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Hervé Drévillon, Penser et écrire la guerre. Contre Clausewitz (1780-1837).   (Passés / Composés

Hervé Drévillon, Penser et écrire la guerre. Contre Clausewitz (1780-1837).   (Passés / Composés

 

C’est la première fois que je recense  un si bel ouvrage consacré à la théorisation de l’art de la guerre et critiquant si fermement les écrits de Carl von Clausewitz. Le livre est une véritable somme qui s’ouvre sur une longue rétrospective des œuvres de ces historiens de la guerre et de l’art militaire qui eurent tant de peine s’établir comme des historiens des confrontations  armées entre les nations.

Hervé Drévillon, Penser et écrire la guerre. Contre Clausewitz (1780-1837).   (Passés / Composés

 

 

 

Comment pouvait-on devenir un auteur, un penseur militaire ? Comment pouvait-on conjuguer la gloire littéraire avec la gloire acquise sur le champ de bataille ?. Cette première partie du livre qui est assez pénible à lire pour le profane que je suis, contient néanmoins une belle citation que je reproduis ici car elle résume bien tout ce combat contre les préjugés, à savoir que la guerre se gagne sur le champ de bataille et n’a rien à voir avec une érudition toute livresque. Voici ce qu’on peut lire dans un texte écrit par le Prince de Ligne : Ceux qui écrivent ne vont pas aux casernes et que ceux qui vont aux casernes ne savent pas écrire.   Il y en a qui aiment mieux travailler sur la guerre que de la faire.

 

Cette citation se passe de commentaire ; pourtant on a assisté à la difficile émergence du statut de penseur ou d’auteur militaire dont les ouvrages étaient destinés à édifier les officiers de l’armée. Il y eut aussi des érudits militaires qui recensaient les ouvrages parus dans différents pays, la France, l’Allemagne, la Grade Bretagne, et… Dans toutes ces langues européennes vous pouviez vous tenir informés des progrès de cette science si particulière.

 

Cet ouvrage entend jeter un regard critique sur l’œuvre de Clausewitz qui s’est imposée par rapport à tant d’autres qui ne lui cédaient en rien en termes de qualité, de compétence et de profondeur. Notre connaissance des œuvres de ce spécialiste de la guerre se limitait généralement à quelques citations traînant dans tant de manuels, notamment ces deux citations qui sont parmi les plus célèbres :  La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Et aussi : Les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture de certains équilibres…

 

Avec son investigation approfondie, ce livre nous aide à combler notre ignorance. Mais je dois avouer que cette première partie est surtout destinées à des spécialistes de l’histoire militaire. Ces analyses historiques et toutes ces mentions d’auteurs et des titres de leurs ouvrages conduisent le profane à perdre pied ; mais un tel talent, une telle érudition condamnent à la célébrité, pour reprendre en la modifiant l’éloge qu’une femme faisait, dans ce même contexte, de l’étendue du savoir d’un être qui lui était si cher.

 

Guerre et politique, voici un couple qui recèle tant de problématiques connexes : comment organiser une armée pour faire la guerre ? Comment se comportent, au plan intérieur, les états belligérants pour amortir au mieux les destructions et les malheurs apportés par les guerres ? L’état qui mène une guerre plus ou moins longue doit réorganiser  son  industrie , son économie, son système judiciaire  et prendre tant d’autres mesures pour s’en tirer le mieux possible. Ce qui fait des spécialistes de la guerre des gens qui doivent avoir une multiple formation dans divers domaines, et tout ce qui recouvre la vie sociale.

 

Et c’est justement cette insertion de l’aspect social qui détermine  le succès de ce qu’on entreprend car il faut soigner le véhicule ou le vecteur qui pose dans la vie ce que l’on cherche ou ce pourquoi on déclenche les hostilités. L’auteur cite un passage particulièrement pertinent de Blaise Pascal selon lequel  presque toujours les choses que l’on dit frappent moins que la manière dont on les dit… C’est toute la question de la publicisation de la tactique militaire, son usage public

 

Deux paragraphes ont retenu mon attention, la guerre des jambes et la guerre des ventres. Plusieurs armées européennes, notamment l’armée de Louis XIV , avaient opté pour la stratégie des forteresses, donc pour une guerre de position dans des abris fortifiés, une véritable ceinture d’acier. Progressivement, la mobilité, la guerre de mouvement s’imposa. Ce qui conféra aux jambes des soldats une importance capitale. Mais une armée, surtout une armée en campagne, requiert  une intendance,  un grand service de ravitaillement, faute de quoi la troupe peut se disperser, voire se livrer à des opérations de pillage et de dévastation du pays où elle campe. D’où la notion de la guerre des ventres. Lors de la campagne de 1757 de Frédéric II, Tempelhof avait formulé l’idée suivante :  Pour établir le corps d’une armée, il faut commencer par le ventre…

 

L’auteur du présent ouvrage entend montrer que Clausewitz n’était pas le meilleur stratège de son temps et que d’autres experts, tel le général suisse Antoine de Jomini (1770-1869), dit le devin de Napoléon, accusa son contemporain prussien de plagiat.  Dans le chapitre consacré à la guerre et à la politique Hervé Dévrillon souligne d’emblée que la fameuse formule (la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens) qui a fait la glorieuse fortune  de Clausewitz était le bien commun de tous et étonnait même par sa banalité… Pourtant, c’est bien elle qui a assis la réputation de l’auteur du traité De la guerre… Visiblement le sous-titre du livre, Contre Clausewitz, est loin d’avoir une valeur purement théorique. On a l’impression que le théoricien de la guerre a fait une longue carrière d’usurpateur à laquelle l’auteur souhaite mettre un terme. Ce jugement sévère est pratiquement sans appel, comme on peut en juger : La projection des postulats idéalistes de Clausewitz sur la réalité s’exprima de façon particulièrement chimérique dans a présentation du système militaire inauguré par la Révolution française à partir de 1793.

 

On a souvent reproché à Clausewitz d’avoir plaqué sur des situations concrètes des théories personnelles qui avaient fait leur temps. Ces théories ont évolué, surtout après la disparition de leur auteur, ouvrant la voie à des interprétations parfois arbitraires.

 

Cet ouvrage, si savant et si documenté exhibe un art de la guerre qui est bien plus complexe qu’il n’y parait. Je m’attendais à lire une confrontation idéologique entre la pensée de Clausewitz et celles de ses contemporains. Mais le livre ne manque pas son bit qui consiste à relativiser la primauté de Clausewitz qui redevient sous la plume de l’auteur un penseur militaire parmi tant d’autres.

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