Les chemins de la nouvelle gouvernance : comment gouverner depuis le 17 novembre…
Telle est, ni plus ni moins, la question qui se pose aux gouvernants actuels, pressés de trouver , dans l’immédiat, un moyen de sortir de la crise actuelle. Une crise qui est loin d’être une simple anicroche, un incident de parcours. C’est bien plus grave que cela, c’est plus qu’une crise de régime, c’est une crise politique à grande échelle. Et en un si peu de semaines, même si on peine à trouver un schéma directeur, un principe explicatif qui puisse nous fournir le fil d’Ariane que chaque homme politique actuel de quelque envergure recherche, nous sommes condamnés à tâtonner dans l’obscurité… Car, si vous résumez la totalité des débats qui se donnent libre cours dans la presse écrite ou audio-visuelle, vous constatez, après quelque temps de réflexion, que les motivations d’une telle crise son insaisissables. Comment cela ?
Ce que les manifestants veulent et revendiquent, qu’ils soient casseurs occasionnels ou professionnels, gilets jaunes authentiques ou manifestants agissant derrière des paravents qui leur permettent de cacher et leurs noms et leurs motivations réelles, tous les mots d’ordre ne résistent pas un seul instant à la critique et encore moins à l’analyse. Si la situation n’était pas aussi grave, si les violences n’étaient pas aussi inouïes, notamment contre les forces de l’ordre prises à partie avec une rare sauvagerie, on pourrait se gausser des slogans de ces gilets jaunes qui donnent l’impression qu’on peut renvoyer un président élu, comme cela, en toute simplicité, qui veulent rentrer à l’Elysée, s’en prennent à un ministère, si minime soit-il, mais qui n’en restent pas moins un lieu de pouvoir, issu d’un régime démocratique participatif…
J’ai moi-même attendu ces premiers jours de 2019 avant de consacrer un premier éditorial à la crise provoquée par les gilets jaunes. On ne pouvait plus se satisfaire des amplifications, des paraphrases des journalistes sévissant sur les chaînes d’information continue… Pourquoi ? D’abord en raison de la sidération qui m’a frappé et je pense que je n’étais pas le seul… Il suffit de rappeler que lors de la première manifestation, le préfet de police de Paris ou les autres responsabilités de la sécurité et de l’ordre public ont sous dimensionné le dispositif, d’où les incroyables dégradations, les innombrables débordements, face à des services d’ordre inexistants et à des forces de police visiblement insuffisantes… Comment le leur reprocher ? Personne ne pensait qu’on en serait arrivé là. Même pour le prochain samedi, le 13 janvier, le gouvernement a vu très grand : enfin ! Du reste, le discours de fermeté, tant de Matignon que de l’Elysée, a fini par porter ses fruits : les côtes de popularité ont fini par remonter, c’est presque un bond en avant. C’est cette majorité silencieuse de Français qui a cru se reconnaître dans ce mouvement sans queue ni tête où ceux qui veulent rester à l’état sauvage menacent de mort –eh oui, de mort- ceux et celles des leurs qui veulent enfin parler, négocier, prendre langue avec le gouvernement. Ceux qui veulent un rendez-vous régulier avec les forces de police et de gendarmerie, chaque samedi sur les Champs Elysées ou ailleurs, ont fini par provoquer l’érosion du soutien à leur propre action : de moins en moins de Français soutiennent une telle confrontation stérile et coûteuse avec les forces de l’ordre : les dégradations se montent à des milliards d’euros que nous nous aurons tous, sous une forme ou une autre, à payer.
Que doit faire le gouvernement pour se tirer de cette très mauvaise passe ? J’avoue ne pas savoir, sauf que la crise couvait depuis bien longtemps, que l’équipe dirigeante actuelle n’a fait que fournir à la dernière étincelle, sans être responsable de ce mécontentement accumulé depuis des décennies. Expliquer ou comprendre un tel mouvement de révolte, et d’une telle ampleur, ne signifie pas le justifier ou le soutenir. Cela fait longtemps que la gouvernance consistant à conduire une partie de la France contre l’autre (celle des laissés pour compte, des déshérités, des partisans ou adeptes du Rassemblement National) ne passe pas. Cela faisait belle lurette que les gens réclamaient la reconnaissance du vote blanc, que d’autres exigeaient une dose de proportionnelle (qu’on leur refusait obstinément) : un exemple, bien que ce ne soit pas mon mode de scrutin : comment admettre, même si ce n’est pas notre parti, que plus de 10 millions de Français, aient moins de dix députés à l’Assemblée Nationale ? Certes, cela dure depuis si longtemps sans que n’éclate aucune crise grave ; mais voilà, il a suffi que quelqu’un, sans le savoir, souffle sur la braise pour que le feu se propage : je comprends le geste du gouvernement concernant l’augmentation des carburants, mais ce fut un geste inconsidéré que cette France d’en bas a jugé une ultime provocation de l’arrogance de la France d’en haut (JP Raffarin). Tout le monde connaît l’expression, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis au moins François Mitterrand, cette France périphérique, oubliée, isolée, marginalisée, entretient cette haine recuite des élites qui décident pour elle et ne l’écoutent guère : d’où le déversement de cette foule haineuse (E. Macron) venue rappeler qu’elle existe et qu’il faut tenir compte de son bien-être et de ses intérêts.
