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Danny Trom, L’état de l’exil. Israël, les juifs, l’Europe. PUF, 2023.

Danny Trom, L’état de l’exil. Israël, les juifs, l’Europe. PUF, 2023.

Danny Trom, L’état de l’exil. Israël, les juifs, l’Europe. PUF, 2023.

 

Ce livre s’intéresse à une problématique controversée qui se situe au cœur même de la présence d’Israël dans le monde, et ce de tous les points de vues. Cet état fait partie d’une région dont les anciens édifices socio-politiques ont presque intégralement disparu, alors qu’Israël a résisté (certes, sous une forme très accidentée) aux rudes épreuves imposées par l’évolution historique... A lui seul, Israël constitue une espèce à part puisqu’il renoue avec une vie nationale après deux millénaires d’absence et d’exil...  Accompagnés d’une volonté indomptable de revenir, de survivre. La liturgie en atteste largement depuis les débuts de cette histoire unique en son genre. Et l’expression purement politique n’a suivi que tardivement.

 

Ce dernier terme résume à lui seul toute la spécificité  de l’état d’Israël. Échoué dans toutes les  mers du monde (dixit Salomon Maïmon) , le vaisseau juif a resurgi et réclame son droit d’exister. Pour justifier ses droits à rependre sa terre ancestrale, il ne disposait ni d’un titre juridique de propreté, ni d’une armée puissante, capable de conquérir par la force le territoire, un peu comme Josué, parti à la conquête du pays de Canaan, selon le livre biblique éponyme.

 

J’ai dit plus haut que la notion d’exil revêt une importance centrale dans toute cette affaire qui consiste à normaliser l’État d’Israël en tant que l’état-nation du peuple juif : deux millénaires de vie exilique n’ont pas sérieusement affaibli la nostalgie de la Terre sainte : même du fin fond de l’exil, l’élite juive a sécrété une idéologie qui l’a légitimée dans ses droits, même s’il ne faut pas perdre de vue que cette aspiration légitime est contestée depuis sa renaissance ou sa  création.

 

C’est dans sa Bible que le peuple d’Israël trouve la justification de son existence, tout en sachant que la fiabilité historique du témoignage biblique est sujette à caution. Mais l’idéologie qu’elle a sécrétée contre vents et marées n’a pas été neutralisée et le terme qui la désigne est justement le terme que les textes religieux lui ont donné au temps jadis : Sion, le sionisme. La tradition ajoute à ce syntagme le nom de Jérusalem : Tsiyon wiroushaalyim.

 

Gershom Scholem que l’auteur cite, notamment dans sa controverse avec Rosenzweig concernant le statut et la vocation de la langue hébraïque,  avait publié un article au sujet de ces deux catégories fondamentales de la tradition juive, que sont la Révélation et l’exil. C’est ce qui marque la spécificité du judaïsme dans l’histoire religieuse universelle. Aucun autre peuple n’a la même relation à l’historiographie.  Déjà Flavius Joseph signalait que le mode de gouvernement et d’organisation politiques de ce peuple relevaient de Dieu, d’où le terme inconnu jusqu’ici de théocratie, à savoir le gouvernement d’un pays par Dieu.

 

L’État d’Israël n’a pas réussi à se doter d’une constitution digne de ce nom, comme la France ou les USA, par exemple. C’est le thème du premier chapitre de ce livre. L’organisation tribale des pays ou des clans ignorait la notion d’état-nation, et c’est pourtant l’appellation adoptée ou choisie pour Israël, état-nation des juifs. Il fallut se mettre en quête d’un principe juridique ; ce fut la loi du retour permettant à tous ceux pouvant apporter la preuve de leur judéité ou appartenance au peuple d’Israël, de se revendiquer de cette dénomination ou appartenance. Et là, on retrouve la trace des idées européennes et des juifs de ce continent.. Mais comment faire, face à un exil qui a duré deux millénaires et face aux dangers menaçant cet état qui se dit à la fois juif et démocratique... N’est ce pas là un oxymore, selon certains ?

