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Clemens August von Galen, un évêque qui a dit non à Hitler

 

Clemens August von Galen, un évêque qui a dit non à Hitler… (Paris, Le Cerf)

Voici une excellente contribution, solidement documentée et remarquablement bien écrite, aux relations entre le camp des catholiques allemands, incarné par un comte devenu évêque, Clemens August von Galen (1878-1946) et les autorités national-socialiste durant toutes ces années du pouvoir hitlérien. Il s’agit d’un homme remarquable, membre d’une fratrie comprenant au total 13 enfants, garçons et filles dont les deux tiers seulement survécurent jusqu’à l’âge adulte. Ici, le futur héros se nomme Clemens August (Clau pour la famille et les intimes), un géant de près de deux mètres, qui commença par être très sensible aux plaisirs et aux privilèges de sa caste (c’était un homme d’ancienne aristocratie dont les titres de noblesse remontaient à plus de sept siècles) pour se désintéresser progressivement de ces futilités (il aimait la chasse, notamment, et la vie de château) et embrasser la carrière ecclésiastique après une longue période d’incubation, pourrait-on dire. Etudes supérieures, voyage à Rome, audience auprès du souverain pontife, longue maturation de son projet de vie etc…

 

 

Clemens August von Galen, un évêque qui a dit non à Hitler… (Paris, Le Cerf)

 

L’auteur de cette belle étude, Jérôme Fehrenbach, si fine et si instructive, retrace sans aucune mièvrerie le long parcours d’un homme qui savait défendre ses idées chrétiennes d’amour du prochain et de respect du droit et de l’équité, même face à un régime criminel qui avait érigé la terreur et l’arbitre en méthode de gouvernement. Dans cette aire culturelle germanique, terre d’élection du luthéranisme, la part dévolue à la communauté catholique -désignée par l’auteur comme la vraie religion- (sic) était plutôt restreinte et sa position fut des plus délicates lors du fameux Kulturkampf (combat pour la culture contre la mainmise de la papauté..)

La première partie de ce livre, que seule une maison d’édition comme le Cerf pouvait produire, est consacrée à la description du milieu aristocratique de sa naissance, en insistant sur l’attachement viscéral à un catholicisme minoritaire dans une Allemagne en plein prussianisme et à majorité luthérienne. On se souvient du cri du cœur d’un noble catholique prêt à mourir pour défendre son attachement au représentant de Dieu sur terre (sic) durant le Kulturkampf : on se souvient que Bismarck, le chancelier de fer, avait déclenché une campagne contre l’ultramontanisme des catholiques allemands, accusés de servir deux causes à la fois, l’empire wilhelmien et… le pape à Rome. Mais dans sa Westphalie natale à laquelle il tient et qu’il finira par retrouver après une vingtaine d’années passées à Berlin en qualité de curé d’une grande paroisse, ce sont les catholiques qui dominent et sa famille enracinée dans cette région, s’y sent chez elle depuis tant d’années. Quand il reviendra chez lui et que le pape l’aura promu évêque, Clemens August déploiera les plus grand zèle au service de ses ouailles.

Mais les années les plus marquantes de son ministère seront à la fois celles de l’après-guerre (1918) quand l’empire allemand, ruiné et défait, sera contraint de changer de régime et son empereur d’abdiquer et de s’exiler, et celles courant de 1933 à 1945. C’est durant ces années de sang et de crimes d’Etat que l’homme se révélera entièrement. Il sera l’un des rares prélats allemands à oser dire non à la politique d’Hitler et de ses sbires, à critiquer le régime en termes clairs et univoques du haut de sa chaire ecclésiastique. Les limites de cet essai bibliographique ne permettent pas d’entrer dans les détails mais il suffira d’évoquer le refus de cet homme de Dieu d’avaliser la politique d’euthanasie du régime qui entendait, dans sa folie meurtrière, éradiquer tous les êtres dits anormaux. L’évêque qui reprend souvent des expressions allemandes dont l’original est typiquement talmudique (comme par exemple périr plutôt que pécher : yéharég wé al ya’avor) me plait par son refus de transiger sur les principes. Au régime nazi qui entend exterminer ces pauvres malades mentaux il oppose le tu ne tueras point du Décalogue. Et quand un chefaillon nazi local osera se moquer d’un point cardinal de la foi catholique (la forme divino-humaine de Jésus) il prendra la plume pour le remettre à sa place… L’auteur, Jérôme Fehrenbach, relate comment il fit imprimer clandestinement une encyclique dans le bulletin paroissial dont il distribuera les copies dans son évêché, au risque de se compromettre gravement aux yeux d’un régime qui avait envisagé de se débarrasser d’un tel gêneur. Certains membres de la famille von Galen ont connu des fins tragiques dans lesquelles le pouvoir nazi était impliqué. Exemple, cet aristocrate, refusant l’Anschluss et que l’on retrouva plus tard dans le fleuve et dont le cadavre ne put être identifié que grâce à sa bague portant ses armoiries ; la Gestapo, orfèvre en la matière, avait voulu maquiller l’assassinat en suicide.

