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ans Magnus Enzensberger, Bouquet d’anecdotes. Opus incertum. Gallimard

Hans Magnus Enzensberger, Bouquet d’anecdotes. Opus incertum. Gallimard

 

Voici un ouvrage plutôt inclassable mais qui captive son lecteur qui espère trouver le sens de ce récit de souvenirs… Nous avons affaire à un personnage énigmatique, Monsieur M. dont l’existence est déroulée depuis sa naissance en 1929 jusqu’au milieu des  années cinquante… En fait, c’est l’histoire tumultueuse de ce grand pays d’Europe qu’est l’Allemagne. Son histoire au cours du XXe siècle est captivante mais aussi douloureuse. Ce sont les deux bornes entre lesquelles le récit de cette personne mystérieuse navigue.  Tout y est : la vie personnelle du personnage central, les retombées de la guerre sur sa vie personnelle. Mais il est toujours malaisé de résumer l’œuvre ou de la caractériser plus précisément. C’est une vie banale somme toute, et pourtant pas tout à fait.

Hans Magnus Enzensberger, Bouquet d’anecdotes. Opus incertum. Gallimard

 

 

 

Un mot aussi du sous titre latin qui veut dire œuvre ou appareil irrégulier, presque fait de bric et de broc. C’est-à-dire n’allant pas jusqu’au bout, empruntant à droite et à gauche des éléments disparates… Ce qui veut dire que le narrateur oscille entre ce que Goethe appelait en parlant de ses propres Mémoires : Dichtung und Wahrheit (Poésie et vérité). Il y a des faits mais il y a aussi des récits raccourcis ou occultés. Ce n’est pas un récit historique, c’est une histoire vécue, une approche de l’univers à l’aune d’un exemplaire d’une vie humaine.

 

On pourrait parler d’une biographie qui dissimule plus qu’elle ne révèle. On y parle aussi, assurément, des grands événements politiques de l’époque ; n’oublions pas que la date de naissance de M. est l’an 1929 et va jusqu’au milieu des années cinquante… Il y eut la terrible crise financière de 1929 et surtout la Seconde Guerre mondiale. Les crimes des Nazis sont évoqués mais sans s’y appesantir. On évoque aussi les défilés et les manifestations dont les Nazis étaient si friands. On évoque aussi l’attentat contre Heydrich,  les séjours des chefs nazis dans leur cité de prédilection, Nuremberg, les troubles du calme de cette petite ville allemande, arrachée à l’anonymat par le parti au pouvoir. Des allusions au racisme du régime dont furent victimes les Juifs et les Noirs sont disséminées dans le récit. On parle aussi des terribles caricatures présentant les Juifs comme des personnages obèses, fumant de gros cigares  et affublés d’un nez protubérant.

 

Des allusions encore plus fines renvoient aux déportations de familles juives qui disparaissent du jour au lendemain, sans laisser de traces. La seule piste connue des uns ou des autres, c’est l’est, principalement la Pologne. Et au-delà, c’est la nuit et le brouillard. Dans cet environnement angoissant, on suit la vie d’un être humain, né en Allemagne, face à l’histoire tumultueuse de son pays, entre 1929 et les années cinquante. Un monde nouveau, celui de l’après-guerre, constitue la principale partie du livre.

 

Er en effet, j’ai choisi une citation qui s’est imposée à moi après une lecture attentive de ce qui précédait ; cet extrait  brosse le portrait d’un symbole de ce régime militariste et autoritaire qui caractérise parfaitement la dureté des relations sociales et les tenions au sein de la société :

 

Des autres élèves, M. ne se souvient que de la quarante et unième tête C’est Eeiff, le professeur principal, avec sa raie dans ses cheveux gris fer. Lèvres errées et tête levée bien droite. Il fixe un monde lointain fait de justice où personne ne flemmarde, ne triche, ne ment ni ne crache il n’y avait que de ce qui compte en ce bas  monde, qu’il n’avait aucune idée,  le sévère, l’incorruptible, le pauvre Monsieur Reiff.

 

Tout est dit ici, je crois : M décrit un monde totalitaire, tyrannique où la pensée revêt un uniforme strictement, aucune place pour l’amour, la fantaisie, l’humour, la liberté. L’individu n’a aucun libre arbitre puisqu’il est interdit de s’écarter de la norme  imposée d’en haut. On voit défiler devant soi trois régimes politiques allemands ; le IIe Reich de Guillaume II, la République de Weimar et la République Fédérale. Évidemment, conformément à ce qu’il écrit en tête de ce Bouquet d’anecdotes, l’auteur opère un choix et fait un tri. Il ne ment que par omission …

 

Difficile de rendre compte de tout ce qui fait l’intérêt de ce livre. Peut-être devrais-je ajouter quelques scènes sur l’Allemagne hitlérienne. Ainsi, cette visite d’officiers de la Waffen SS dans la classe de M pour susciter des vocations et recruter du sang neuf. Mais l’aventure tourne court puisque les instructeurs ne proposaient rien d’autre qu’à apprendre à lancer des grenades offensives ou à creuser des trous, susceptibles de stopper  l’avancée  des chars ennemis sur le sol allemand. Mais l’auteur souligne qu’à l’automne 1944, alors que tout était perdu, Goebbels était bien le seul à brandir l’étendard de la victoire finale. Au fur et à mesure que l’effondrement de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de semaines ou de jours,  des uniformes de la Wehrmacht furent distribués à des adolescents qui y flottaient. En outre, fabriqués à partir de copeaux de bois, ces tenues étaient r èches  rugueuses, difficiles à porter…

 

Pour finit, je cite ces professeurs, ces savatas, cette élite qui avaient tous épousé la cause nazie avec  zèle et qui, à l’heure de la défaite,  tentèrent de se  faire oublier ou de se racheter en arguant de  la terreur qui régnait alors et sévissait contre les opposants… Et cela montre la profondeur meurtrissure de l’histoire allemande récente.

 

HME est le sosie de M. Nous avons affaire à une mini autobiographie. Écrite avec talent et traduite avec soin par un grand germaniste dont je fus l’un des étudiants à l’Institut d’études germaniques du Grand Palais. Et auquel je rends hommage respectueusement.

 

 

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