie)

Connaissiez vous ce poète, né dans une petite bourgade polonaise en 1929 et mort à Paris en 2014 ? J’avoue, pour ma part, n’en avoir jamais entendu parler, jusqu’au jour où les éditions Gallimard, connaissant mon intérêt pour certaines œuvres, me fit parvenir ce recueil de poèmes que j’ai lu avec une grande attention. Déjà le titre m’avait intrigué car je m’attendais à lire l’intitulé suivant : Je suis Juif alors que le titre est plutôt : Je est Juif un, roman…

Pourquoi cette volonté délibérée, affichée d’emblée, de surprendre ? C’est que ce poète, à la fois traducteur, écrivain, directeur de revue (Europe, notamment) ami d’Aragon, de Paul Eluard et de tant d’autres, amoureux de la langue française, sa seule et unique patrie, a eu une vie des plus inhabituelles, avec des vicissitudes qui ne s’expliquent que par un fait, apparemment anodin mais bien loin de l’être, une naissance juive, bercée par une langue juive de sa Pologne natale, le yiddish. Dans l’un de ses poèmes, parmi les plus poignants, il évoque sa mère, assise à sa machine à coudre, fredonnant des airs ou récitant des poésies d’auteurs yiddishs.

 

 

Charles DOBZINSKI, Je est un Juif, roman (Gallimard / Poésie)

 

Il y a dans ce recueil trente-deux poèmes de longueur variable et tous tournent autour d’une seule thématique : qu’est ce qu’un Juif ? Comment être Juif ? Quelle est l’essence du judaïsme ? Pourquoi les Juifs ont ils plus un destin qu’une Histoire digne de ce nom ? En une phrase : pourquoi sommes nous si différents des autres ? Puisqu’il cite Levinas au moins deux fois dans ces poèmes, risquons le mot altérité. Oui, un tel homme, loin de l’orthodoxie, voire même du sionisme, sans toutefois le rejeter, a vivement ressenti que sa vie eût pu être tout autre s’il n’était pas né dans cette religion, que dis-je ? un ensemble qui enserre bien plus qu’un religion, un mode d’être… Il reprend même la fameuse distinction de Levinas ; Autrement qu’être.

Ayant quitté très jeune sa Pologne natale où l’ombre des pogromes et des persécutions plus ou moins larvées se profilait avec toujours plus d’insistance. J’avoue que lorsque j’ai pris ce livret en main, je ne l’ai plus lâché tant il retrace avec une poignante sincérité ce que fut, ce qu’est le destin d’un homme juif, arraché à sa terre natale, poursuivi par les nazis en France, obligé de mentir sur son identité, ses origines et son statut. Mais on ne peut pas redire en prose ce qu’il dit dans sa langue poétique.

Commençons par la curieuse formulation contenue dans le titre : le JE est un Juif signifie peut-être que celui qui tient la plume, qui conte ses expériences, son vécu, surtout le plus intime, ce qui le touche au plus profond de son être, tout ceci se ramène à un élément central, son être juif, même s’il garde ses distances avec la religion ou le nationalisme. Et de fait, dans la totalité de ces poèmes, on sent vibrer la sensibilité d’une âme juive, mais une sensibilité qui ne s’est asservie à rien.

La toute dernière ligne de ce recueil porte la mention significative suivante : Être juif n’est pas ma prison… Et pourtant, dans ce même poème, quelques vers auparavant, il écrivait ceci : On n’éradique pas l’idée de qui l’on est, ni d’où l’on vient, un fil rompu de la Judée… Existe– t-il une confessio judaica plus poignante ? Cela fait penser, dans un autre conteste, au poète et écrivain Heinrich Heine qui qualifiait le judaïsme de maladie et non de religion, mais qui a toujours veillé à souligner qui il était, même après sa conversion formelle au protestantisme.

