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ean-François Chanet, Clémenceau. Dans le chaudron des passions républicaines. Gallimard  

Jean-François Chanet, Clémenceau. Dans le chaudron des passions républicaines. Gallimard

 

Voici un homme aux multiples facettes et qui, pour cette raison, occupe une place de choix dans l’histoire politique récente de la France. Personnage atypique issu d’une famille située dans la région de Nantes, médecin de formation et peu désireux de se frotter à la chose publique, admirateur sans borne de la Révolution française et défenseur impétueux de tous ses acquis, cet homme rêvait  du temps de sa jeunesse, de vivre des aventures exaltantes, de se distinguer de la masse grise des sans-grades.  

Jean-François Chanet, Clémenceau. Dans le chaudron des passions républicaines. Gallimard

 

 

Il prendra dans sa vie publique tumultueuse des décisions inattendues, si l’on les juge d’après ses idéaux politiques. Nous verrons infra comment cet homme, devenu enfin ministre (de l’intérieur) à soixante-cinq ans et par la suite président du Conseil, finira par devenir un briseur de grève, lorsqu’il estimera que son action se situe dans le bien-être de la France et non plus dans son idéologie propre. L’auteur de ce sympathique ouvrage  a raison de parler d’une mue, d’une lente évolution qui placera Clémenceau dans l’autre camp que le sien. On notera aussi son opposition à Jaurès qui attendait surtout des réformes sociales

 

Pour ce qui est de la Révolution, l’auteur de ce bel ouvrage, rappelle une de ses phrases qui résume bien le fond de sa pensée

 

 :  Messieurs, que nous le voulions ou non, , que cela nous plaise ou nous choque,  la Révolution française est un bloc…  

 

Ce jugement à l’emporte-pièce illustre bien le caractère d’un homme qui observait rarement le sens de la nuance, malgré une indéniable intelligence politique. Même dans sa vie familiale il fit preuve d’une incroyable fermeté : parti aux USA pour vivre des aventures, il connu une jeune femme américaine qui devint son amante et qu’il épousera de retour en France avec elle. Mais lorsque des secousses graves signèrent  l’impossibilité de continuer à vivre ensemble, il réagit rondement,  faisant condamner son épouse, la privant de ses trois enfants et la renvoyant dans Amérique natale avec un billet de troisième classe dans un paquebot… Ceci préfigure l’image qui donnera de lui-même lorsqu’il effectuera sa mue de médecin des pauvres en journaliste et pour finir à l’homme politique de tout premier plan…

 

Un mot du physique de notre homme et de son caractère ; les traits de son visage n’étaient pas très courants en France, pour user d’un euphémisme et certains artistes qui érigèrent  sa statue en bronze parlèrent d’un Mongol ou d’un Japonais… On préféra l’affubler des caractéristiques du tigre qui convenaient mieux à son caractère.

 

Cet homme réussira sa mue en tribun et surtout en journaliste qui n’épargnait personne. Pas même les gens de son propre camp. Certes, quand il sera au poste suprême on parlera de lui comme du «Père la Victoire» mais ses adversaires politiques trouvaient en lui le grand «tombeur de ministères», ce qui correspond aussi à un aspect de son caractère.

 

Sur son indocilité personnelle, surtout au plan idéologique, ce défenseur ombrageux des idées révolutionnaires a donné bien du fil à retordre à son rival et adversaire Jules Ferry dont il avait attaqué bille en tête à la fois lé politique économique et coloniale. Il s’en prit avec force à l’idéologie de Ferry, qui était aussi celle de la majorité de ses contemporains : les nations civilisées avaient le devoir moral de se préoccuper de l’état imparfait des sociétés constituées de races «inférieures». Pour un homme comme Clémenceau une telle politique était inacceptable.  Maintes fois à la Chambre, du haut de la tribune, il cloua au pilori les projets de Ferry, lui faisant même mordre la poussière lors d’élections à la présidence de telle ou telle autre institution . Ce que les amis du fondateur de la scolarité pour tous les enfants de France auront l’occasion de lui faire cher payer. L’auteur de ce petit ouvrage est très fondé à donner à son œuvre sur Clémenceau le sous titre qu’il a retenu :… dans le chaudron des passions républicaines.