L’auteur souligne que certains satrapes nazis envisageaient d’en finir une fois pour toutes avec l’évêque et mentionne même une double mise en garde de Goebbels en personne, adressée à son collègue du ministère de l’intérieur, lequel ne mesurait pas la révolte qui se serait emparée de toute la communauté catholique du Reich si d’aventure il arrivait malheur à von Galen. Ce dernier n’hésita pas à s’adresser au chancelier du Reich, à savoir Adolf Hitler en personne. Et quand il ne recevait qu’un simple accusé de réception, il revenait à la charge.

Cet ecclésiastique, tenant plus à sa foi qu’à sa vie, a, certes, cherché à convertir autant de juifs qu’il pouvait, obéissant ainsi à l’esprit missionnaire catholique mais il a aussi déployé de vastes efforts pour alléger le fardeau de certains d’entre eux. Après la nuit de cristal il envoya un message de soutien et de condoléance au rabbin de sa communauté mais ce dernier le pria de ne pas élever de protestation officielle, craignant que cela n’enrage davantage les autorités nazies au lieu de les dissuader de poursuivre dans la voie du crime et de l’arbitraire.

Après plusieurs passes d’armes avec les autorités, l’évêque est contraint d’adapter ses réactions aux conditions d’unité nationale d’un pays en guerre. Au cours des premières années, il protesta, comme on l’a vu, contre l’eugénisme des autorités et soutint les parents, alertés par la disparition inexpliquée de leurs enfants handicapés mentaux. Ce qui ralentit le zèle meurtrier du régime. Mais vers la fin de l’année 1942, certains signes apparurent faisant douter de la victoire finale de l’Allemagne nazie. Il fallait faire preuve de prudence car le pouvoir ne s’embarrassait plus du moindre scrupule, surtout concernant le maintien d’un front intérieur uni. Lorsque les forces alliés lancèrent ce que les Nazis nommèrent les bombardements de la terreur (Hambourg, Dresde, Berlin, Munster etc), déversant des tonnes de bombes incendiaires ou au napalm, et causant des dizaines de milliers de morts dans toutes les métropoles allemandes, l’évêque devait faire preuve de prudence : il ne pouvait plus se détourner des souffrances de son propre peuple ni s’en prendre au régime qui en était pourtant la cause…

Lorsque l’heure de la libération avait enfin sonné, von Galen se garda bien de se jeter dans les bras des vainqueurs, tout en rappelant aux forces alliées qu’elles devaient interdire les vols, les meurtres et les viols de la population. Pourtant, un grand quotidien de New York lui avait consacré une manchette le présentant comme un opposant de poids à Hitler…

On dit, généralement, que les grands hommes révèlent leur extraordinaire génie dans des circonstances extrêmes ; cela s’applique sans peine à cet homme qui sut faire honneur aux règles de l’Evangile dont son église était la gardienne, même si elle n’a pas manqué parfois d’en oublier certains enseignements…

Le lecteur ne manquera pas d’être ému par le récit des derniers instants de ce prince de l’église, créé cardinal par le pape et qui sera béatifié en 2006 par Benoît XVI. Mais ce qui témoigne le plus de la force morale et du courage physique du cardinal, ce sont les discours mettant violemment en cause la Gestapo et ses méthodes. En effet, cette police d’Etat, affranchie de tout devoir vis-à-vis de la justice, avait saisi des maisons d’ecclésiastiques, expulsant leurs occupants et les bannissant de Westphalie, et parfois même les reléguant dans des camps de concentration. Le cardinal s’écrie, en juillet et en août 1941 : nous exigeons la justice. Et la fin du texte, ponctuée par notre Führer est purement rituelle. Elle n’engage à rien. Et n’a aucune valeur. Ce n’est certainement pas un sorte de ralliement, même tardif, à un régime honni.

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