Nous tirons ces passages du fameux poème intitulé Être Juif, comment : Être juif ce n’est pas se mettre au garde à vous religieux. On peut vivre sans Dieu ni maître. Mais qui peut s’abstraire des traces d’un irréductible passé qui vous déchire et vous embrasse…

A cause de ce judaïsme, ou de la fidélité témoignée à ce qu’il n’a jamais cessé de représenter pour nous, l’auteur a subi des situations qu’il résume, non sans émotion, ainsi : sept ans sous scellé d’apatride puis on m’octroya le brevet de bon Français et Juif hybride, double échappée dont je rêvais…

Ayant frôlé la mort dans une France occupée, livrée à l’arbitraire et à la veulerie d’âmes ne reculant devant aucune bassesse, pouvant aller jusqu’à des dénonciations de femmes, de vieillard et d’enfants, promis en cas de déportation à une mort certaine, l’auteur dédie l’un de ses poèmes à ces Justes des nations qui secoururent des juifs, parfois même au péril de leur propre vie. Voici ce qu’il écrivait : Sur l’ennemi grêlent des bombes, mais sur les Juifs tombent des ténèbres sans tombe. En effet, les morts sans sépulture se comptaient par centaines de milliers. Voici en quels termes il évoque sa fuite avec sa mère pour trouver un abri dans la campagne française, donc auprès de paysans qui les ont protégés : Aux pourvoyeurs français des bagnes, ma mère et moi avons faussé compagnie, gagnant la campagne.

Est ce que les mots peuvent encore désigner ce que fut la shoah dans toute son ampleur ? Ce n’est plus possible : tous les mots sont mis hors d’usage par la Shoah, des mots qui n’ont plus de visage.

Dobzinski évoque aussi la cruauté des caricatures anti-juives qui ne pouvaient manquer de meurtrir l’âme d’un jeune enfant : Tant d’atroces caricatures qu’un Daumier vichyste étalait ,tout juif devenant par nature un être avide, immonde et laid. La rafle du Vel d’Hiv n’est pas oubliée : En ce mois de juillet, ma rue tout entière fut éviscérée et mon enfance disparut. Il évoque même le cas d’un voisin qui préfère la défénestration à la déportation où il aurait, en tout état de cause, rencontré la mort. Mieux valait abréger l’agonie. Et cette phrase qui fait froid dans le dos car elle met en cause la police française de Vichy : les fonctionnaires tricolores gardaient leurs fruits de Juifs qu’on vouait à la mort.

Le malheur suivra la souffrance quand par Vichy tomba le jour où le naufrage de la France à l’égout jeta notre amour…

Le destin juif a imposé à ces hommes un sport dans lequel ils allaient exceller, l’art de tramer une patrie. Dobzinski parle aussi de détisser, l’action de détruire des liens, des fils, qui les reliaient aux lieux qui les avaient vus naître.

Après tous ces bouleversements qui jettent des millions de Juifs rescapés de la Shoah sur les chemins d’un nouvel exil ou simplement vers la terre ancestrale, le poète retrouve la trace de quelques parents établis à Tel Aviv ou tout près de la cité israélienne : La mémoire affrète un vaisseau que l’avenir prend en remorque…

Pour un homme qui a longtemps vécu pour les idéaux de la gauche, l’évocation d’Israël entraîne immanquablement celle des Arabes ; il écrit donc ces lignes : Quel rêve pour Jérusalem sinon l’an prochain, que shalom s’accorde à salam, le judaïsme avec l’islam… Mais aussi : Israël est cette eau lustrale qui m’ajoure et m’oint… Juif n’est pas contraire d’Arabe… Car en tout homme un juif émigre.

Face à ce qu’il faut bien considérer comme un insupportable lot d’épreuves, le poète ne pouvait manquer d’apostropher Dieu. Mais se trouve t il lorsque les Juifs souffrent ? Voici dans la langue du poète la même question : On dit de Dieu qu’il est sauveur, planche de Salut, pourtant je coule à pic, sans apercevoir la moindre bouée…

Une triste vérité, vérifiée au cours de trois millénaires d’histoire, résumés par la plainte qui résonne encore à nos oreilles : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ?

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