Octavio Paz, Le labyrinthe de la solitude, suivi de la critique de la pyramide. Gallimard.
Tout le monde connait l’œuvre de ce grand maître mexicain, à la fois diplomate et auteur de solides ouvrages, et qui nous a quittés en 1999. En 1990 on lui décerna le Prix Nobel de littérature : tout ce ci pour dire que j’ai rarement eu autant de plaisir intellectuel à lire un tel auteur qui se penche gravement, mais sans s’apitoyer sur son sort, sur son pays, le Mexique, au sujet duquel il apporte des informations vraiment nouvelles et pertinentes. J’ajoute que la traduction est remarquable, pas une fois on ne sent qu’il s’agit d’une version française faite sur l’original espagnol.
Octavio Paz, Le labyrinthe de la solitude, suivi de la critique de la pyramide. Gallimard.
Octavio Paz se demande ce que signifie être d’origine mexicaine, en quoi consiste le méxicanité, ce qui distingue ses tenants des autres, et notamment de la culture étatsunienne, si proche et si dominatrice. IL évoque le pachuco, sorte d’être hybride, qui ne sait pas vraiment ce qu’il veut, flotte entre deux cultures, deux modes de vie, sans jamais chercher à se distinguer des autres, ni au plan vestimentaire ni par d’autres canaux… Et pourtant, il subsiste au fond de lui-même ce sentiment d’appartenance à une culture plus ancienne, conservée à l’état résiduel par des cérémonies venues de temps reculés. Octavio Paz donne des exemple que je ne peux reprendre mais qui plaident éloquemment en faveur de ses analyses.
Il quitte les avenues si encombrées du folklore latino-américain pour atteindre les sommets de la métaphysique où il donne toute sa mesure. Il considère que le Mexique est un fragment, une séquelle, quelque chose qui a été arraché à un tout, ce qui contribue à freiner sa créativité. Le Mexique, du fait de son histoire et de sa situation géographique, s’est endormi, nous dit-on, pendant plus d’un siècle. Son appartenance à la culture occidentale ne va pas de soi. Et surtout, il a une longue frontière avec les USA. Et suite au fossé économique qui sépare les deux pays, l’un nageant dans l’opulence, l’autre exportant tous ses pauvres de l’autre côté de la frontière, les USA passent pour un eldorado…
L’auteur partage avec nous ses expériences vécues à Los Angeles pendant deux années pleines, ce qui lui permettra d’étudier de près le comportement de ces Mexicains exilés, nommés les pachucos qui s’assimilent sur certains points tout en restant fidèles à d’autres traditions sur d’autres. Ces évolutions volontaires ou involontaires vont façonner leur histoire. Pour l’auteur, l’homme n’a pas une histoire, il est l’histoire.
Un peu plus loin, l’auteur expose le caractère masqué du Mexicain qui ne badine pas avec la conception très spéciale qu’il se fait de la virilité, disons plutôt une agressivité maladive. On lit des conceptions troublantes, notamment si quelqu’un se confie à vous, s’ouvre à vous de ses problèmes ou de ses difficultés, il abdique eo ipso sa dignité, il devient un être fissuré (sic) un peu comme une femme dont l’anatomie a prévu qu’elle serait toujours fissurée (sic). Cette analyse sans concession de caractères que je ne puis reprendre dans le détail est assez sidérante pour un Européen. Je me console en me disant que ces descriptions ne touchent que les classes populaires dont l’absence de finesse et d’éducation est responsable d’un tel comportement. En une phrase, on a l’impression d’être en présence d’une société où les échanges sont très violents.. Je me souviens d’avoir lu un jour un article d’un journaliste mexicain qui dénonçait déjà cette violence extrême en écrivant ceci : le mari bat sa femme qui bat sa bonne qui bat son fils qui bat son chien…
Le traitement réservé aux femmes se détermine par un profond mépris puisque dans le rapport sexuel, elle est censée être passive… Il en est de même pour la relation à l’homosexualité : là encore, la même distinction est opérée entre l’actif et le passif, suivie d’une avalanche d’injures dégradantes.
Ce que Octavio Paz écrit sur la Fête (avec un F majuscule), sur la mort, sur le lien indéfectible de cette dernière avec sa sœur jumelle, la mort, ne se lit nulle part ailleurs. Paz observe dans ses plus infimes détails le besoin de fête du Mexicain qui ne renoncera pour rien au monde, à la commémoration de toutes ces fêtes qui lui permettent d’oublier sa propre misère et ses peines. Aucun petit village, aucun hameau ne renoncera à rendre hommage durant tout une journée à son saint patron qu’il entend fêter comme il convient, au besoin en s’adressant à la trésorerie fédérale pour obtenir des subsides. Les gens sortent de chez eux et d’eux-mêmes, contrairement à leur tendance naturelle de rester chacun chez soi, loin les uns des autres, repliés sur eux-mêmes. Crier, chanter, boire, rire et autres permettent aussi d’oublier, de s’amuser. Les pauvres jouent aux riches, les puissants jouent aux indigents, les magistrats singent les accusés, etc…
Et puis, nous lisons aussi ces sagaces réflexions sur la mort. On a l’impression que le Mexicain qui vocifère, s’exprime joyeusement et bruyamment, s’enflamme rapidement au point de dégainer son couteau pour un oui ou un non, ce même homme a une relation complexe à la fête qui s’exprime dans cette phrase de l’auteur : la nuit de la fête est aussi la nuit du deuil… Cela me semble un peu exagéré, mais Paz l’a bien écrit ainsi.
En fait, l’auteur veut montrer que l’altérité de la culture ou de la civilisation du Mexique n’est pas synonyme d’infériorité et n’induit pas l’idée d’une qualité moindre. C’est un différent moyen ou système de développement caractérisant les deux Mexiques auxquels nous avalons affaire. Malheureusement, l’importation de statistiques occidentales ou européennes appliquées autoritairement aux réalités mexicaines faussent les résultats, même dans des domaines portant sur la consommation de blé, de maïs et de riz… En Europe, aux États Unis ou au Japon, cela ne signifie pas la même chose. Appliquer de tels critères dans un contexte extra-occidental nous mène à l’erreur. Voici un passage qui illustre bien la pensée de l’auteur :
Su l’homme est double ou triple, les civilisations le sont tout autant, et les sociétés. Chaque peuple soutient un dialogue avec un interlocuteur invisible qui est simultanément lui-même er l’autre, son double. Son double ? Quel est l’original et quel est son fantôme ?
Je propose de conclure par une autre citation très suggestive dans ce contexte :
Opposition entre le travail et le jeu divin : l’homme travaille pour manger (kol ‘amal ha adam le-fihou, Proverbes de Salomon), les dieux jouent pour créer…