Il y a encore quelques années, quelques replâtrages, quelques réparations cosmétiques auraient suffi. Aujourd’hui, ce n’est plus possible : aujourd’hui, c’est profond et c’et structurel. N’oublions pas que les rues de Paris et de province ont retenti de cris, démission du président, suppression du Sénat, dissolution de l’assemblée Nationale. En somme, une société (en partie, seulement) exigeant le démantèlement des institutions qui la gèrent.
Mais comme un malheur n’arrive jamais seul, voici se dessiner une conjonction non souhaitée de sujets de mécontentement : on va tous recevoir un nouvelle fiche de paie, forcément inférieure au mois dernier. C’était prévu comme cela, mais nul n’avait prévu une telle rencontre, un tel télescopage. Parfois, on se demande où est la baraka… Depuis le départ du gouvernement du vieux et sage ministre de l’intérieur, rentré précipitamment dans sa bonne ville de Lyon où l’on mange, boit et vit bien, j’ai attiré l’attention sur l’une des phrases que le vieux philoloque classique aimait à dire, notamment lors d’un de ses derniers entretiens sur BFM TV ; en substance, Les dieux rendent fous ou aveuglent ceux qu’ils veulent perdre…
Aucun des énarques réunis autour du Président n’a songé à se remettre en cause, à analyser ce sinistre pressentiment, aucun de celles et deux qui se sont auto proclamés le monde nouveau n’a songé à ce que l’ancien monde pouvait conserver d’énergie et de force de résistance… Quand on est jeune, on doit s’entourer de gens plus âgés. C’est la Bible elle-même qui le dit dans le livre des Proverbes que je résume en subsistance= malheur au jeune roi qui dort tard et se lève encore plus tard, entouré de ses conseillers, tous aussi inexpérimentés que lui…
Le grand débat national a tout intérêt à avoir quelque consistance, même si des incidents plus ou moins graves peuvent jalonner sa route : le pouvoir commettrait une erreur gravissime en se livrant à je ne sais quelle opération poudre aux yeux qui ne ferait que rallumer les tensions. Ce dernier samedi prouvait l’existence d’une re-flambée de l’expression du mécontentement. Mais que peut faire le gouvernement ?
S’il doit satisfaire les revendications, il ne doit pas céder sur l’essentiel, à savoir le maintien et le respect des institutions. En revanche, le meilleur signal pour calmer cette grogne si grave est une authentique justice sociale. Les Français sont habitués à une certaine forme d’assistanat. Il suffit de rappeler que tous les présidents depuis Chirac jusqu'à Hollande ont acheté la paix sociale. Toutes les réformes en vue de mettre les dépenses en adéquation avec les dépenses, toute orthodoxie comptable au niveau social, a été mise en échec par des grèves et des paralysies du pays, nous plaçant dans un état pré insurrectionnel… Le dernier exemple en date, ce sont les bonnets rouges avec les suites que l’on sait !
Alors, que faire ? Il faut changer de méthode et renouveler le logiciel. Rapprocher aussi les élites dirigeantes du peuple, afin de mieux comprendre ses besoins : exemple : quand il dit que c’est trop, alors c’est trop. On ne répond pas : je reste droit dans mes bottes, non, on reconsidère et on explique les choses.
Notamment que la situation de notre France où il fait si bon vivre n’est pas très bonne, que l’écart se creuse avec nos voisins les plus riches, et que l’Europe est une chance pour nous. Que parfois, il faut savoir se serrer la ceinture.
Mais pour tenir de tels propos et espérer être entendu il faut donner l’exemple. Or, les dernières révélations concernant certaines rémunérations ont provoqué un tollé général.. A mes yeux, certains hauts salaires se méritent et sont parfaitement justifiés, mais ce n’est pas le cas de tous, dans ce pays. Le petit peuple ne peut pas comprendre, surtout quand on lui retire quelques Euros qui lui feront cruellement défaut. C’est tout le problème.
Il faut une nouvelle gouvernance, plus proche des gens, plus compréhensible et mieux expliquée. Et tout ira mieux dans ce beau pays. Le gouvernement actuel est en mesure de la faire si on le remanie un peu.