GERALD MESSADIE, Moïse. Un prince sans couronne ( JEAN-CLAUDE LATTES)
Décidément, la bibliothèque normande, en ces temps de confinement, continue de livrer ses richesses insoupçonnées. Et voilà que je tombe sur ce livre de Gérald Messadié sur Moïse… Allez jusqu’à la dernière ligne de ce papier et vous comprendrez.
Ce livre a paru il y de nombreuses années mais le sujet continue de fasciner les gens. La vie de Moïse ne cesse donc de passionner les critiques bibliques, les savants, mais aussi les romanciers comme l’auteur de ce texte qui eut, il faut bien le dire, son quart d’heure de gloire. Mais pourquoi écrire sur Moïse, personnage semi légendaire dont certains vont même jusqu’à nier l’existence historique ? Le cas de Moïse dans ce livre de Messadié est vite réglé, et ce, dès les toutes premières pages : il s’agit d’un roman, même si on sent une tentative de s’en tenir à la trame principale de la Bible, et notamment au livre de l’Exode auquel l’auteur emprunte de nombreux détails. Tout en laissant libre cours à son imagination qui est assez fertile , comme il sied à un romancier de talent.
Il est difficile de juger un roman, d’autant que le beau style, élégant et sobre, est la règle et qu’on ne peut juger du talent imaginatif d’un romancier. Inventer est son métier, nous rendre les récits le plus agréable possible à lire, c’est son but. Que nous reste t il alors ? Selon moi, mesurer ce qui le rattache aux textes sacrés dans ce cas précis, et tenter d’éclairer des zones d’ombre qui abondent dans le Pentateuque. Comment combiner le Moïse de l’histoire et le Moïse de la tradition ? D’autant que cette tradition juive est double : il y a la tradition écrite, la Tora écrite, et il y a pour combler les interstices la tradition orale, celle des sages du Talmud. Les talmudistes qui avaient une lecture très serrée des versets bibliques et qui tiennent à la personne de Moïse mieux encore qu’à la prunelle de leurs yeux.
Quiconque lit la Bible avec un esprit vif, sans aller aussi loin que Voltaire, réalise aussitôt que ce n’est pas un livre d’histoire mais de théologie : elle a une lecture théologique de tous les événements, et la naissance, la vie et la mort de Moïse l’unique grand prophète-législateur du judaïsme, en font partie. On a dit aussi que tout le Pentateuque, hormis les livres de la Genèse et du Lévitique (encore que ce dernier reflète des dialogues récurrents entre Moïse et Dieu) est une sorte de vita Mosis. Mais quand on regarde les choses de plus près, on est assailli par le doute et on présuppose que les rédacteurs bibliques ont dû opérer un choix entre tous les documents à leur disposition. Les premiers passages du livre de l’Exode nous présentent un Moïse dont les parents issus de la tribu de Lévi viennent de contracter leur union maritale. Dès les premiers instants, la jeune femme attend un heureux événement. Ensuite, tout s’enchaîne très vite et on sent que les scripteurs ne veulent pas se perdre dans des détails inutiles ou secondaires. Je m’arrête un instant sur un événement incompréhensible : Moïse vient de subir une attaque de la part de forces maléfiques surnaturelles et , de concert avec son fils, il est circoncis de la main même de son épouse Séphora. Mais comment admettre un tel acte rituel accompli par une femme ? De plus cette même Séphora n’est autre que la fille du grand prêtre madianite Jethro ou Réouél. En dépit des origines non judéennes de cette femme, l’union eut bien lieu… C’est d’une certaine façon, une entorse à la doctrine stricte de l’endogamie qui n’apparaîtra que bien plus tard.. Pour la critique moderne, ces divergences montrent une simple fait, celui de l’évolution d’une religion qui a mis des siècles à se former mais qui est restée stable quant à l’essentiel : l’existence d’une divinité éthique, créatrice des cieux et de terre, et ayant une relation spécifique avec un peuple, le peuple d’Israël, qu’il lui a plu de distinguer d’une grâce particulière. Or, les origines de ce peuple se confondent presque avec celles de son héros, de son fondateur, de celui qui a servi d’interface entre lui et ce Dieu, Moïse
Lors de la Révélation, et surtout après, Dieu lui-même de la Tora de mon serviteur Moïse (Torat Moshé avdi) ? Et Messadié a raison de souligner que le rôle de Moïse est indéniable dans l’évolution de notre civilisation.
