Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Colette Beaune & Nicolas Perruchot, L’assassinat politique en France. Éditions  Passés / Composés, 2021.

Colette Beaune & Nicolas Perruchot, L’assassinat politique en France. Éditions  Passés / Composés, 2021.

 

Voici un sujet qui n’est pas très répandu ni très familier dans les recherches académiques, pourtant cette histoire des assassinats politiques en France fait aussi partie, à, s manière, de l’histoire de France proprement dite… Je pense surtout aux conséquences qu’on en escomptait : changement de régime, mise à l’écart d’un adversaire redoutable et redouté, favoriser une classe sociale, etc

  

Colette Beaune & Nicolas Perruchot, L’assassinat politique en France. Éditions  Passés / Composés, 2021.

 

 

 

 Il suffisait d’y penser, c’est ce que fait ce couple composé d’une grande historienne et d’un homme politique qui a fait ses preuves au plan local ou national. Nous avons deux approches complémentaires qui se penchent sur un problème souvent peu connu, voire occulté par les autorités en place, qu’elles soient de gauche ou de droite.

 

Le livre est imposant et pourtant il ne fait que sélectionner les cas les plus célèbres, par exemple l’assassinat du grand maître de l’ordre des templiers, du duc de Guise, d’Henri III, etc…. Le livre embrasse les temps qui vont de Vercingétorix à Charles de Gaulle, voire à Nicolas Sarkozy, victime d’un autre type  «d’assassinat»…

 

J’ai commencé par lire l’introduction qui s’en réfère à la fois aux sources bibliques, judéo-chrétiennes et à la culture gréco-romaine. Avant la République, l’institution la plus prépondérante était évidemment la royauté. Et la Bible, dans le premier livre des Rois, relate la rivalité entre le futur roi David et son irascible beau-père, Saül qui ne veut pas se laisser déposséder de son pouvoir. Ce qui est intéressant, c’est l’affirmation de l’inviolabilité de la personne du roi, quiconque commet un régicide ne s’en prend pas à un homme ordinaire mais commet un crime de lèse-majesté divine, car le roi tire son pouvoir de Dieu qui lui donne l’onction par le truchement du prophète… Même si son beau-père Saül a maintes fois tenté de le tuer, lorsque le roi dort, épuisé, dans une grotte, et qu’il est sans défense, David empêche l’un de ses compagnons de s’en prendre à l’envoyé de Dieu, l’oint du Seigneur.

 

Parallèlement à l’héritage biblique ici cité, il y a les racines gréco-romaines avec l’exemple paradigmatique de l’assassinat (politique) de César, accusé de vouloir pervertir les institutions et de se conduire comme un tyran. La question se pose : a-t-on le droit de mettre des dirigeants à mort pour des raisons politiques ? Ici, les lignes ne sont pas très claires :on est balloté entre la préservation de sa propre vie et l’exécution extrajudiciaire d’un potentat… Il existe aussi le cas de personnes exécutées à la demande des tribunaux qui ne sont pas inspirés par l’équité mais par un calcul politique inavoué : voir le cas de Socrate, le premier martyr de la philosophie.

 

Après les antiquités bibliques et gréco-romaines, le livre aborde la longue période médiévale et examine d’abord le cas de Jacques de Molay, le grand maître du puissant ordre des templiers dont la prospérité et l’essor politico-religieux suscitaient une méfiance grandissante de l’autorité royale. Le complot fut ourdi dans une obscurité totale, aucune fuite n’alerta les suspects qui furent dans l’impossibilité de se défendre avant d’être incarcérés. Pourtant, le roi lui fit bonne figure peu avant la rafle, alors qu’il était le parrain de l’un des fils du grand maître…  On mit maintes rumeurs en circulation, comme la sodomie, l’hérésie, des rites de sorcellerie qu’auraient pratiqué des membres de cet ordre des templiers… On exploita tout ce qui pouvait déconsidérer l’ordre aux yeux des gens. Pourtant, les chevaliers ne pouvaient comparaître que devant des juridictions ecclésiastiques, quitte à charger le bras séculier de  l’exécution des sentences. Seul comptait l’objectif, les autorités politiques furent peu regardantes sur les moyens.

 

Les pages consacrées au meurtre de la nuit de la Saint Clément (23 . 11.1407) se lisent comme un roman  policier. Il s’agit d’une rivalité sur fond de succession au trône du royaume de France, opposant le duc de Bourgogne au duc d’Orléans et ceci s’est achevé par la mise à mort de ce dernier. Cet assassinat, politique par essence, a modifié la donne pour une longue période et a plongé le royaume dans une épuisante confrontation armée.

