Jonathan Chetrit, Toulouse 19 mars 2012. L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu. Albin Michel, 2022.
Impossible de recenser ce livre-témoignage comme un ouvrage ordinaire. Dès que vous prenez possession de ce livre, vous ne parvenez pas à le refermer, sans l’avoir lu de la première à la dernière ligne. Le sous-titre est tout à fait nécessaire : il s’agit de témoins oculaires directs, notamment de celui qui a donné son nom au livre : Jonathan Chetrit a vu le tueur manier son arme, poursuivre de pauvres élèves cherchant à fuir pour sauver leur vie. Et surtout, il décrit ces mares de sang dans lesquelles baignaient les victimes, notamment le fille du directeur de l’ établissement. C’est une violente secousse tellurique. Le sol se dérobe sous nos pieds. Personnellement, je ne pensais pas, qu’après toute une décennie, on pourrait revivre de telles émotions. Et que celles-ci n’auraient rien perdu de leur force primaire.
Jonathan Chetrit, Toulouse 19 mars 2012. L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu. Albin Michel, 2022.
Les témoins de ce drame n’ont pas compris immédiatement ce qui était en train de se produire. Ils étaient frappés de sidération, et le mot n’est pas exagéré. Jonathan le montre bien dans ces notules où chacun, chaque protagoniste, livre son témoignage, où il se trouvait, dans l’établissement ou au dehors, où il se rendait, avec qui il tentait de prendre contact ; et surtout l’origine de ces détonations qu’on commença par prendre pour des pétards, saluant un peu tardivement le fête de Pourim, célébration au cours de laquelle les juifs de la ville de Suze laissent éclater leur joie d’avoir échappé à un génocide programmé par le sinistre Haman… Mais ce n’était malheureusement pas le cas. Une véritable attaque avec armes à feu avait pris pour cible un établissement d’éducation de la communauté juive à Toulouse. Jonathan, je me répète, a vu le tueur, ils se sont regardés dans les yeux, il l’a vu agiter son arme de poing, mais il n’a pas pu comprendre ; il lui a fallu quelques instants pour saisir la gravité de l’évènement.
Je ne me résous pas à décrire la douleur inexprimable du chef d’établissement comprenant enfin, après le choc, que ce petit corps ensanglanté était celui de sa fille… Que Dieu épargne à tout un chacun cet instant d’horreur : découvrir, gisant à terre, le corps sans vie de son enfant… Jonathan prend l’initiative de déplacer le corps de l’enfant, un corps sans vie qu’il porte dans ses bras pour le couvrir d’un drap afin d’éviter des traumatismes pouvant affecter d’autres enfants.
Ce 19 mars 2912 avait commencé comme un autre jour ordinaire. Personne n’imaginait ce qui allait se passer, même si, au travers de quelques témoignages initiaux, certains élèves et certains professeur s ou d’autres adultes ne se sentaient pas très à l’aise. Des cauchemars, des insomnies, une sensation d’un malaise indéfinissable. Et la survenue du drame que rien ne laissait prévoir. Certes, depuis quelques décennies, on savait que des menaces endémiques planaient au-dessus des institutions juives de l’Hexagone. Cela a fini par faire partie de l’ordinaire Il suffit de voir les mesures de sécurité autour des synagogues et des écoles juives pour s’en convaincre.
Mais ce qui nous frappe aujourd’hui encore, c’est le calme, la détermination avec lesquels l’assassin a exécuté ses crimes odieux, comment il a pu, sans la moindre hésitation, trancher le cours de tant de vies, et enfin l’aisance avec laquelle, il remonte sur son scooter et quitte les lieux, sans être inquiété. Jonathan nous confie qu’il a fait le rapprochement entre l’attentat contre l’école Ozar Hatorah et les assassinats de Montauban dont furent victimes les soldats français de confession musulmane.
Ce jour là les règles les plus élémentaires de l’humanité furent violées ; lisons cette phrase émouvante de Jonathan qui n’avait en ce temps là que dix-sept ans et se trouvait en classe terminale :
Je ne sais comment réagir. Je ne suis qu’un enfant parmi les autres. Le plus grand des enfants est en terminale à ce moment là, mais un enfant de dix-sept ans…
C’est le cœur chancelant que je passe à la seconde partiel du livre, celle du procès du frère du meurtrier qui niait toute implication dans le massacre perpétré par son cadet. En fait, il faudrait redonner la parole à tous les témoins, à toutes celles et à tous ceux qui eurent peur ce jour là… Je suis aussi frappé par la jeunesse des témoins, filles ou garçons. Mais il faut bien respecter quelques normes, même si, je me répète, ce livre sort de l’ordinaire. On ne peut pas tout dire ni tout reprendre.
Après ces terribles événements, Jonathan, âgé de 27 ans, est devenu avocat et va suivre le procès qui se tient en 2017. Le temps a passé mais le traumatisme est toujours là et modifie les sentiments des victimes. Je suggère aux lecteurs de lire attentivement les récits concernant les deux procès, car les accusés ont fait appel ; lors du second procès, le frère du tueur a été reconnu coupable de complicité dans la perpétration du massacre. Mais que peut la justice humaine face à de tels malheurs ? Gabriel, Arié, Jonathan et Myriam étaient des victimes innocentes et l’on se demande où se trouve la Providence.
Lorsque la famille Sandler prit un jour l’avion avec leur petite fille, devenue orpheline, celle-ci dit qu’elle allait revoir son cher père et ses frères… Que dire de plus ?
Un vieux professeur, titulaire de la chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France, , et qui fut mon maître, me dit la phrase suivante : on se plaint, on désespère de Dieu, mais je dis, moi, qu’on doit au contraire désespérer de l’homme…
En effet, devant une telle inhumanité, c’est parfaitement avéré.