Du tikkun à la Takkanah : variations sur la correction par l’homme de quelques décrets divis...
Dans mon précédent papier paru hier soir dans HForum, je n’ai pas eu le temps de parler de ce rapprochement à la fois lexical et théologique : la main de l’homme peur compléter, voire corriger ce qui a été prescrit par la loi divine. C’est-à-dire la Tora écrite. Et la proximité des solennités juives d’automne me pousse à la faire car elles offrent la meilleure illustration possible de mon propos : alors que les décrets divins ont presque force de loi, il existe encore un espace pour l’intervention humaine afin de sauver la situation dans la mesure où elle peut encore l’être.
Cette forme de théurgie repose principalement sur la prière, l’oraison, le devenir de l’homme qui peut mettre ce temps à profit pour revenir dans le droit chemin. Le message est ici très clair : le fatalisme n’est pas pris en compte dans cette religion juive qui a banni les châtiments éternels dans l’au de-là et suscite pour nous un Dieu sensible à la prière de l’homme, désireux de le maintenir en vie et le préserver de tout mal. Mais cela heurte les philosophes qui, comme Maimonide, répugnent à envisager l’existence d’une divinité qui n’est pas immuable puisqu’elle se montre sensible aux mutations de la nature humaine. C’est l’une des clés expliquant que ce sont les kabbalistes qui ont gagné contre les philosophes la bataille autour du livre de prière. C’est aussi ce qui sépare le Dieu d’Abraham du Dieu d’Aristote lequel ne croyait qu’au Premier Moteur du livre VIII de la Physique... Cette dichotomie a traversé toute la philosophie occidentale et connut une résurgence inattendue chez un penseur danois, anti-hégélien en diable, le fameux Sören Kierkegaard. Il a laissé un monument de la pitié de l’époque dans son fameux Crainte et tremblement où il examine, comme dans un midrash protestant, la ligature d’Isaac. En ce sens, il rejoint la liturgie du Nouvel An et du jour des propitiations, où l’on porte au paroxysme cette foi aveugle du patriarche Abraham, prêt à tout pour complaire à la volonté divine laquelle n’a jamais vraiment demandé un tel sacrifice humain. Les passages talmudiques le prouvent parfaitement. Leur traitement de l’épisode tragique de Gédéon et de sa fille en est un bon exemple ...
On se trompe quand on affirme que la divinité exige de telles pratiques alors qu’elle garantit à l’homme bonheur, longue vie et prospérité. Les liturgistes judéo-hébrasques ont insisté sur la nature évolutive de la divinité qui passe de la rigueur à la bonté, de la dureté implacable du jugement à la grâce dispensatrice de bienfaits. Chacune de ses prières fondamentales met l’accent sur la vie et sur la volonté divine de la préserver. Je renvoie à l’a prière mélékh hafets ba-hayyim (un roi qui désire et recherche la vie).
Noua savons donc affaire à un Dieu qui abat la barrière du fatum, qui écoute les louanges qui lui sont adressées dans et par les prières. Et contrairement à l’opinion des philosophes-théologiens qui tiennent à son éternelle décision, change, transforme la faute en pardon et le verdict en acte d’amour pour sa créature. C’est ainsi que nous passons du tikkoun olam à la takkana rabbinique. C’est-à-dire qu’on change de dimensions et de proportions. L’homme est un microcosme qui abrite en lui, en format réduit, la grande mécanique de l’univers. Et son action peut se mesurer à celle de Dieu. Il peut obtenir le pardon des fautes commises et suspendre les calamités qui menacent de fondre sur les pécheurs.
Je trouve qu’on n’approfondit pas assez la portée de la prière durant ces redoutables journées de Tichri. Notamment leur valeur universaliste. Quand le peuple d’Israël prie le Dieu de ses ancêtres, il ne prie pas que pour lui mais joint dans ses prières le genre humain dans sa totalité. Mer reviennent en mémoire au moins deux exemples qui vont dans ce sens, mais, en réalité, il y ‘en a tant d’autres : on s’adresse à Dieu pour qu’aucune femme ne perde le fruit de ses entrailles ( shélo tappil isha et péri bitnah) ou encore : donne Ô Seigneur du grrain au semeur et du pain au mangeur (ten zéra’ la-zor éah we-léhém la ockhel
Dans ces deux prières universalistes, pas une fois le nom d’Israël n’est mentionné. Ce qui réduit à néant l’accusation d’un soi-disant égoïsme juif. La même chose vaut en ce qui concerne les prières pour la tombée de la pluie : la famine peut sévir partout, partant, prier pour la pluie touche toutes les régions, tous les pays ; quant la famine, quand elle s’abat sur la terre, elle peut être une bénédiction mais aussi une malédiction.
Et dans les deux cas, la main de l’homme intervient. En gros, ceci signifie que le destin peut changer et que l’avenir n’est inscrit nulle part, une fois pour toutes ; il dépend aussi de l’homme qui a le pouvoir de promulguer des changements bénéfiques. C’est cette dialectique qui fait que les prières de ces journées de Tichri est indémodable, est toujours d’actualité. C’est le prix que le peuple d’Israël doit acquitter pour justifier sa nature de peuple messianique.