 

La seconde partie de cet ouvrage porte sur les guerres de religion, suivies du cas de Catherine de Médicis sur laquelle pesait durablement le soupçon d’avoir fait le vide autour d’elle, en usant peut)-être de poison… Qu’une femme, orpheline italienne de surcroit ; ait été deux fois régente du royaume de France ne pouvait pas lui faire que des amis. Elle était aussi la nièce d’un pape qui l’avait prise sous son aile protectrice. Toutes ces choses, réunies en une seule personne ne pouvaient pas ne pas susciter de la méfiance et de la jalousie. Ajoutez à cela qu’une bonne dizaine de personnes sont mortes dans son entourage plus ou moins immédiat, et vous comprendrez comment ce surnom d’empoisonneuse a pu lui être attribuée. Elle aurait même, dit-on, servi du poison à deux de ses fils, elle qui avait dû attendre une bonne décennie avant de mettre un enfant au monde

 

Les auteurs évoquent aussi assez longuement l’assassinat du duc de Guise qui incarne la quintessence même du crime politique puisque le commanditaire n’en était autre que le roi en personne … Il eut beau s’expliquer,  dire que la victime en voulait à son trône, rien n’y fit Et quelques années plus tard, le duc fut vengé.

 

L’ensemble de ce livre situe bien les manœuvres politiques violentes dans leur contexte : par exemple, le rôle de la foi, des disputes théologiques entre protestants et catholiques, qui fut très important ; ou encore le rapport entre la monarchie absolue et la violence : devenait-elle légitime lorsqu’on avait affaire à un monarque intraitable ? Par ailleurs, lorsque le cas d’un roi non catholique se présenta, fallait-il s’en tenir à la loi salique ou, au contraire, privilégier le sacre, seule cérémonie religieuse habilitée à faire d’un individu le roi ? C’était accorder la prééminence au sacre religieux, donc à l’église et à sa hiérarchie…

 

La tentative d’assassinat de Louis XV par Damiens le 5 janvier 1757 est un cas d ‘école, à maints égards. D’abord la très légère protection des monarques et des princes est frappante, comme l’est tout autant, le profil du meurtrier. On relève aussi les mesures qui doivent être prises quand un roi poignardé était en danger de mort. Il fallait, par exemple, que son confesseur accoure afin de lui donner l’absolution. Dans ce cas précis, ce bon roi fut trois fois confessé et trois fois absous…

 

Dire que le siècle de Révolution n’a pas été en reste dans le domaine de la violence revient à énoncer un truisme. L’auteur souligne à raison que les années de la Terreur (1793/94) furent peu étudiées en France et ce sont des collègues anglophones qui suppléèrent à cette absence. C’est que la Révolution a dévoré ses propres enfants. Ceux qui dirent à Lavoisier que la République n’avait pas besoin de savant étaient eux aussi attendus par la guillotine à Paris ou ailleurs. Marat avait été mis à mort par Charlotte Corday et Robespierre n’échappa pas lui aussi au supplice qu’il avait si généreusement infligé à tant d’autres. La Révolution a bien mérité son nom : mettre les choses sens dessus dessous…

 

Le XIXe siècle, lisons nous dans ce livre, va connaître une recrudescence des attentats, mais certains détails changent qu’il convient de relever : lorsque l’action criminelle aboutit, même si la mort de la victime est évitée de justesse et que la personne visée se  remet lentement, on ne nomme plus ce crime selon son auteur mais d’après l’endroit où il a eu lieu. Le meilleur exemple nous vient d’une époque très proche de nous : l’attentat de la rue Copernic…

 

Il arrive que la fin tragique d’un homme politique, même s’il n’a jamais été ni président ni ministre mais simple député de la nation, obtienne un traitement quasi prodigieux qui profite à la victime. Il arrive aussi que d’autres ne laissent qu’un vague souvenir alors qu’ils étaient à la tête de l’État, même s’ils étaient confinés à l’inauguration des chrysanthèmes.  Ce qui est arrivé au président Sadi Carnot, en comparaison de ce qui est à arrivé à Jean Jaurès est assez édifiant. Comme l’écrivait l’auteur, c’est  cette mort tragique qui lui ouvrait les portes de l’immortalité. On le constate aussi par le nombre de rues, d’avenues et de places portant le nom de Jaurès. Sadi Carnot aussi, mais peu en comparaison de  l’hommage posthume accordé à Jaurès alors que l’autre fut le président de la République…

 

Un mot encore, pour finir, sur l’assassinat politique de Nicolas Sarkozy, fomenté par ses adversaires qui l’accusaient de liens condamnables avec la Libye du colonel Kadhafi . On pourrait parler d’assassinat politique si la preuve d’une telle collusion politico-financière est enfin apportée. Pour le moment, je pense que l’ancien président est présumé innocent.

 

Quant à son illustre prédécesseur, Charles de Gaule, qui lui, a failli mourir suite à deux attentats sanglants, ce sont les adversaires de sa politique algérienne qui sont en cause. Avaient-ils le doit d’attenter à la vie d’un président qui avait décidé de donner son indépendance à l’ancienne colonie ? DE leur point de vue, oui, mais pas du point de vue d’une nation soucieuse de recouvrer son indépendance

 

C’est un débat qui est aussi vieux que l’humanité : il est interdit de tuer mais que faire contre ceux qui menacent vos intérêts, votre vie, l’avenir de vos enfants ?. Le livre de la Genèse prête à Dieu, avant le Déluge, de sombres considérations : le cœur de l’homme est envahi par le mal, depuis ses jeunesse… Si c’est Dieu qui le dit…

 

Les commentaires sont fermés.