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Ralph Bollmann, Angela Merkel, die Kanzlerin und ihre Zeit (La chancelière en son temps). Munich, Beck Verlag, 2021.

Ralph Bollmann, Angela Merkel, die Kanzlerin und ihre Zeit (La chancelière en son temps). Munich, Beck Verlag, 2021.

 

Voici la Bible de toutes les recherches sur la vie et la politique d’Angela Merkel, jeune fille ayant vécu en Allemagne de l’Est avant de revenir en Occident et de faire la belle carrière politique que l’on sait, sous la houlette bienveillante de son parrain, l’inoubliable chancelier  de la réunification, Helmut Kohl. Certes, comme la plupart des relations humaines ici bas, cette belle amitié et ce soutien sans faille ne furent pas payés de retour et le vieux chancelier connaîtra, peu avant sa mort, le goût amer de la trahison et de l’ingratitude. Mais ce serait commettre une lourde erreur si l’on voulait résumer à cette banale rupture la totalité et l’importance de l’œuvre politique de la chancelière qui quitte la chancellerie fédérale à la fin du mois prochain. Après presque seize ans de bons et loyaux services.

 

Il est un point qui m’a toujours impressionné et dont l’actualité en France a très peu tenu compte pour des raisons de (dé)formation politique (politische Bildung) ; c’est que cette femme est fille de pasteur, un élément auquel il faut attribuer une grande importance, contrairement à ce qui fut la règle en France. Pour illustrer mon propos, je rappellerai un simple fait, complétement oublié depuis. Il s’agit d’un sommet européen à Nice, du temps de Jacques Chirac. La délégation allemande demanda la mention dans le document final des racines chrétiennes du continent (geistig-religiös). Ce syntagme est un néologisme dont la langue allemande a le secret ; littéralement il signifie : spirituel et religieux. Il couvre donc un vaste espace à la fois spirituel et religieux, un aspect auquel la culture allemande tient tant depuis la tradition de la Bible par Martin Luther. Ne pas oublier que le cabinet de cette traduction fut le creuset où fut fondée la langue de Goethe qui fut d’abord et surtout le laboratoire du texte sacré.

 

 

 

Germaniste de formation et ayant enseigné durant près d’un quart de siècle la philosophie juive et allemande à l’université de Heidelberg, j’ai toujours considéré que Français et Allemands avaient des approches très différentes de la réalité européenne.  Je veux dire en langage moins diplomatique que des expressions comme le moteur franco-allemand ou le couple franco-allemand m’ont toujours fait sourire. Et je pense, la chancelière aussi, mais en privé ou devant quelques très proches collaborateurs ou confidents.

 

Dans le présent ouvrage signé par un journaliste historien connu, vous trouverez sur plus de 700 pages tout ce que vous aimeriez savoir ou connaître de la vie de Madame Merkel qui a commencé par être une physicienne diplômée. C’est peut-être cette formation scientifique rigoureuse qui lui a donné quelques longueurs d’avance sur ces adversaires ou même sur ses colistiers. Elle a su prévoir un certain nombre d’évènements là où d’autres ont mis tant de temps à comprendre ce qui se passait. Il faut dire qu’elle est arrivée au pouvoir à un moment d’incertitude et de mutation de plus en plus profondes. Issue elle-même de la DDR, elle a compris plus vite que les autres, l’immense travail de remise à nouveau de ces nouveaux Länder qui avaient été coupés de reste du monde pendant tant de décennies.

 

En feuilletant cet épais volume, on peut se demander comment en résumer le contenu en quelques mots-clés. Je crois, sauf erreur de ma part que cette femme a toujours eu des principes, même si l’univers si masculin des partis politiques semble inconciliable avec un comportement éthique ; deuxièmement, cette femme a fait preuve de pragmatisme, tant au pouvoir que dans l’opposition ; et enfin, elle a toujours accordé une place non négligeable à la Raison.

