Le discours de Mahmoud Abbas à Ramallah: le chant du cygne…
Si j’osais, je dirais : non pas seul comme Franz Kafka, mais seul comme Mahmoud Abbas… C’est un discours de fin de partie, de fin de course, de fin de règne, que le président de l’Autorité palestinienne a tenu hier devant ses fidèles. Un discours-fleuve où il a résumé les raisons de son impuissance et son désir, inexprimé mais sous jacent, de raccrocher les crampons et de partir à la retraite. C’est ainsi qu’il faut interpréter cet appel vibrant à la jeunesse, dans le style : à vous de reprendre le flambeau, de poursuivre la lutte, mais par des moyens pacifiques. Le vieux Raïs n’a pas commis l’erreur folle d’appeler à une intifada armée, ni à un soulèvement d’aucune sorte. Toutefois, il a dit des choses et leur contraire, signant l’acte de décès des accords d’Oslo, tout en sachant que sans la coopération sécuritaire des services israéliens, il aurait été balayé par le Hamas, depuis belle lurette.
Alors, comment analyser, de manière rationnelle, un tel discours qui restera l’un des tout derniers du président de l’Autorité palestinienne ?
Le discours de Mahmoud Abbas à Ramallah: le chant du cygne…
C’est avant tout l’expression d’une insupportable solitude, d’un isolement sans pareil, d’une plainte pour une indifférence inégalée de la part de tous les proches : même les Etats arabes de la région ne s’intéressent plus à la question palestinienne car elle est devenue une sorte de cause résiduelle, un codicille, un cadeau un peu dépassé qui n’occupe plus la première place dans l’ordre des priorités. D’autres défis se dressent sur la voie de ses frères arabes : il y a les retombées déstabilisatrices des révoltes arabes, l’irruption de l’Etat islamique, la ruine de pays comme l’Irak, la Syrie, le Yémen, la Libye, etc… Et surtout l’ombre toujours plus menaçante de l’Iran des Mollahs qui plane sur les Arabes pour les satelliser et les inféoder au chiisme.
Ce qui a miné définitivement les espoirs du leader palestinien, c’est l’attitude de moins en moins ambiguë de l’Arabie saoudite qui se rapproche d’Israël et qui a enjoint à Mahmoud Abbas, lors de son dernier passage à Ryad, d’accepter comme capitale de son futur Etat un village situé à la lisière de la ville de Jérusalem… Pour cette affaire, l’amertume du Palestinien s’est donnée libre cours : ce n’est pas, dit il, l’affaire du siècle, mais la gifle du siècle… Entendez par là : on n’avait encore jamais osé nous faire de telles propositions… Et c’est bien vrai car le discours de Mahmoud Abbas pourrait s’intituler, la liste de tous les espoirs déçus. Cela sonne comme un bilan, un constat d’échec et cela est vrai car le leader palestinien n’a pas fait avancer d’un pouce. la cause qu’il défend
Il s’en est pris au monde entier. Pour rejeter la responsabilité de ses échecs retentissants sur les autres.
D’abor les USA de Donald Trump. Quelle erreur de dire qu’il ne veut plus de ce pays comme parrain d’un quelconque plan de paix ! Mais qui pourrait bien, de nos jours, jouer ce rôle, en dehors des Etats Unis d’Amérique ? Et comment un si petit personnage peut il parler ainsi, d’égal à égal avec la seule hyperpuissance ? Même les rodomontades de M. Erdogan n’y changeront rien ; sa conférence islamique sur Jérusalem n’a même pas eu le moindre effet. Le monde a changé et M. Abbas, lui, est resté sur ses positions. Les commentateurs les plus cyniques diront que l’homme s’est tiré une balle dans le pied en mettant les USA hors jeu…
Seconde cible du leader palestinien, Israël. On a senti ici le paroxysme de l’amertume du Raïs qui condamne la politique d’implantations en Judée-Samarie. Mais M. Abbas n’a jamais compris que son attitude n’était plus adaptée aux circonstances et qu’il fallait en changer. Décidément, M. Abbas n’est pas le David ben Gourion musulman que les Arabes attendent comme Israël son Messie fils de David. Quand on remarque que le monde n’est plus le même, on change de tactique et de stratégie. Aristote le dit bien : ne pouvant pas changer le monde, je change d’opinion sur le monde…
Le meilleur exemple de ce déphasage chimérique : alors qu’Israël est devenu une authentique superpuissance régionale, sans laquelle rien ne peut se faire, certains (Hamas, Djihad islamique, Hezbollah, etc…) continuent de dire qu’ils en préparent la destruction. Alors que l’Etat juif est plus que jamais l’allié privilégié des USA dans la région et qu’il négocie d’égal à égal avec la Russie et l’Inde, sans oublier la Chine et les autres continents (Europe, Australie, Afrique), quelques personnes dans un bidonville entendent avec des moyens rudimentaires mettre fin à son existence.
C’est, en creux, ce que Abbas reproche à ses frères ennemis qui continuent de s’accrocher aveuglément à des slogans vides de sens… Mais ces derniers n’ont même pas honoré son invitation, sachant fort bien, au fond d’eux-mêmes, que ce discours-fleuve ne servirait à rien, sinon à donner libre cours à l’amertume d’un homme dépassé par les événements. Par ailleurs, il ne m’étonnerait guère que cette allocution soit une sorte de chant du cygne, un adieu aux armes…
Mahmoud Abbas s’en est aussi pris aux pays arabes qui ne lui accordent plus qu’un soutien de façade, notamment les poids lourds de la région, comme l’Arabie et l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, etc… Leurs déclarations ne sont pas suivies par des actes. Ni concernant Jérusalem ni un éventuel Etat palestinien.
Abandonné de tous, M. Abbas s’est tourné vers la pire des solutions, une initiative internationale dont il sait par avance qu’elle s’ensablera dans les méandres des intérêts particuliers de chacun des participants. Et je ne vois pas que les USA veuillent permettre le succès ni même la tenue d’une telle réunion.
La cause palestinienne a besoin d’une redéfinition de fond en comble. Elle a besoin de leaders réalistes pratiquant enfin la Realpolitik. Elle doit adapter ses demandes à ses moyens, faute de quoi elle se condamne à poursuivre des chimères. Un dernier exemple : même les roquettes du Hamas sont tenues en échec par le dôme de fer, même les tunnels sont inefficaces car détruits par une nouvelle technologie israélienne, même le vote à l’ONU sur Jérusalem n’a pas eu l’effet escompté…
Alors ? Il est encore temps de revenir à la réalité. Imaginons une paix des braves, une paix dans la région. En moins d’un quart de siècle, elle serait plus forte que le sud est asiatique.