 

Une remarque concernant une attitude juive face à la notion d’État, dans le sens d’une organisation étatique concrète : le cas de Franz Rosenzweig, qui, tout  en encourageant et en disant son admiration pour les fermes agricoles du Ychouv, ne voulait pas d’un État (avec une police, une armée, une administration, etc...)  pour les juifs car il craignait que la logique interne d’une telle institution ne conduise même cet État des juifs à la rivalité et à la guerre avec  d’autres états, désireux d’affirmer leur souveraineté, au détriment d’états voisins... Il est vrai que la position de Rosenzweig s’explique par des considérations d’ordre personnel mais aussi politiques : Il avait rédigé sa thèse d’habilitation sur Hegel et l’État. Quand il put enfin rentrer chez lui à Cassel après la fin de la Grande Guerre, ce n’était plus le même homme. Il avait vécu de près, en tant qu’assistant sanitaire, les horreurs du champ de bataille.  Il changea donc dans sa thèse l’exergue, c’est-à-dire  les vers de Hölderlin qui affichaient sa tristesse et son découragement, contrairement à son optimisme du début... .

 

L’Europe chrétienne avait cédé à des tendances suicidaires qui l’ont transformée en un vaste cimetière. Il ne souhaitait donc pas voir émerger un État en tant que tel, conformément à la réalité européenne  pour les juifs, qui serait comparable aux autres, au motif que cela pourrait entrainer une confrontation armée avec d’autres états... Avait-il raison ? Je ne le pense pas car un simple regard sur la situation ambiante montre que les états sont des monstres froids... Cet état, menacé de toutes parts, aurait simplement disparu sous les coups de boutoir de ses voisins qui se sont juré sa perte dès sa naissance.

 

Et c’est là toute l’acuité de la question : comment parler d’un État-nation pour les juifs du monde entier quand il existe dans cette même structure étatique près de 20% de gens qui vivent ici tout en aspirant à une autre forme d’état, susceptible de mieux défendre leurs intérêts , notamment nationaux? C’est la même contradiction théorique qui touche le couple état juif et démocratique. Je ne conteste pas une seule seconde la sincérité des dirigeants de l’état d’Israël d’y parvenir, je me demande simplement comment. Et j’ai bien relevé la remarque de l’auteur qui dit, en substance, qu’on peut s’appliquer à la pratique, même si l’on est en retard d’une théorie ou au plan des idées... C’est un fait qui frappe souvent quand on est confronté à la réalité israélienne à l’état brut (sans jeu de mots). C’est à se demander comment cet état tient ; la comparaison avec l’enfant qui fait une chute à vélo car il cesse de pédaler en se demandant comment il tient en équilibre, est édifiante. Et c’est bien elle qui permet à cet état d’avancer et d’échapper à la paralysie...

 

Dans un état comme l’état d’Israël où une loi non écrite dispose que les juifs y seront toujours majoritaires, sinon c’est l’état binational qui s’agite, comment faire pour qu’un arabo-palestinien s’s’y ente aussi chez lui ?

 

Dans l’esprit des pères-fondateurs du mouvement sioniste, cette structure étatique devait remplir une mission : celle d’une puissance étendant sa main protectrice sur une population juive sans défense, menacée de pogromes incessants, tant à l’est qu’à l’ouest de l’Europe.

 

La première qualification qui s’impose à l’esprit est celle d’un état-refuge, un espace au sein duquel les juifs ne seront plus persécutés pour ce qu’ils sont. Même le titre du manifeste de Herzl (Der Judenstaat, l’Etat des juifs et non l’état juif) milite dans ce sens. Comme l’Europe était gouvernée par des états réputés indépendants, dotés d’une administration moderne pour maintenir l’ordre public, il suffisait de les imiter pour normaliser la vie quotidienne des juifs. Sauf erreur de ma part, c’est bien ce que dit l’auteur, dès le premières lignes de son ouvrage :

 

Ce livre soutient que l’État d’I Israël est une doublure moderne de l’état-natation  européen dont il signale les limites  en même temps qu’il pointe vers la réorganisation de l’ordre international de l’après-guerre.

