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Chantal Regnier, Paul de Tarse. Cerf, 2023.

Chantal Regnier, Paul de Tarse. Cerf, 2023.

Chantal Regnier, Paul de Tarse. Cerf, 2023.

 

Cette sympathique collection abritée aux éditions du Cerf à Paris accueille les personnages bibliques les plus en vue et les plus inclassables : c’est évidemment le cas, en l’occurrence, avec saint Paul, né Saül de Tarse et disciple dans sa jeunesse du sage rabbi Gamliel. Cet homme hors du commun, qui passa du statut de persécuteur à celui de serviteur du Christ, défie les spécialistes les plus confirmés. Ce  qui explique que le premier chapitre du présent ouvrage s’interroge sur les différentes approches du sujet :  laquelle adopter pour mener à bien un tel travail...

 

Le personnage, car c’en est un, se présentait parfois sous l’étiquette de prophète-thaumaturge, de philosophe, d’érudit helléniste,  de citoyen romain,  de prédicateur, etc... Au fil des siècles, d’aucuns ont vu en lui le bras armé du Christ, celui qui diffusa la doctrine de son maître aux quatre coins du monde habité. Je comprends les hésitations de l’auteure qui passe en revue toutes les possibilités ou presque toutes...

 

Les  citriques modernes ont même proposé de nommer la religion catholique telle qu’elle se présente à nous de nos jours, non plus le christianisme mais le paulisme. Et dans sa Généalogie de la morale, Nietzsche a écrit en substance ; il n’y a jamais eu qu’un chrétien et il est meurt sur la croix. Certains chercheurs ont opposé la douceur, la mansuétude de Jésus aux emportements et à la rigueur de Paul. Il y a une certaine marge entre le fanatisme du zélé serviteur  et la bienveillance de Jésus.

 

Les regards internes, ceux des chrétiens, sont aussi variés que les regards venus de l’extérieur. Mais ce qui est intéressant, ce sont les approches juives de ce phénomène : un homme entraîné pour défendre la foi de ses maîtres et de ses pères et qui fait défection, et va rejoindre ceux qu’il était censé combattre. Ceci explique probablement l’hostilité quasi générale des milieux juifs à son égard, alors que l’on se montrait plus conciliant envers Jésus... C’est notamment le cas du livre de Leo Baeck (ob. 1956), L’Évangile en tant que document de l’histoire religieuse du judaïsme, publié en 2002 chez Bayard Presse, sous le titre suivant, l’Évangile, une source juive.

 

Dans son livre publié comme une bouteille à la mer, car la publication eut lieu en 1938, à moins d’un an de la catastrophe du judaïsme européen, l’auteur recommande de ne pas passer sans s’arrêter devant Jésus dont le message a eu un retentissement universel et a changé le cours de l’Histoire. Baeck montre par des raisonnements philologiques que les buts ultimes de Jésus n’étaient pas ceux de Paul qui s’est révélé être un destructeur fanatique de sa religion de naissance. Le jugement de Baeck est fondé si l’on tient compte de l’antinomisme forcené de l’Apôtre des gentils. On peut s’en référer à l’Épitre aux Galates où Paul s’indigne qu’on ait rétabli le rite de la circoncision... Selon lui, tout rite juif devenait superfétatoire depuis Jésus qui  s’était sacrifié pour libérer toute l’humanité du joug de la Loi.

 

Cette notion hébraïque du jourg de la Tora (les mitswot)  était jadis l’enjeu d’un grand débat : ol Tora, par opposition au joug de l’empire (romain) (ol malkhout). Le Talmud donne le choix : faut-il préférer les obligations de l’oppresseur romain aux commandements de la Tora ? Pour Paul, la réponse est claire : il faut rejeter le joug des mitswot, ce que les adeptes de la synagogue ont évidemment refusé...

 

Les Actes des Apôtres consacrent une large part aux nombreux voyages de Paul. D’autres sources tentent de faire le point sur ses activités littéraires : des treize lettres qu’on lui attribue généralement, sept émanent de lui, indubitablement. Son activité se situe approximativement entre l’an 50 et la fin du premier siècle de notre ère. Mais la paucité des documents à notre disposition empêche de parler d’une biographie : il naquit à Tarse, capitale de la province romaine de Cilicie, située dans la Turquie actuelle. Paul  est à cheval sur trois univers culturels : hébraïque, grec er romain. Sa famille est bien intégrée socialement. Lorsque survint la vision qui changea sa vie et même l’avenir de l’humanité, il se rend à Damas pour y persécuter la communauté chrétienne naissante. De persécuteur il devint adorateur de Jésus et de sa foi. Cette vision relève donc du surnaturel, même si l’on a tenté de lui conférer les traits de la vraisemblance. Mais qui peut n jurer ? Un tel évènement relève de la mystique et présuppose une modification de la conscience du sujet. Rien ne permet de l’infirmer ni de le confirmer. Nature profondément religieuse, Paul se sent pétrifié par ce q qu’il  voit et   ce qui lui arrive...  Cette vision de Damas marque un tournant dans la vie de cet homme auquel même un savant aussi strict que Ernest Renan a consacré deux volumes dans ses Origines du christianisme...

 

En ralliant le camp  chrétien, Paul n’avait pas conscience de commettre un acte de trahison, mais plutôt d’approfondir son sentiment  religieux au profit de sa religion de naissance : le Christ était, à ses yeux, l’Envoyé céleste que sa nation attendait depuis si longtemps.  Le Christ était le Messie et sa religion était la vérité du judaïsme, de son judaïsme. Mais cette démarche et cette approche n’ont pas réussi à rallier la majorité du peuple à sa cause.. En Histoire, la victoire ne signifie pas qu’on a la vérité avec soi, ni qu’on ne l’a pas parce que l’on a perdu. Le vrai miracle c’est que cela a fonctionné : combien de visionnaires ont affirmé avoir vu  le Christ et nul n’en a tenu compte... . Avec Paul, cela a marché. Au fond, ce qui est arrivé à Paul sur le chemin de Damas est une autoproduction de son propre imaginaire, cela dit sans offenser les adeptes de la foi chrétienne.

 

Paul n’a jamais caché ses origines juives ou plutôt hébraïques. Il les revendique même, à maintes reprises. Il peut se tromper mais sa sincérité n’est pas remise en cause.

 

Que dire pour conclure ? Tout d’abord que sans l’activisme de Paul, promu au rang d’Apôtre (mais a-t-il connu le Christ ?), le christianisme serait resté une secte judéenne parmi tant d’autres... Paul a su faire du peuple ; il a mieux analysé la situation historique mieux que ses contemporains talmudistes. Il a compris que cet énorme empire romain n’tait qu’un colosse aux pieds d’argile, dénué d’âme et incapable de lutter victorieusement  contre cette nouvelle religion qui s’ »tendait à vue d’œil... Face à cette dynamique religieuse, les futurs  maîtres du judaïsme rabbinique ont opté pour la thèse du (shéérit Ysraël, les restes d’Israël. On ne veut pas s’étendre, on ne veut pas s’ouvrir aux quatre vents, en sacrifiant la pureté de notre principe et de notre croyance en un Dieu, créateur des cieux et de la terre. A d’autres de catéchiser ces millions d’hommes et de femmes de l’empire romain en déliquescence.

 

Paul, devenu saint Paul a fait le calcul inverse. Avait-il raison de le faire ? La question attend toujours une réponse définitive depuis deux millénaires...

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