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Noémi Halioua, Les uns contre les autres.  Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé. Cerf, 2022.

Noémi Halioua, Les uns contre les autres.  Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé. Cerf, 2022.

 

Voici un bel hommage rendu à une ville aujourd’hui méconnue et qui  sert presque de repoussoir quand il s’agit de célébrer l’entente (aujourd’hui absente) entre les êtres humains, l’harmonie entre ces mêmes êtres, au nom d’une commune provenance, par-delà la variété des origines, des cultures et des traditions. Grâce à Noémie, ceux qui comme moi n’ont jamais mis un seul pied dans cette petite Jérusalem (sic), se font une petite idée de ce que fut, à l’origine, cette cité-dortoir où chrétiens, juifs et musulmans cohabitaient  sans trop de heurts. Noémie est née dans cette cité, elle y a fait une partie de sa scolarité et on sent son âme vibrer, quand elle évoque cette période presque irénique, avant que le fanatisme ne s’abatte sur une cité qui avait été construite à la hâte pour faire face à une terrible crise du logement.

 

Noémi Halioua, Les uns contre les autres.  Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé. Cerf, 2022.

 

Mais ce n’est pas tout car Noémie a su raconter l’histoire de sa ville natale en relatant la sienne propre, celle d’une jeune fille juive, scolarisée dans une école sans garçons, dans un milieu orthodoxe dont les us et coutumes me laissent songeur… Et ce n’est pas peu dire. Ce qui fait que Noémie s’est émancipée de ces traditions dont le sens profond avait été galvaudé au ours de quelques décennies. Quand elle parle de ce souffle d’air frais, d’esprit  vivifiant des Lumières, venu de Paris, c’est comme si elle évoquait une terre lointaine, un autre monde sur lequel s’étaient repliés quelques nostalgiques d’un temps passé. D’ailleurs, sans faire trop de compliments à Noémie dont j’aime bien les livres, certains passages de son ouvrage  m’ont fait penser, dans un autre contexte, au merveilleux livre de Stefan Zweig, Le monde d’hier… Ici, il faudrait parler d’un monde d’avant-hier, tant la résistance désespérée aux Lumières et à l’esprit et à la lecture était acharnée. Mais Noémie ne règle pas ses comptes avec un milieu qui l’a formée dans une certaine mesure (elle l’illustre à la façon dont  elle orthographie le Nom divin) mais font a réussi à s’en libérer pour s’assumer telle qu’elle est aujourd’hui, étoile montante d’une classe de jeunes journalistes ayant le vent en poupe.

 

Je m’en souviens très bien puisqu’elle m’avait interviewé pour Actualités Juives et plus tard je l’ai retrouvée dans les couloirs de I24News à Jaffa où elle s’est fait un nom grâce à des reportages de grande valeur. Et aujourd’hui, la voila revenue aux sources puisqu’elle est affectée à Paris dans le cadre de cette même télévision. Ce qui lui permet de voir que l’ambiance qu’elle a jadis connue dans ses années d’enfance et d’adolescence à Sarcelles n’existe plus. Le sous-titre ne laisse planer aucun doute sur cette évocation inquiétante : les juifs, puisqu’ils constituent la principale cible des fanatiques locaux, partent, laissant derrière eux les lieux où ils avaient recréé une nouvelle vie. Venus principalement comme Noémie d’Afrique du Nord, ils ont fondé des galeries marchandes, des lieux de culte, des établissements d’éducation et tant d’autres institutions attestant de leur bonne intégration. Mais aujourd’hui, ce monde d’hier est lointain et disparait dans les brumes d’un antisémitisme qui avance, étendard déployé devant lui… Il suffit de porter une kippa ou un autre signe d’appartenance religieuse, sur la voie publique, pour être victime d’une agression. L’auteure déplore cette situation qui s’est installée sur place et fait oublier ce que fut cette ville au temps jadis.

 

L’intérêt de ce livre qui se lit agréablement, est donc double : d’une part il se veut une sorte de baromètre à l‘aune des affrontements éthiques et religieux, et d’autre part, ce sont, pour parler comme Ernest Renan, les Souvenirs d‘enfance et de jeunesse de Noémie. Cette alchimie  a réussi puisque l’auteure évite de s’apitoyer sur son sort, n’invective personne tout en pointant les sources de ce mal qui s’empare de tant de villes et de régions de France. Les descriptions du vécu juif à Sarcelles mont étonné, et le mot est faible. Beaucoup de ce qui se présentait comme le pratique religieuse fondée et légitime n’était, en fait, que l’expression d’une superstition ambiante. Mais il convient d’ajouter qu’au fur et à mesure des mutations et des évolutions, ces mêmes communautés juive un peu isolées, ont rattrapé leur retard et ont pu donner toute leur mesure.