 

Un seul exemple parmi des milliers d’autres : les exactions dont les juifs furent victimes dans l’empire tsariste, de la part des cosaques. Asile et protection : Telles étaient les motivations des premiers théoriciens du sionisme. Rien d’autre, semble-t-il.

 

Galout et Gola, deux termes issus de la même racine hébraïque pour désigner la dispersion ou l’exil, et s’établir, faute de mieux, dans la vie exilique. Galut définit qu’on est loin de chez soi, de son lieu de naissance et Gola désigne cet état exilique. Les deux termes signent l’aspect accidenté, brisé de la vie et de l’histoire juives.

 

Le Zohar, la Bible du mouvement kabbalistique associe cet état imparfait, ce désordre international auquel est condamné le peuple juif, à un mal qui frappe la divinité elle-même ! C’est dire combien les philosophes et les mystiques juifs ont ressenti douloureusement, au plus profond  de leur être, ce drame. On y lit que tant que le peuple d’Israël souffre dans la Galouta (terme araméen), la divinité (la Présence divine : shékhinta) l’accompagne dans son exil et souffre avec lui... Et comme la résilience n’est jamais loin dans les textes traditionnels juifs, le Zohar ajoute que la divinité n’en conserve pas moins le pouvoir de rétablir la paix et la vie, la renaissance.

 

Vie et ou renaissance : ces deux vocables sont redoutables si on les applique à l’état d’Israël. De qui est-il l’héritier ? De qui est-il la résurgence, le surgissement ? Contrairement aux images d’Épinal, il n’est pas l’héritier du royaume de Judée ou d’Israël puisque sa structure émane des idées politiques de l’Europe du XIXe siècle finissant. Et pourtant, cette normalisation n’en est pas vraiment une puisqu’elle ne contient pas tout ce que le terme d’Israël englobe, à savoir la totalité  des juifs vivant en diaspora et qui se retrouve enfermée, pour ainsi dire, dans un concept politique assez réducteur : une entité étatique qui n’a en fin de compte, pratiquement rien à voir avec ce qui déterminait la politique du judaïsme antique. Personne ne peut soutenir que l’État d’’Israël revêt la moindre caractéristique de l’ancien royaume juif avec son temple, ses  prêtres et son culte sacrificiel... C’est une création entièrement nouvelle qui ne s’en prévaut pas moins pour autant d’un noble et prestigieux passé hébraïque et juif... On est loin de la notion usuelle d’état-national. Israël,  en tant qu’état, est bien plus que cela. Certes, cela  ne justifie pas pleinement les expressions dithyrambiques de la littéraire prophétique accompagnant généralement les cérémonies-anniversaires de cet état. L’expression liturgique qui s’est finalement imposée est prudente puisqu’elle bénit l’état d’Israël en tant que prémisses de l’éclosion de notre rédemption. Le mot guéoula désigne généralement le ssalut religieux, donc la Rédemption. Mais la question initiale reste posée : de qui sommes nous les héritiers ? Toutes proportions gardées, cela fait penser à la division de l’Allemagne nazie en eux états dont chacun insistait pour se dire l’héritier de l’Allemagne démocratique et libérale, loin de l’autre Allemagne fasciste et militariste. Le second Reich de Guillaume II ou l’Allemagne démocratique de Konrad Adenauer

 

J’ai  conscience d’avoir fait long, bien qu’ il me reste encore beaucoup de choses à dire. J’aime tant ce livre car il est très complet, très méticuleux et s’occupe de choses qui sont au cœur des problématiques actuelles. Et il m’a appris tant de choses ! J’en retire que contrairement à bien des appréciations, même celles de l’illustre David Ben Gourion en personne, cet état ne sera jamais comme les autres. Son histoire se confond même parfois avec une martyrologie

 

Théodore Mommsen, grand connaisseur allemand de la Rome antique, avait expliqué dans une formule célèbre qu’Israël n’pas est apparu seul sur la scène de l’histoire mondiale ; mais était accompagné de son frère jumeau, l’antisémitisme...

