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Thomas d’Aquin. L’interprète du désir.  Textes traduits et présentés par Jean-Pierre Torell. Le Cerf, 2023

Thomas d’Aquin. L’interprète du désir.  Textes traduits et présentés par Jean-Pierre Torell. Le Cerf, 2023

Thomas d’Aquin. L’interprète du désir.  Textes traduits et présentés par Jean-Pierre Torell. Le Cerf, 2023

 

Il existe parfois des confusions qualifiées de très productives, et c’est ce qui m’est arrivé avec ce beau petit livre qui m’a permis de lire directement la teneur de sermons du grand docteur de l’église catholique. Et cette lecture m’a démontré une fois de plus la communauté de destin, de source et d’idéaux reliant, en dépit de tout, l’église à la synagogue. Tout d’abord, un fait que le traducteur-présentateur souligne d’emblée : le très grand nombre de références scripturaires, comparées aux citations de philosophes...

 

Il est question ici de la place centrale dévolue à la prière, présentée comme l’interprète du désir. Le grand théologien commente presque mot à mot la teneur du Notre Père... qui ressemble de manière frappante au Kaddish hébraïque. Quoi de plus normal. La nouvelle religion a puisé dans son propre fonds, son propre passé pour donner forme et contenu à sa nouvelle foi...

 

Les qualités inhérentes à la prière selon l’Aquinate,  ne diffèrent guère  de celles préconisées par le Talmud. Le prophète Isaïe (VIIIe siècle avant notre ère) déplore l’absence de sincérité des orants en disant que leur cœur est absent de leurs paroles... Dans ce même  sillage, le Talmud a frappé une formule araméenne suivante : le miséricordieux  préfère le cœur (Rahamanh libba ba’é). Pratiquement toutes les qualités d’une prière digne de ce nom sont empruntées soit à la Bible hébraïque (sans omettre les Évangiles) soit aux commentaires judéo-chrétiens dont Thomas avait connaissance en latin.

Les vertus cardinales de cette anthropologie religieuse sont identiques à celles prônées à la même époque dans la littérature rabbinique : sincérité, foi totale, humilité, abandon confiant à Dieu, ordre, etc... Thomas établait aussi une hiérarchie entre les bienfaits célestes infiniment plus élevés que les bienfaits terrestres qu’il convient de développer de son mieux. Pour sa part, la littérature talmud recommande ceci : en matière de sacré il faut augmenter et ne jamais diminuer (ba-kodésh ma’alim we lo moridim. Enfin, comme le préconisera Maimonide dans son Guide des égarés, la prière doit être fervente et désintéressée. C’est ce  qu’insinue Thomas en établissant une relation entre la prière et l’interprète du désir... L’orant demande à Dieu de le protéger ou de lui donner ce qu’il lui manque et dont il a grand besoin...Mais tout comme le Talmud qui disqualifie la prière intéressée, ((tefillat ‘iyyoun). Prier dans un but précis.

 

Thomas explique aussi que l’Éternel n‘exauce jamais des demandes inconvenantes ou exorbitantes. La prière juive souligne aussi ce point ; Dieu exauce nos demandes pour le bien (michélot lobbénu le-tova...)

 

On lit une allusion probable aux philosophes Maimonide et Averroès qui ont disserté sur la science divine qui se constitue de manière différente selon qu’elle se prédique de Dieu ou de l’homme. L’homme dépend de son objet alors que la science divine est productrice d’être. Ces philosophes avaient du mal à attribuer à Dieu la connaissance des particuliers et limitaient sa science aux espèces qui présentent l’avantage de ne pas muter, ce qui irait à l’encontre du dogme théologique, de l’impassibilité divine. Mais ici Thomas parle plus en philosophe qu’en chrétien car pour lui, Dieu est au dessus de ces catégories qui ne touchent que la pensée humaine... Il est probable que Thomas avait eu connaissance de cette controverse philosophique autour de la science et de la providence divines en milieu arabe et juif. Pour lui, Dieu sait tout de tout et son essence transcende les critiques philosophiques.

 

Mais dans l’expression «es aux cieux» Thomas veut voir les saints, ceux qui incarnent les idéaux d’un univers indestructible, celui de l’incorruptibilité du ciel  d’Aristote...

 

Thomas cite autant l’ancien Testament que le Nouveau. Il parle de la source d’inspiration spirituelle commune aux deux en orthographiant le Saint-Esprit de cette manière. La premier  bienfait de cette inspiration n’est autre que le don de science. Dans les toutes premières bénédictions de la prière statutaire juive (les dix-huit bénédictions), le priant remercie Dieu pour le don de science (hohén ha da(at).

 

Ces sermons ici traduits permettent aussi de voir le recours massif de Thomas à l’interprétation allégorique des Écritures. C’est une véritable spiritualisation des Écritures. Je n’ai rencontré, sauf inattention de ma part, qu’ une seule référence à un verset du Pentateuque, même si Thomas n’omet pas de parler d’observance des commandements... Lesquels ? Peut-être ceux relevant de  la transformation de l’homme qui ne s’occupe que des besoins de spiritualité.

 

Je ne peux pas parler de toute la richesse de ce livre. Mais il m’apparait que Thomas le théologien est rejoint, pour ainsi dire, par Thomas le prédicateur qui exprime clairement son propos.

 

Cela me donne aussi l’occasion de voir comment l’exégèse chrétienne de la Bible n’en utilise pas moins une quantité d’idées juives appliquées au texte biblique dans un tout autre esprit. Pourtant, en lisant lentement toutes ces exégèses, j’ai réalisé la proximité de nos deux attitudes : une lecture chrétienne et une lecture juive des mêmes textes. Au fond, c’est le Midrash qui est dans le vrai. Le Midrash permet la fusion presque parfaite des deux imaginaires.

 

C’est bien pour cela que l’esprit du midrash sature aussi l’exégèse des 24 livres bibliques.. Et je comprends aussi mieux l’attitude de Franz Rosenzweig dans son Etoile de la rédemption. Dieu, dit-il, a besoin de deux ouvriers...

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