 

Cela me permet d’évoquer mon excellent ami, Monsieur Moshé Cohen-Saban, président de la communauté juive de Sarcelles pendant de nombreuses années… Avec sa famille et tant d’autres, il représente l’apport égyptien à la communauté sarcelloise. Son engagement communautaire est absolument admirable. Mais cette remarque me permet de faire une petite mise au point : certes, les communautés d’origine, les provenances diverses  comptent mais elles n’étaient pas encore communautarisées, le communautarisme n’est venu qu’après, c’est un phénomène grave mais récent. Au débit, les choses se passaient à peu près bien. Les gens, tous victimes de l’intolérance, le fanatisme et la misère dans leur ancienne patrie, s’entraidaient, comprenaient que l’on  pouvait compter les uns sur les autres. L’autre n’était pas encore devenu l’Autre, le rival, l’ennemi, le voisin honni et envié à la fois etc…

 

Comment unifier une cité abritant près de cent nationalités, généralement extra européennes ? Il y a la culture mais elle n’est pas en mesure d’aplanir les différents partout où ils existent. Sarcelles, c’est Babel et tous les habitants, surtout les plus jeunes, résistant mal à l’appel à la révolte tandis que les moins atteints par la haine se convertissent à une approche plus sereine, prenant leur mal en patience. Mais peut-on compter sur les pas très lents de l’inculture vers la culture ? Peut-on semer dans les esprits  l’antidote de ce que les fanatiques veulent y introduire ? L’exemple sarcellois montre le contraire et les limites de cette approche… Ce que Noémie constate, elle aussi.

 

Elle dénonce en termes mesurés le fait de parquer à Sarcelles des populations étrangères vivant dans la précarité à Paris. Ce qui transforme la ville, pauvre et désargentée, en laboratoire et certains pensent à un autre vocable, moins  glorieux et que je m’abstiens d’écrire couramment…

 

Pour conclure : c’est la fin de l’âge d’or juif dans la cité du 95. Mais cela n’implique nullement  que les communautés juives de ce département cherchent à se couper du reste de la communauté nationale. Comment reprocher à des parents de scolariser leurs enfants dans  des établissements juifs alors qu’ils ne sont plus en sécurité dans les établissements publics ? J’ai entendu dire que ce sont des  proviseurs qui ont fortement déconseillé à des parents juifs d’inscrire leurs enfants dans l’école publique… En revanche, les comportements de certains parents dont le niveau culturel ou la situation sociale n’est pas très favorable peuvent prêter à confusion. Mais même dans ce dernier cas, les communautés juives ne se sont jamais repliées sur elles-mêmes, historiquement parlant. Quand elles l’ont fait, c’était pour se prémunir contre des dangers qui étaient tout sauf imaginaires.

 

En réalité, cette question nous renvoie aux rapports entre l’identité juive et la culture européenne. Ce serait trop long à discuter ici, d’autant que je l’ai déjà fait ailleurs… Le judaïsme intelligent et digne de son héritage pluriséculaire n’a rien à craindre de son entourage immédiat puisqu’il est constitutif de cette même culture. En d’autres termes, la constitution spirituelle de l’Europe n’est autre que le Décalogue. Mais quand on est menacé physiquement,, il faut prendre des mesures de protection. Le judaïsme, de Cordoue à Berlin, n’a jamais vécu dans l’autarcie culturelle, bien au contraire.

 

Le nouvel antisémitisme est le triste privilège de certaines strates de la société musulmane qui en veulent aux juifs. Nous le savons et nous nous mettons à l’abri quand il le faut. Mais ici aussi, il ne faut pas baisser les bras. Songez, par exemple, que l’Institut du Monde Arabe  a demandé récemment à l’auteur de ces lignes de venir parler du thème suivant : Ce que l’islamologie moderne doit aux sages et aux philosophes à travers l’histoire ! Ce qui constitue nettement une approche nouvelle, un hommage vibrant à l’apport juif. Et puis, il y a l’exemple des monarchies du Golfe qui se rapprochent d’Israël et sollicitent même son aide pour les protéger et les défendre. C’est vrai, c’est dommage pour Sarcelles et ce qu’elle représente, mais on en a vu d’autres.

 

Les membres de la communauté juive doivent garder leur optimisme et leur dynamisme.

 

 

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