Du tikkun à la Takkanah : variations sur la correction par l’homme de quelques décrets divis...
Dans mon précédent papier paru hier soir dans HForum, je n’ai pas eu le temps de parler de ce rapprochement à la fois lexical et théologique : la main de l’homme peur compléter, voire corriger ce qui a été prescrit par la loi divine. C’est-à-dire la Tora écrite. Et la proximité des solennités juives d’automne me pousse à la faire car elles offrent la meilleure illustration possible de mon propos : alors que les décrets divins ont presque force de loi, il existe encore un espace pour l’intervention humaine afin de sauver la situation dans la mesure où elle peut encore l’être.
Cette forme de théurgie repose principalement sur la prière, l’oraison, le devenir de l’homme qui peut mettre ce temps à profit pour revenir dans le droit chemin. Le message est ici très clair : le fatalisme n’est pas pris en compte dans cette religion juive qui a banni les châtiments éternels dans l’au de-là et suscite pour nous un Dieu sensible à la prière de l’homme, désireux de le maintenir en vie et le préserver de tout mal. Mais cela heurte les philosophes qui, comme Maimonide, répugnent à envisager l’existence d’une divinité qui n’est pas immuable puisqu’elle se montre sensible aux mutations de la nature humaine. C’est l’une des clés expliquant que ce sont les kabbalistes qui ont gagné contre les philosophes la bataille autour du livre de prière. C’est aussi ce qui sépare le Dieu d’Abraham du Dieu d’Aristote lequel ne croyait qu’au Premier Moteur du livre VIII de la Physique... Cette dichotomie a traversé toute la philosophie occidentale et connut une résurgence inattendue chez un penseur danois, anti-hégélien en diable, le fameux Sören Kierkegaard. Il a laissé un monument de la pitié de l’époque dans son fameux Crainte et tremblement où il examine, comme dans un midrash protestant, la ligature d’Isaac. En ce sens, il rejoint la liturgie du Nouvel An et du jour des propitiations, où l’on porte au paroxysme cette foi aveugle du patriarche Abraham, prêt à tout pour complaire à la volonté divine laquelle n’a jamais vraiment demandé un tel sacrifice humain. Les passages talmudiques le prouvent parfaitement. Leur traitement de l’épisode tragique de Gédéon et de sa fille en est un bon exemple ...
On se trompe quand on affirme que la divinité exige de telles pratiques alors qu’elle garantit à l’homme bonheur, longue vie et prospérité. Les liturgistes judéo-hébrasques ont insisté sur la nature évolutive de la divinité qui passe de la rigueur à la bonté, de la dureté implacable du jugement à la grâce dispensatrice de bienfaits. Chacune de ses prières fondamentales met l’accent sur la vie et sur la volonté divine de la préserver. Je renvoie à l’a prière mélékh hafets ba-hayyim (un roi qui désire et recherche la vie).
Noua savons donc affaire à un Dieu qui abat la barrière du fatum, qui écoute les louanges qui lui sont adressées dans et par les prières. Et contrairement à l’opinion des philosophes-théologiens qui tiennent à son éternelle décision, change, transforme la faute en pardon et le verdict en acte d’amour pour sa créature. C’est ainsi que nous passons du tikkoun olam à la takkana rabbinique. C’est-à-dire qu’on change de dimensions et de proportions. L’homme est un microcosme qui abrite en lui, en format réduit, la grande mécanique de l’univers. Et son action peut se mesurer à celle de Dieu. Il peut obtenir le pardon des fautes commises et suspendre les calamités qui menacent de fondre sur les pécheurs.
Je trouve qu’on n’approfondit pas assez la portée de la prière durant ces redoutables journées de Tichri. Notamment leur valeur universaliste. Quand le peuple d’Israël prie le Dieu de ses ancêtres, il ne prie pas que pour lui mais joint dans ses prières le genre humain dans sa totalité. Mer reviennent en mémoire au moins deux exemples qui vont dans ce sens, mais, en réalité, il y ‘en a tant d’autres : on s’adresse à Dieu pour qu’aucune femme ne perde le fruit de ses entrailles ( shélo tappil isha et péri bitnah) ou encore : donne Ô Seigneur du grrain au semeur et du pain au mangeur (ten zéra’ la-zor éah we-léhém la ockhel
Dans ces deux prières universalistes, pas une fois le nom d’Israël n’est mentionné. Ce qui réduit à néant l’accusation d’un soi-disant égoïsme juif. La même chose vaut en ce qui concerne les prières pour la tombée de la pluie : la famine peut sévir partout, partant, prier pour la pluie touche toutes les régions, tous les pays ; quant la famine, quand elle s’abat sur la terre, elle peut être une bénédiction mais aussi une malédiction.
Et dans les deux cas, la main de l’homme intervient. En gros, ceci signifie que le destin peut changer et que l’avenir n’est inscrit nulle part, une fois pour toutes ; il dépend aussi de l’homme qui a le pouvoir de promulguer des changements bénéfiques. C’est cette dialectique qui fait que les prières de ces journées de Tichri est indémodable, est toujours d’actualité. C’est le prix que le peuple d’Israël doit acquitter pour justifier sa nature de peuple messianique.