Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les belles laitues qui poussent au coeur du désert du Néguev

Les belles laitues du désert au cœur du Néguev (‘Alé ha-Bsor)

 

Dimanche dans la matinée. La veillée de la Pâque juive (Pessah) a eu lieu il y a un peu plus de vingt-quatre heures. Nous nous trouvons toujours dans le Négeuv dans un Moshav nommé Talmé Eliyahou. Il est situé à neuf kilomètres à vol d’oiseau de Gaza. Ses habitants, une soixantaine de familles (soit environ deux cents personnes) ont eu régulièrement à souffrir des tirs de missiles ou d’obus de mortier, tirés depuis la bande côtière ; pourtant aucun habitant n’a vraiment songé à se retirer de ce territoire israélien largement exposé… Et une large majorité des votants a apporté ses suffrages au candidat du Likoud, Benjamin Netanyahou dont on vante les grandes qualités de dirigeant et d’homme d’Etat, contrairement à ses rivaux… Je n’ai entendu personne remettre en question sa stratégie face aux provocations du Hamas.

 

Nous nous trouvons auprès de Madame Rosine Aboutboul , venue avec ses parents du Maroc à un très jeune âge. Après plusieurs tentatives de s’installer dans les grandes villes du pays, Rosine et son époux vivent dans ce village agricole. Après la disparition de son époux qui a jeté les bases d’une si exploitation, Rosine dirige avec ses fils une véritable usine agricole où sont traitées toutes sortes de laitues, de salades vertes, de sucrines, d’épinards, de céleris et des céleris raves, de choux etc… Et un nombre impressionnant d’herbes aromatiques.

 

Après le traditionnel café accompagné de gâteaux casher la-Pessah, Rosine nous propose de visiter cette usine où

s’affairent plus de cinquante ouvriers agricoles thaïlandais . En effet, depuis les troubles récurrents avec les ouvriers palestiniens et afin d’obvier aux risques d’attentat, les autorités israéliennes préfèrent recourir à un personnel thaïlandais pour travailler dans les champs et dans les fermes de la frontière… Cela est déjà un indice sur la situation non seulement de la région du Néguev, mais du pays tout entier : au lieu de compter sur des sentiments d’amitié et de coopération, qui auraient permis à des ouvriers agricoles de la bande côtière voisine de venir travailler dans le pays voisin (moins d’une heure en voiture pour rallier l’usine depuis l’enclave palestinienne) l’Etat hébreu est contraint d’aller chercher de la main d’œuvre à des milliers de km de là… Mais que faire ? Nous sommes au Proche Orient, une région du monde qui défie l’entendement et ne se résout toujours pas à voir où est son intérêt bien compris…

 

Lorsque nous arrivons sur le site de l’usine, nous découvrons une série de bureaux et de postes de travail occupés par des Thaïlandais. Ici, tout est automatisé et informatisé. Il faut montrer patte blanche avant d’entrer dans l’usine : les mesures de sécurité et de propreté sont très strictes. Je décris le parcours d’une belle salade : une jeune Thaïlandaise, armée d’un grand couteau, découpe ce qui dépasse et laisse tomber sa salade dans une machine d’où elle ressort, quelques mètres plus loin, lavée, pesée, séchée et empaquetée : pour un novice, c’est impressionnant. Des cartons aux normes sont au pied de ces machines magiques où les salades, les épinards et tant d’autres végétaux tombent naturellement. Un engin élévateur charge des dizaines de cartons fermés , les mènent à quelques mètres de là pour les charger sur de grands camions. De là, le cap est mis sur les centrales d’achat des grandes villes pour être vendues dans tous les supermarchés d’Israël. L’appellation contrôlée et le logo sont : Ammit David (Aboutboul), ‘Alé ha-Bsor…

 

Un philosophe qui visite un tel site agricole, en plein désert dans un pays qui ne lui inspire pas la moindre indifférence, n’a pas les mêmes réactions qu’un ingénieur agronome… Face à cette ruche où chacun se déplace en sachant précisément ce qu’il a à faire, des souvenirs me reviennent à l’esprit : nous sommes dans un Moshav, une sorte de Kibbouts où la propriété privée est prise largement en compte… David Ben Gourion, le fondateur efficient de l’Etat d’Israël y vivait lui aussi et avait donné naissance à un rêve : faire refleurir le désert… Un rêve que des habitants du pays comme la famille Aboutboul contribuent à réaliser.

 

Quand vous regardez ces végétaux, récoltés le matin même dans les champs voisins avant que le soleil ne darde ses puissants rayons sur les légumes et les hommes, et que parallèlement vous scrutez tout ce qui vous entoure, vous ne voyez rien d’autre que du sable à perte de vue et des serres en activité ou désaffectées.

 

Je demande à notre généreuse accompagnatrice Rosine comment on fait pour que de tels légumes poussenten plein désert… Au milieu de nulle part. Réponse : il faut beaucoup d’efforts et aussi beaucoup… d’eau.

 

Avant de rentrer à la maison chez Dinah Cohen pour y déjeuner, je remarque un petit nombre de cartons à part, remplis de salades… Je demande les raisons de cette différentiation et on me répond qu’il s’agit là de livrer des marchandises à des magasins ultra religieux, de harédim qui ne veulent pas acheter et encore moins consommer des salades avec des vers de terre : la consommation d’insectes va l’encontre des interdits alimentaires (cacherout)… Ces établissements envoient sur place des inspecteurs armés de loupes afin de débusquer le moindre insecte. On ne plaisante pas avec ces choses là en Israël. Mais aussi d’un point de vue purement commercial, le départ de la clientèle religieuse serait une perte sèche pour l’exploitation.

 

Rosine m’explique avant notre séparation qu’elle a bien connu le temps où l’on pouvait faire son marché dans les échoppes de Gaza dont l’économie pourrait être complémentaire de celle d’Israël. Elle-même continue d’avoir des conversations téléphoniques avec d’anciens ouvriers agricoles qui lui demandent parfois des médicaments ou autres…

 

Ce peuple qui fait refleurir le désert réussira peut être aussi un jour à instaurer une paix juste et durable.

Les commentaires sont fermés.