Partant, les plus sérieuses questions tournent autour de la naissance même de Moïse, de ses origines, notamment son rapport aux Apirous (Hébreux ?) retenus en esclavage en Egypte. On connaît la théorie freudienne exposée dans L’homme Moïse et le monothéisme où les origines prétendument égyptiennes de Moïse sont réaffirmées avec force. Messadié , lui, se veut plus romantique et nous sert un fabuleux conte de fée où Amram, le père de Moïse aime une princesse égyptienne qui tombe enceinte de ses œuvres… Et il va encore plus loin : pour préserver la bonne moralité de la princesse, il crée un autre personnage qui se dit prêt à fermer les yeux et à épouser la dite princesse. Ptahmose, c’est ainsi qu’on appelle Moïse, ne connaîtra son vrai père que bien plus tard et qui est issu du peuple des Apirous… C’est une solution comme une autre… Mais pour le reste on s’en tient au récit biblique, que l’on modifie pour en faire une belle fresque romanesque. Les versets bibliques sont d’une telle densité, d’une telle polysémie qu’ l’on pourrait rédiger de longs commentaires sur chacun d’eux. Par exemple le verset qui stipule : Moîse sortit vers ses frères : Qu’est ce à dire ? Mais comment a t il découvert qui il était et que sa famille n’était pas pharaonique mais judéenne ? A t il épousé leur cause ? Est ce une sorte d’appel du sang qui lui a indiqué d’où il provenait ? Est- ce sa mère, la femme judéenne qui l’allaitait qui lui a dit la vérité ? Autant de questions qui en entraînent d’autres, demeurées sans réponse.
Les romanciers ont tous les droits, notamment de prendre des libertés avec la vérité historique… Mais ici, c’est justement là que se situe le problème : qui dit la vérité dans cette affaire ? Je veux bien prendre le texte sacré tel qu’il est mais, comme je le disais plus haut, des zones d’ombre demeurent. Je vais évoquer un seul problème, certes, d’importance, et que la haute critique a pointé du doigt car de lui dépend toute la mission de Moïse tant auprès du pharaon que des esclaves hébreux.
Lorsque Moïse, ayant neutralisé un garde égyptien qui frappait un Hébreu de ses frères, prend la fuite par crainte de la réaction de son grand père putatif, Seti I, il erre dans les parages de Madian. Il aide et protège les filles bergères du prêtre local et finit par entrer dans sa famille puisqu’il épouse sa fille aînée… C’est alors que se pose la question suivante : est ce que Moïse a rapporté aux Hébreux la religion des patriarches d’Israël ou bien est ce la religion kénite de son beau-père Jethro qu’il leur a donnée ? Comme son beau-père était de la tribu des Kénites, on a appelé cette théorie l’hypothèse kénite… C’est le chapitre 4 ou 6 du livre de l’Exode qui pose la question en disant : mais par non Nom tétragrammate, je ne me suis pas fait connaître d’eux (ou shemai ha-Shme lo noda’ti la hém). Les grands scribes d’Israël ont bien repéré lé difficulté et l’ont résolue à leur façon : le Dieu des pères, des patriarches, est le même que celui du livre de l’Exode : seuls les noms changent, pas l’essence de la divinité, celle qui s’est fait connaître de nos patriarches. Tout ceci porte le nom de l’hypothèse kéniste qui aurait des conséquences incalculables si elle s’avérait. Or, rien n’est moins sûr. Et cela prouve que pour la science vétérotestamentaire la question est loin d’être controuvée.
L’art romanesque permet de s’éloigner du texte canonique ; mais le croyant, lui, peut en prendre connaissance, sans toutefois annihiler son esprit critique. N’oubliez pas cette définition de la foi, donnée par Kant dans opuscule La religion dans les strictes limites de la raison : la croyance est ce que l’on tient pour vrai (das Fürwahrhalten). On peu aussi s’en référer à la définition de la foi donnée par Maimonide au chapitre 50 de la première partie du Guide des égarés.
Il demeure que Moïse est le fondateur de la législation biblique alors qu’Abraham est le père de la foi juive en un Dieu unique.
Mais ce livre de Gérald Messadié va bien au-delà de la mesure de la vraisemblance historique, car c’est d’abord et avant tout un beau roman.
Juste un mot encore : il me revient en mémoire qu’il y a de nombreuses années j’étais assis à côté d’un Monsieur d’un certain âge, un dimanche après-midi pour le salon du livre à la mairie du XVIe arrondissement. Voulez vous savoir qui était cet homme d’une politesse si raffinée ? Gérald Messadié !
Ce sont donc des retrouvailles. La divine Providence nous joue parfois de ces tours…