 

 

 

 

 

Danny Trom, L’état de l’exil. Israël, les juifs, l’Europe. PUF, 2023.

 

Ce livre s’intéresse à une problématique controversée qui se situe au cœur même de la présence d’Israël dans le monde, et ce de tous les points de vues. Cet état fait partie d’une région dont les anciens édifices socio-politiques ont presque intégralement disparu, alors qu’Israël a résisté (certes, sous une forme très accidentée) aux rudes épreuves imposées par l’évolution historique... A lui seul, Israël constitue une espèce à part puisqu’il renoue avec une vie nationale après deux millénaires d’absence et d’exil...  Accompagnés d’une volonté indomptable de revenir, de survivre. La liturgie en atteste largement depuis les débuts de cette histoire unique en son genre. Et l’expression purement politique n’a suivi que tardivement.

 

Ce dernier terme résume à lui seul toute la spécificité  de l’état d’Israël. Échoué dans toutes les  mers du monde (dixit Salomon Maïmon) , le vaisseau juif a resurgi et réclame son droit d’exister. Pour justifier ses droits à rependre sa terre ancestrale, il ne disposait ni d’un titre juridique de propreté, ni d’une armée puissante, capable de conquérir par la force le territoire, un peu comme Josué, parti à la conquête du pays de Canaan, selon le livre biblique éponyme.

 

J’ai dit plus haut que la notion d’exil revêt une importance centrale dans toute cette affaire qui consiste à normaliser l’État d’Israël en tant que l’état-nation du peuple juif : deux millénaires de vie exilique n’ont pas sérieusement affaibli la nostalgie de la Terre sainte : même du fin fond de l’exil, l’élite juive a sécrété une idéologie qui l’a légitimée dans ses droits, même s’il ne faut pas perdre de vue que cette aspiration légitime est contestée depuis sa renaissance ou sa  création.

 

C’est dans sa Bible que le peuple d’Israël trouve la justification de son existence, tout en sachant que la fiabilité historique du témoignage biblique est sujette à caution. Mais l’idéologie qu’elle a sécrétée contre vents et marées n’a pas été neutralisée et le terme qui la désigne est justement le terme que les textes religieux lui ont donné au temps jadis : Sion, le sionisme. La tradition ajoute à ce syntagme le nom de Jérusalem : Tsiyon wiroushaalyim.

 

Gershom Scholem que l’auteur cite, notamment dans sa controverse avec Rosenzweig concernant le statut et la vocation de la langue hébraïque,  avait publié un article au sujet de ces deux catégories fondamentales de la tradition juive, que sont la Révélation et l’exil. C’est ce qui marque la spécificité du judaïsme dans l’histoire religieuse universelle. Aucun autre peuple n’a la même relation à l’historiographie.  Déjà Flavius Joseph signalait que le mode de gouvernement et d’organisation politiques de ce peuple relevaient de Dieu, d’où le terme inconnu jusqu’ici de théocratie, à savoir le gouvernement d’un pays par Dieu.

 

L’État d’Israël n’a pas réussi à se doter d’une constitution digne de ce nom, comme la France ou les USA, par exemple. C’est le thème du premier chapitre de ce livre. L’organisation tribale des pays ou des clans ignorait la notion d’état-nation, et c’est pourtant l’appellation adoptée ou choisie pour Israël, état-nation des juifs. Il fallut se mettre en quête d’un principe juridique ; ce fut la loi du retour permettant à tous ceux pouvant apporter la preuve de leur judéité ou appartenance au peuple d’Israël, de se revendiquer de cette dénomination ou appartenance. Et là, on retrouve la trace des idées européennes et des juifs de ce continent.. Mais comment faire, face à un exil qui a duré deux millénaires et face aux dangers menaçant cet état qui se dit à la fois juif et démocratique... N’est ce pas là un oxymore, selon certains ?

