Nicolas Hulot, «Je ne veux plus me mentir…» Ethique et politique
Il n’est pas question de prendre ici parti pour ou contre la démission du gouvernement de Nicolas Hulot. Je souhaite simplement traiter de l’arrière-plan philosophique et psychologique d’une telle décision et surtout de la phrase principale qui la motive : le rejet du mensonge et le refus de poursuivre ce leurre de soi-même qui semble avoir taraudé un homme qui a fini par placer la sincérité et l’authenticité au-dessus d’un simple maroquin ministériel, ce que bien peu d’hommes ou de femmes politiques auraient fait, tant les oripeaux du pouvoir sont irrésistibles.
Cette phrase, «je ne veux plus me mentir» exprime les remords d’une conscience morale, d’une exigence éthique, qui ordonne à chaque individu de cesser de faire comme si, de cesser de faire croire qu’on croit alors qu’on ne croit pas à ce qu’on fait. ni à ce qu’on dit. Et ce calvaire d’un homme qui n’était fait pour tout sauf pour de la politique, a duré plus d’un an, quatorze mois au total.
Nicolas Hulot, «Je ne veux plus me mentir…» Ethique et politique
Cette phrase, «je ne veux plus me mentir» exprime les remords d’une conscience morale, d’une exigence éthique, qui ordonne à chaque individu de cesser de faire comme si, de cesser de faire croire qu’on croit alors qu’on ne croit pas à ce qu’on fait. ni à ce qu’on dit. Et ce calvaire d’un homme qui n’était fait pour tout sauf pour de la politique, a duré plus d’un an, quatorze mois au total.
Je dois dire qu’en tant que philosophe, j’admire le courage moral d’un homme qui a fini par craquer, par écouter la voix de sa conscience, là où tant d’autres, et non des moindres, ont fait preuve publiquement, d’un cynisme sans vergogne. Toute honte bue, ils ont placés la conquête et l’exercice du pouvoir au-dessus de tout le reste. Qui ne se souvient de François Mitterrand, orfèvre en la matière, qui n’a pas hésité à dire aux Français ceci, en substance : les hommes politique sont comme vous…
Je ne suis pas d’accord, les hommes et les femmes politiques doivent être meilleurs que nous, c’est pour cette raison qu’on vote pour eux et qu’on leur confie le soin de nous diriger et de gouverner correctement la cité… Le second expert en cynisme de très haut niveau n’est autre que Jacques Chirac qui détient la palme, lui qui n’a pas eu honte de dire ceci : les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent… Si les Français avaient été plus avisés, ils ne l’auraient jamais élu, ne serait-ce que pour avoir eu l’audace de prononcer une telle phrase.
Je passe charitablement sur le cas de François Hollande car il a subi la pire humiliation qui puisse toucher un homme politique : être, à la fin de son seul et unique mandat, dans l’impossibilité de se représenter et se voir préférer un ancien conseiller. En effet, l’actuel président a pu voir que le roi était nu, un vrai champion de la procrastination… Les Français, pour une fois, ont su sanctionner un homme qui n’était pas à la hauteur. N’oublions pas qu’il envisageait une éventuelle réélection grâce à un petit trou de souris par lequel il aurait pu, croyait-il, se replacer au centre du dispositif. Cette expression marque, elle aussi, le peu d’estime en lequel ces hommes politiques parvenus à la magistrature suprême tient le corps électoral.
La devise de ces hommes (mais aussi de ces femmes) tient en une phrase : nous sommes prêts (tes) à tout, je dis bien à tout, pour obtenir un retour au pouvoir. Heureusement, un homme comme Nicolas Hulot a su résister et dire non, je ne veux plus me mentir. On imagine un homme qui se lève chaque matin que Dieu fait, se regarde dans son miroir, se dit qu’il est ministre d’Etat, à la tête d’un grand ministère, etc… Et que tout cela n’est qu’apparence, théâtre d’ombres, mascarade, leurre de soi-même. Mais quel honnête homme, quel sujet moral peut continuer à vivre dans de telles conditions ? Le mensonge est invivable, un peu comme un époux ou une épouse qui mènerait une double vie, accordant ses faveurs tantôt à l’un et tantôt à l’autre…
C’est cette double vie, écartelée entre politique et éthique, entre mensonge et vérité, que Nicolas Hulot a fini par dénoncer à la face du monde entier. En cela il s’est montré homme d’éthique et de conviction, refusant cette insupportable dichotomie entre ce qu’on fait et ce qu’on aimerait faire, sans jamais pouvoir le faire. C’est pratiquement une aporie philosophique de type hégélien : l’éthique, la vérité, est, sans être, tout en étant…
Et en effet, cette phrase qui est le titre de cet éditorial, n’a pas été commentée comme elle l’aurait due ; elle jette une lumière crue sur ce divorce, cette distance astronomique entre l’action politique et la recherche de la vérité. Or, il y a encore peu de temps l’opinion publique admettait que la politique en soi tourne nécessairement le dos à la vérité ou simplement à l’honnêteté intellectuelle.
Or, il existe bien une ontologie de la vérité politique, même si depuis que le monde est monde, on nous enseigne que la politique use de tous les moyens pour faire élire ses suppôts. Un homme politique français du début du XXe siècle disait qu’il ne faut pas faire de politique si l’on n’est pas capable de manger une certaine quantité de crabes vivants chaque matin au petit déjeuner… Un tout récent ministre de l’intérieur, haut fonctionnaire devenu homme politique, parlait carrément de «défonce»…
La science politique déroge-t-elle tant aux bonnes mœurs et aux bonnes pratiques ? Echappe-t-elle donc à la règle éthique, là où tous les autres secteurs de la vie politique s’y soumettent ? Comment se fait-il que l’action politique soit si dévoyée, si contraire aux bonnes mœurs ?
Ce sont toutes ces questions que l’ancien ministre Nicolas Hulot s’est posé avant de prendre cette belle décision courageuse. Elle signifie que l’homme a le devoir d’écouter sa conscience, que le cynisme n’est admissible qu’au plan philosophique et qu’en politique il n’a pas sa place. Un homme politique que je connais un peu, pour m’être parfois entretenu avec lui, s’ est rendu célèbre par cette phrase qu’il a mise au moins deux fois en pratique : un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne… Là au moins, les choses sont claires : si je ne suis pas d’accord, je ne reste pas au gouvernement, je reprends ma liberté. Mais jadis, la plupart des grands commentateurs politiques se sont gaussés de lui : mais comment voulez vous mettre de l’éthique, de la vérité, dans l’exercice d’un mandate politique ? Et c’est ainsi que l’on retombe dans le cynisme le plus honteux.
En fait, il faudrait rééduquer les hommes et les femmes politiques : les renvoyer à d’autres métiers dans la vie civile afin qu’ils vivent la vie des gens simples, qu’ils se confrontent aux difficultés de la vie de tous les jours. Il faut limiter les mandats politiques ; or, vous avez encore des gens qui sont dans els allées du pouvoir depuis des décennies.
Je ne veux plus me mentir… Cette phrase, ce cri du cœur, restera dans notre histoire politique contemporaine comme la plainte d’un être blessé qui clame que le mensonge permanent est invivable.
C’est aussi un appel, dans l’espoir que d’autres sauront s’inspirer d’un si haut exemple.