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Jean Starobinski, Montaigne en mouvement. Tel chez Gallimard, 2023.

Jean Starobinski, Montaigne en mouvement. Tel chez Gallimard, 2023.

Jean Starobinski, Montaigne en mouvement. Tel chez Gallimard, 2023.

 

Qui ne se souvient des temps heureux de son adolescence où le professeur de littérature française se livrait à des explications instructives et passionnantes des Essais de Montaigne ! On a tous aimé Michel Montaigne et pourtant nos guides et nos commentateurs n’allaient pas très loin dans leur approche critique. En clair, quand je tiens ce beau livre dans mes mains et que je me plonge dans sa lecture, je me rends immédiatement compte que nous n’avions pas pénétré en profondeur dans la pensée de Montaigne... C’est tout d’abord le principal mérite de cette somme, due à l’un des meilleurs connaisseurs suisses de la littérature française, j’ai nommé Jean Starobinski. Montaigne n’est pas le seul écrivain français que l’illustre critique genevois a bien voulu éclairer de ses lumières. On pense notamment à Jean-Jacques Rousseau, lequel se présentait en citoyen de Genève. C’est déjà un lien important entre l’auteur et son exigeant lecteur...

 

Dès les premières pages de ce beau livre, on rencontre cet esprit critique qui sied tant à cet humaniste qui hait l’abstraction  autant que le mensonge. Car c’est bien cela qui frappe le lecteur : Montaigne se gausse de ses contemporains qui prennent, comme il le dit, l’apparence pour l’essence. Gigantesque  erreur ! Et nul n’est épargné, pas même le monarque qui abuse copieusement de la crédulité des hommes, ni les factions religieuses (sic) qui s’entredéchirent pour des idéaux qui se situent très loin de la vérité. L’esprit critique est donc l’arme principale que Montaigne met à contribution pour parvenir à une vision plus conforme à la vérité. Certains n’hésitent pas à s lancer dans des croisades sanglantes, où les effusions de sang ne concernent pas que leurs ennemis mais aussi eux-mêmes.

 

De tels propos expliquent un peu le choix par l’auteur du titre de ses réflexions : les Essais. Nous avons affaire à un penseur qui combat le dogme sous tous ses aspects. Cette méfiance vis-à-vis des apparences et des vérités autoproclamées rapprochent Montaigne (1533-1592) de William Shakespeare ( 1564-1616) qui déplorait lui aussi que tout soit masque, fard, tromperie, etc... Le monde entier joue la comédie, le monde entier est un théâtre.  Même la sagesse des prudents et la science des savants sont illusoires.. Et Montaigne de résumer son propos en une phrase d’une extrême densité ; Ils prennent l’apparence pour l’essence. On ne peut pas commettre faute plus grave, on ne peut pas se fourvoyer plus que cela. Vous passez à côté de la vérité et cela peut servir à justifier tous les crimes, juste pour imposer son opinion aux autres. On sent ici la dénonciation des guerres de religions ; nous nous souvenons du placardage des thèses de Martin Luther  en 1517. Années au cours desquelles Montaigne a tenté de raisonner les controversistes et les belligérants, mais sans parvenir à des résultats tangibles. Qu’on en juge : L’ardeur guerrière des monarques, la propagande des factions religieuses s’accommodent fort bien de cet aveuglement. Il leur faut des hommes crédules, faciles à se laisser gagner par l’opinion et prêts ensuite à verser pour elle leur sang et celui des autres.

 

Une telle déclaration frappe par sa lucidité et posséde même des résonnances  contemporaines. Montaigne qualifie tout ce qui se passe sous ses yeux, d’imposture. On affiche des convictions qui n‘en sont pas, sans même reculer devant le martyr. Montaigne recommande la désillusion à tous les niveaux car tout, autour de nous, n’est qu’illusion et tromperie. Ce scepticisme est peut-être excessif. Mais sommes nous capables d’aiguiser à ce point notre esprit critique et de nous libérer du paraître et accéder enfin à l’être véritable ?

 

C’est toute une philosophie de la vie que s’attache à produire Montaigne dans ce volumineux ouvrage, plaçant au sommet de cet édifice éthique, la sincérité et tout  ce que cette vertu implique dans ses présupposés : la générosité, la loyauté, la vérité , l’équité, etc...

 

J’ai vainement cherché un aspect majeur de ce livre pouvant donner une idée complète du personnage et de son œuvre . Ne l’ayant pas trouvé, j’ai jeté mon dévolu sur une citation de son biographe. La voici :

... ce que cherche Montaigne, c’est une place dans ce monde, et qui serait vraiment sienne, à la différence des autres hommes qui se laissent entraîner par leur imagination, la présomption, la vanité, s’absentent d’eux-mêmes, font désertion pour conquérir un rang, ou une richesse imaginaire. Montaigne reprend à son compte cette argumentation, s’inclut lui-même dans le nous collectif de la remontrance...

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