 

Une remarque concernant une attitude juive face à la notion d’État, dans le sens d’une organisation étatique concrète : le cas de Franz Rosenzweig, qui, tout  en encourageant et en disant son admiration pour les fermes agricoles du Ychouv, ne voulait pas d’un État (avec une police, une armée, une administration, etc...)  pour les juifs car il craignait que la logique interne d’une telle institution ne conduise même cet État des juifs à la rivalité et à la guerre avec  d’autres états, désireux d’affirmer leur souveraineté, au détriment d’états voisins... Il est vrai que la position de Rosenzweig s’explique par des considérations d’ordre personnel mais aussi politiques : Il avait rédigé sa thèse d’habilitation sur Hegel et l’État. Quand il put enfin rentrer chez lui à Cassel après la fin de la Grande Guerre, ce n’était plus le même homme. Il avait vécu de près, en tant qu’assistant sanitaire, les horreurs du champ de bataille.  Il changea donc dans sa thèse l’exergue, c’est-à-dire  les vers de Hölderlin qui affichaient sa tristesse et son découragement, contrairement à son optimisme du début... .

 

L’Europe chrétienne avait cédé à des tendances suicidaires qui l’ont transformée en un vaste cimetière. Il ne souhaitait donc pas voir émerger un État en tant que tel, conformément à la réalité européenne  pour les juifs, qui serait comparable aux autres, au motif que cela pourrait entrainer une confrontation armée avec d’autres états... Avait-il raison ? Je ne le pense pas car un simple regard sur la situation ambiante montre que les états sont des monstres froids... Cet état, menacé de toutes parts, aurait simplement disparu sous les coups de boutoir de ses voisins qui se sont juré sa perte dès sa naissance.

 

Et c’est là toute l’acuité de la question : comment parler d’un État-nation pour les juifs du monde entier quand il existe dans cette même structure étatique près de 20% de gens qui vivent ici tout en aspirant à une autre forme d’état, susceptible de mieux défendre leurs intérêts , notamment nationaux? C’est la même contradiction théorique qui touche le couple état juif et démocratique. Je ne conteste pas une seule seconde la sincérité des dirigeants de l’état d’Israël d’y parvenir, je me demande simplement comment. Et j’ai bien relevé la remarque de l’auteur qui dit, en substance, qu’on peut s’appliquer à la pratique, même si l’on est en retard d’une théorie ou au plan des idées... C’est un fait qui frappe souvent quand on est confronté à la réalité israélienne à l’état brut (sans jeu de mots). C’est à se demander comment cet état tient ; la comparaison avec l’enfant qui fait une chute à vélo car il cesse de pédaler en se demandant comment il tient en équilibre, est édifiante. Et c’est bien elle qui permet à cet état d’avancer et d’échapper à la paralysie...

 

Dans un état comme l’état d’Israël où une loi non écrite dispose que les juifs y seront toujours majoritaires, sinon c’est l’état binational qui s’agite, comment faire pour qu’un arabo-palestinien s’s’y ente aussi chez lui ?

 

Dans l’esprit des pères-fondateurs du mouvement sioniste, cette structure étatique devait remplir une mission : celle d’une puissance étendant sa main protectrice sur une population juive sans défense, menacée de pogromes incessants, tant à l’est qu’à l’ouest de l’Europe.

 

La première qualification qui s’impose à l’esprit est celle d’un état-refuge, un espace au sein duquel les juifs ne seront plus persécutés pour ce qu’ils sont. Même le titre du manifeste de Herzl (Der Judenstaat, l’Etat des juifs et non l’état juif) milite dans ce sens. Comme l’Europe était gouvernée par des états réputés indépendants, dotés d’une administration moderne pour maintenir l’ordre public, il suffisait de les imiter pour normaliser la vie quotidienne des juifs. Sauf erreur de ma part, c’est bien ce que dit l’auteur, dès le premières lignes de son ouvrage :

 

Ce livre soutient que l’État d’I Israël est une doublure moderne de l’état-natation  européen dont il signale les limites  en même temps qu’il pointe vers la réorganisation de l’ordre international de l’après-guerre.

