Stéphanie Perez, Le gardien de Téhéran. Plon, 2023
Stéphanie Perez, Le gardien de Téhéran. Plon, 2023
Ce livre est à la fois un roman et un document un peu romancé. Son arrière-plan historique est constitué par le violent changement de régime du pays, allant de la folie des grandeurs du Chah d’Iran à la démence religieuse non moins dangereuse des ayatollahs de Téhéran. Le schéma est simple : autour de la personne d’un adolescent issu d’un milieu miséreux mais qui va avoir un rôle qui le dépasse, bien qu’il ait pu maitriser une situation peu commune et qui le dépasse : face à la boulimie acheteuse de l’impératrice d’Iran qui s’est mis en tête d’ouvrir un musée des Arts contemporains à Téhéran, le jeune homme qui a accompagné l’achat de toutes ces œuvres d’art, se trouve propulsé à une toute autre fonction, en raison des circonstances dramatiques qui s’abattent sur la capitale de l’ancien empire perse : sauver toutes ces œuvres d’art acquises au prix fort auprès des collectionneurs du monde ancien, que les nouveaux maîtres entendent détruire afin de faire oublier à tout jamais les réformes en vue d’un rapprochement avec la civilisation européenne ou l’ensemble du monde occidental. C’est le plus violent choc des cultures de tous les temps.
C’est la partie la plus riche de ce premier roman, écrit par une journaliste. On y lit la description froide de deux sociétés qui se font face mais qui ne résident pas dans le même pays : l’écrasante margoté des pauvres vivent dans des taudis, face à une fine couche de gens très riches qui vont se nourrir des mets et des spiritueux les plus fins, commandés à Paris ou à d’autres capitales européennes. A côté de ce grand luxe, le petit peuple, loin des séduisantes mœurs européennes, végète dans sa misère, tout en haïssant secrètement cette inégalité et cette iniquité sociales. Un tel fossé entre les différentes couches sociales ne pouvait pas perdurer indéfiniment. La pression des couches défavorisées a considérablement profité aux associations religieuses chiites car aucune autre ouverture ne s’offrait, promettant un avenir meilleur. Ce fut la grande erreur commise par le camp du chah et par le Chah lui-même. N’offrir aucune perspective, aucun espoir, si ténu fuît-il à une jeunesse désœuvrée et désespérée.
Cette européanisation à marche forcée de tout un peuple ancré dans d’autres traditions socioreligieuses d’un autre temps condamnait à l’insuccès toutes les mesures prises. Qu’avait le peuple à faire d’un musée de l’Art contemporain alors qu’il manquait de tout, y compris du strict nécessaire pour mener une existence décente ?
Le chah d’Iran a fait preuve d’une étrange cécité ou alors on lui a caché la vérité sur l’état réel de son royaume. Il suffit de parler de son couronnement impérial pour comprendre que cela ne pouvait durer. Le summum de la démesure est atteint dans la description de ce luxe insolent et insupportable entourant la cérémonie du couronnement. Sans oublier lac commémoration de l’empire perse... Finalement, la voie choisie s’est révélée la plus mauvaise : comment bâtir une société acceptable avec tant de pauvres et tant de gens excessivement riches ? Cela ne pouvait plus durer. Et de surcroit, l’impératrice voulait avoir dans sa capitale ce fameux musée d’Art contemporain que seuls quelques Iraniens éduqués à la mode occidentale pouvaient apprécier. Je ne reprends pas ici la description intégrale du constat condamnant cet empire à la désintégration à plus ou moins brève échéance.
Ce jeune homme frêle, issu de milieux défavorisés, symbolise cette asymétrie et cette hubris ; il va se trouver, seul, face à l’extrémisme du clergé iranien qui veut une république islamique et exige le bannissement de toutes les valeurs occidentales... Je pense, par exemple, à l’ambassade iranienne à Paris : après sa conversion au régime des ayatollahs, il y a quelques décennies, les diplomates en poste jetèrent aux égouts les vins les plus recherchés et les plus fins, découverts dans les caves de leur chancellerie. L’idée ne leur est même pas venue de les vendre ou de les échanger contre autre chose ! Il fallait éradiquer toute influence occidentale... sans pitié.
Tout le roman relate cette confrontation entre un mouvement culturel décalé car non recherché par la population, et les représentants décomplexés d’une barbarie affichée et qui dit son nom. L’histoire du musée sert d’écrin à cette lutte à mort entre une civilisation occidentale qu’on tente d’imposer dans un milieu non préparé et un sentiment religieux profondément enraciné dans l’âme populaire. Il fallait rechercher une voie médiane, ce qui n’était guuère facile.
Mais pour faire tenir son rédime, fondé sur la peur et la coercition, le chah avait fondé une police secrète, la savak (terme qui désigne le réseau), tristement célèbre et précédée d’une réputation de férocité à l’égard des opposants clandestins ou affichés. La crainte était si grande dans l’opinion que les gens ont inventé la remarque suivante : chaque fois que trois Iraniens se rassemblent, l’un des trois était membre de la Savak; la question était de découvrir lequel... A elle seule, cette histoire résume mieux que tout autre rapport les réelles bases du régime du chah...
Dans ses nouvelles fonctions de chauffeur du musée, le jeune homme qui est le héros du roman apprend que l’une de ses amies a été arrêtée par la Savak ; elle ne se montrait pas très prudente et manifestait publiquement son opposition au régime, lequel ne voulait souffrir aucune opposition.
Tant d’évènements sont venus se surajouter à cette affaire passionnante du musée d’Art contemporain de Téhéran. Notamment, l’innovation imaginée par le vieil imam qui a fini par faire chuter l’arrogant et sulfureux dictateur : l’envoi de cassettes clandestines enregistrant les prêches enflammés du fondateur de la République islamique... Le verbe a eu raison du glaive.
Très beau roman, excellente lecture pour les vacances...