 

Par exemple, ce fut une européenne de raison, un peu comme on parle d’un mariage de raison, notamment avec la France puisqu’il n’y avait personne d’autre dans l’Union Européenne pour faire figure de «brillant  second» de l’Allemagne : sur qui d’autre s’appuyer, hormis la France, même si notre pays s’est toujours refusé à faire des réformes plus que nécessaires et énergiquement demandées par notre grand voisin  ?

 

Mais de telles dispositions  n’ont pas empêché Madame Merkel de faire cavalier seul lors des crises migratoires de 2015. Elle a tenu grandes ouvertes les portes de son pays, sans tenir compte du fait qu’elle permettait un gigantesque apport de réfugiés (plus d’un million et demi) au sein de l’espace Schengen… Angela Merkel s’est rendue en Turquie pour négocier avec le président turc les termes d’un accord qu’elle a imposé à l’Union Européenne dans son ensemble. Et dans ce domaine, c’est l’intérêt national de l’Allemagne qui a prévalu : en raison d’une baisse inquiétante de la natalité outre-Rhin dans un avenir prévisible, Madame Merkel a compris qu’il manquerait des bras à l’industrie allemande. Elle a donc saisi cette chance d’installer dans son pays toute cette main-d’œuvre, véritable manne tombée du ciel.

 

On se souvient de cette fameuse phrase, répondant à ceux qui, de l’intérieur comme de l’extérieur, étaient sceptiques : Wir schaffen das (On y arrivera, on s’en sortira). Installer chez soi et assimiler près d’un million et demi de personnes n’allait pas de soi…

 

Seul l’avenir nous dira si elle a eu raison d’admettre tant de personnes d’une autre culture que la nôtre dans une Europe judéo-chrétienne… L’Allemagne n’a pas adhéré à l’Union Européenne par amour ni par générosité. Ce fut le résultat de la Realpolitik. Elle a su très adroitement introduire l’Ostpolitik du chancelier Brandt dans la construction de l’Europe en favorisant, voire en inspirant même l’adhésion à l’UE de toute cette Europe centrale et orientale, enfin libérée du glacis soviétique. Ainsi, elle faisait d’une pierre deux coups : la construction européenne, d’une part, et l’ancrage à l’ouest de toutes ces républiques jadis séparées du reste du continent par le rideau de fer… Qui pourrait  lui reprocher d’avoir été si adroite et si intelligente ? Personne.

 

Lors de la crise grecque qui a failli faire capoter l’UE dans son ensemble, Madame Merkel

 s’est beaucoup dépensée pour trouver une solution du fait même que le fondement de cet arrangement financier reposait sur elle et sur sa puissance économique. Les lois de la physique ne s’appliquent pas au monde politique où les passions humaines se donnent libre cours. Je veux dire par là que la longévité politique de la chancelière reste exceptionnelle. Même si elle n’a pas pu mettre en application toutes les réformes qu’elle souhaitait. Son biographe écrit littéralement qu’elle se voulait la chancelière du changement mais fut contrainte d’être celle du statut quo et du maintien en l’état. C’est peut-être un peu sévère car elle a pu réformer  les lois régissant le chômage et l’assurance-maladie. Sur le plan économique et financier, les déficits n’ont pas filé librement comme en France et l’endettement du pays est supportable tandis que la balance commerciale, largement excédentaire, fait pâlir d’envie d’autres pays. On peut répondre que Madame Merkel a eu la chance de moissonner ce que son prédécesseur Gerhard Schröder avait semé avec les fameuses lois Hart (I-IV)… Mais la chancelière a su en tirer profit .