 

Un seul exemple parmi des milliers d’autres : les exactions dont les juifs furent victimes dans l’empire tsariste, de la part des cosaques. Asile et protection : Telles étaient les motivations des premiers théoriciens du sionisme. Rien d’autre, semble-t-il.

 

Galout et Gola, deux termes issus de la même racine hébraïque pour désigner la dispersion ou l’exil, et s’établir, faute de mieux, dans la vie exilique. Galut définit qu’on est loin de chez soi, de son lieu de naissance et Gola désigne cet état exilique. Les deux termes signent l’aspect accidenté, brisé de la vie et de l’histoire juives.

 

Le Zohar, la Bible du mouvement kabbalistique associe cet état imparfait, ce désordre international auquel est condamné le peuple juif, à un mal qui frappe la divinité elle-même ! C’est dire combien les philosophes et les mystiques juifs ont ressenti douloureusement, au plus profond  de leur être, ce drame. On y lit que tant que le peuple d’Israël souffre dans la Galouta (terme araméen), la divinité (la Présence divine : shékhinta) l’accompagne dans son exil et souffre avec lui... Et comme la résilience n’est jamais loin dans les textes traditionnels juifs, le Zohar ajoute que la divinité n’en conserve pas moins le pouvoir de rétablir la paix et la vie, la renaissance.

 

Vie et ou renaissance : ces deux vocables sont redoutables si on les applique à l’état d’Israël. De qui est-il l’héritier ? De qui est-il la résurgence, le surgissement ? Contrairement aux images d’Épinal, il n’est pas l’héritier du royaume de Judée ou d’Israël puisque sa structure émane des idées politiques de l’Europe du XIXe siècle finissant. Et pourtant, cette normalisation n’en est pas vraiment une puisqu’elle ne contient pas tout ce que le terme d’Israël englobe, à savoir la totalité  des juifs vivant en diaspora et qui se retrouve enfermée, pour ainsi dire, dans un concept politique assez réducteur : une entité étatique qui n’a en fin de compte, pratiquement rien à voir avec ce qui déterminait la politique du judaïsme antique. Personne ne peut soutenir que l’État d’’Israël revêt la moindre caractéristique de l’ancien royaume juif avec son temple, ses  prêtres et son culte sacrificiel... C’est une création entièrement nouvelle qui ne s’en prévaut pas moins pour autant d’un noble et prestigieux passé hébraïque et juif... On est loin de la notion usuelle d’état-national. Israël,  en tant qu’état, est bien plus que cela. Certes, cela  ne justifie pas pleinement les expressions dithyrambiques de la littéraire prophétique accompagnant généralement les cérémonies-anniversaires de cet état. L’expression liturgique qui s’est finalement imposée est prudente puisqu’elle bénit l’état d’Israël en tant que prémisses de l’éclosion de notre rédemption. Le mot guéoula désigne généralement le ssalut religieux, donc la Rédemption. Mais la question initiale reste posée : de qui sommes nous les héritiers ? Toutes proportions gardées, cela fait penser à la division de l’Allemagne nazie en eux états dont chacun insistait pour se dire l’héritier de l’Allemagne démocratique et libérale, loin de l’autre Allemagne fasciste et militariste. Le second Reich de Guillaume II ou l’Allemagne démocratique de Konrad Adenauer

 

J’ai  conscience d’avoir fait long, bien qu’ il me reste encore beaucoup de choses à dire. J’aime tant ce livre car il est très complet, très méticuleux et s’occupe de choses qui sont au cœur des problématiques actuelles. Et il m’a appris tant de choses ! J’en retire que contrairement à bien des appréciations, même celles de l’illustre David Ben Gourion en personne, cet état ne sera jamais comme les autres. Son histoire se confond même parfois avec une martyrologie

 

Théodore Mommsen, grand connaisseur allemand de la Rome antique, avait expliqué dans une formule célèbre qu’Israël n’pas est apparu seul sur la scène de l’histoire mondiale ; mais était accompagné de son frère jumeau, l’antisémitisme...

 

 

 

 

 

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