 

On oublie souvent les haines partisanes, les discours au vitriol et l’âpreté combats  politiques. On pense à Clémenceau lui-même qui avait bien mérité son surnom de destructeur de ministères. Mais lui aussi aura à subir des défaites retentissantes, notamment lorsqu’il refusa l’offre généreuse de Jean Jaurès de venir lui prêter main forte dans sa circonscription. Le résultat fut négatif. Et je ne parle même pas des accusations de connivence articulées contre lui lors du scandale de Panama. On lui reprochera d’avoir partie liée avec le docteur Herz et le baron Reinach, deux personnalités qui conjuguaient un double handicap : toutes deux étaient juives et portaient des noms de famille à consonance allemande… Dans la France d’après 1871, après la défaite et du temps de la Commune, cela suffisait à faire de vous un suspect tout désigné…  Il y avait aussi à cette réunion le ministre des finances d’époque, Maurice Rouvier qui remplaça Émile Combes à la présidence du conseil lorsque ce dernier en démissionna…

 

Lorsqu’éclata l’affaire Dreyfus, Clémenceau n’avait plus de mandat électif. Sans être un dreyfusard de la première heure, il en fit son propre combat au nom d’une justice intègre et du respect de la loi. Il entendait bannir l’iniquité dans ce genre d’affaire, devenue une cause nationale. Il rencontrait alors assez régulièrement le frère du capitaine, le baron Reinach t le ministre des finances de l’époque, déjà cité plus haut. Ce petit manège n’avait pas échappé à ses adversaires qui redoutaient toujours son retour en politique, ce qui finit par advenir…

 

Mais Clémenceau se vit prêter de noires arrière-pensées par Léon Blum dans ses souvenirs de l’affaire… Le «Père la Victoire» se serait emparé de l’affaire… pour mieux parachever  son retour en politique et bénéficier d’une grande exposition médiatique. En tout état de cause, le retour était bien amorcé. Clémenceau devint par la suite ministre de l’intérieur, au moment où se discutait la loi de séparation entre l’église et l’État. Parallèlement à ces troubles au sein même du pays, il y avait la politique coloniale qui séparait deux clans opposés. L’homme qui incarnait la politique étrangère du pays à ce moment là, Théophile Delcassé, cherchait à avoir les mains libres au Maroc et, dans ce contexte précis, ménageait l’Angleterre. Les choses menaçaient de devenir plus compliquées lorsque l’empereur Guillaume II se rendit en personne à Tanger le 31 mars 1905, assurer  de son soutien, le sultan Abd al-Aziz. Il fallait faire preuve de beaucoup de diplomatie pour avoir les mains libres en Afrique du Nord.

 

Il faudrait s’étendre plus longuement sur les relations entre Clémenceau et Jaurès, ce dernier ne pouvant concevoir que l’on fasse tirer sur des ouvriers en grève. Face à lui, son frère ennemi se voulait surtout un faiseur d’ordre. En raison des vicissitudes de la vie politique, des passions usantes et de la versatilité de l’opinion publique, Clémenceau prit du champ après trois années au pouvoir, de 1906 à 1909. Il entreprit un lointain voyage en Amérique du Sud mais à son retour en France il retrouva son siège de sénateur, ce qui allait lui permettre de revenir au pouvoir. Pour comprendre ce qui va se passer, il faut rappeler que Clémenceau avait toujours témoigné un intérêt brûlant aux affaires de défense nationale. Or, la rivalité entre la France et l’Allemagne prenait une tournure de plus en plus inquiétante. Clémenceau qui avait été aux affaires durant quelques années avait conscience de l’état d’impréparation militaire de la France. Au ministre de la guerre avec lequel il n’était pas d’accord, il eut cette cruelle répartie : En réalité, nous ne sommes ni défendus ni gouvernés… Ou encore cette proclamation : Il ne suffit pas d’être des héros, nous voulons être des vainqueurs…

 

Finalement, c’est bien là la phrase que Clémenceau a tenu à illustrer lors de ses dernières années, lesquelles ne furent pas les plus calmes : de novembre 1917 à novembre 1918, Clémenceau consacra le plus clair de son  temps en visites aux armées. Cette assiduité auprès des défenseurs de la nation froissa un peu le président de la République Raymond Poincaré qui ne faisait pas entièrement confiance à ce vieux briscard de la politique.

 

Comment conclure ? Dire que cet homme a été le défenseur et le continuateur de la Révolution ou un proche du socialisme qu’il a troqué contre l’autoritarisme politique au point de faire tirer sur les ouvriers en grève ? Difficile de trancher car l’homme a fait preuve  d’une détermination exemplaire. Je me contenterai de reprendre cette citation figurant dans le livre :

 

Il est. Venu trop tard, il est parti trop tôt…

 

 

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