 

Au plan de la politique extérieure (donc pas de la politique intra-européenne), Madame Merkel eut à gérer la Russie de V. Poutine. Lors de sa tournée d’adieu, elle n’a pas minimisé les problèmes posés par le nouveau Tsar de toutes Russies, tout en résistant aussi aux pressions exercées par l’administration US, mécontente de la construction d’un oléoduc qui s’éloigne de l’Ukraine, elle-même menacée par la Russie. Les Américains voient d’un mauvais œil cette dépendance européenne de la Russie pour l’approvisionnement en gaz…

 

Dans ce passage consacré à la politique étrangère, il ne faut pas oublier les relations avec Israël : cette fille de pasteur sait la dette de son pays à l’égard du peuple juif et d’Israël. Contrairement à un pays comme la Pologne qui cherche par des moyens indignes d’échapper à la justice et aux réparations, l’Allemagne de Madame Merkel ne s’est jamais dérobée à ses obligations financières et morales. Dans ses relations avec les pays arabo-musulmans l’Allemagne a toujours veillé à contrarier le moins possible l’Etat juif, notamment quand il s’agit de ventes d’armes à l’Égypte… Dans peu de temps, Madame Merkel doit visiter Israël où  elle séjournera au moins deux jours. Et je suis sûr qu’elle y sera très bien accueillie.

 

Le biographe Bollmann se demande, en établissant le bilan, si Madame Merkel a vraiment réussi à faire ce qu’elle entendait faire. La réponse doit être nuancée : à son arrivée, elle entendait changer le monde et chemin faisant, elle s’est rendu compte que les populations étaient rétives au changement et optaient pour un doux conservatisme.. Dans l’urgence des relations internationales qui suivent leur propre logique, la chancelière a dû faire des concessions à des régimes autoritaires comme la Russie et la Chine.

 

Quelle trace laissera la chancelière dans l’Histoire avec un H majuscule ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais cela ne dépend pas seulement de sa volonté propre, mais principalement de l’état du monde qui accompagne ses premiers pas au pouvoir. Cela me fait penser à la phrase archi connue de Clausewitz selon lequel les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibre… Qui pouvait prévoir la catastrophe mondiale causée par la Covid 19 ? Qui pouvait prévoir ces grandes migrations qui ont changé la face de notre monde ? Qui pouvait prévoir l’anthropocène qui menace l’avenir de notre civilisation, si l’on n’y prend garde ? Ces phénomènes à l’échelle de l’univers, ces catastrophes naturelles ont des conséquences terribles et pourtant nul ne les a vu venir… Or, Madame Merkel restera la chancelière des migrants, des calamités naturelles (inondations meurtrières en Allemagne) et de la pandémie. L’état du monde que nul ne peut prévoir avec certitude a déterminé la place de cette grande chancelière dans l’Histoire. Mais c’eut été autre chose si les choses avaient évolué autrement.

On change de secteur politique pour aboutir à de la téléologie et à de la philosophie politique. L’avenir est il écrit quelque part ? Nul ne le sait. Comment se produit l’enchaînement des événements au point qu’une élection importante peut être perdue si un événement extérieur, totalement imprévisible, faisait irruption dans nos vies… Quand les historiens allemands sont fascinés par des développements imprévus, ils disent : das ist Fügung…

 

Au moment même où j’écris, notre monde civilisé, nos démocraties libérales buttent contre leurs limites (stössen gegen ihre Grenzen) en contemplant, dans notre impuissance, la débâcle afghane. Abstraction faite du fait que les Démocrates américains ont une vision naïve, irénique de la réalité internationale et de la vie tout court, on se rend compte qu’une large partie de la population humaine n’a que faire des idéaux démocratiques que nous portons à bout de bras depuis la naissance et la propagation des valeurs judéo-chrétiennes. On ne voit à la télévision que les quelques milliers d’Afghans qui veulent partir mais cela représente une infime  minorité sur… 38 millions d’habitants. Et parmi ces derniers, une forte proportion adhère à la shari’a, la loi islamique. On a encore vu ces jours précédents comment les nouveaux maîtres de Kaboul fouettaient en public une pauvre femme qui a parlé au téléphone avec un autre homme que son mari…

 

Que pourrait faire une chancelière allemande, fille d’un pasteur, homme de Dieu et d’église, contre une telle inhumanité, une telle barbarie ? Rien, rien du tout. Mais pourrait-on le lui reprocher ? Certes, non.

 

A mes yeux, cette chancelière s’est acquis de grands mérites. Pour le dire en allemand : Frau Bundeskanzlerin hat sich um ihr Vaterland verdient gemach

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