LE DÉCHIREMENT : LETTRES D’ALGÉRIE ET DU MAROC 1953-1958 (PARIS, FAYARD, 2008)
C’est une aubaine que de pouvoir lire de nouveau Jérôme Monod. Il est rare que, recevant un livre (avec tant d’autres), j’en prépare le compte rendu dès le lendemain après-midi, après une lecture fort attentive, jusque tard dans la nuit. Croyez moi, quand vous prenez ce livre en main et que vous lisez les lettres de ce jeune appelé du contingent, quittant ses parents à 22 ans pour accomplir son devoir de conscrit en Algérie et ensuite au Maroc, deux pays en proie aux affres de l’indépendance, vous ne reposez l’ouvrage qu’après l’avoir dévoré d’une seule traite. Mais pourquoi donc ?
Plusieurs raisons à ce véritable engouement : d’abord, le Président Monod parle de deux pays qui me touchent, même si j’était un bébé aux années que couvre son livre. Natif d’Agadir, chassé de cette ville à peine âgé de 8 ans à la suite du tremblement de terre qui la ravagea, mes parents émigrèrent dans une Algérie encore française pour se fixer définitivement à Paris, peu de temps après.
Mais cela n’explique pas tout. Il me semble que toute l’œuvre de l’auteur est sous tendue par les exigences d’une éthique protestante qui m’a toujours séduit et que je devine très proche de l’éthique juive. (il y a d’ailleurs une expression malheureuse à ce sujet, avec le verbe cramer… Mais je ne détecte aucune intention désagréable). Avec son obsession de l’équité, son questionnement sans fin, son attachement à ses parents et la déférente affection qu’il leur témoigne (il faut voir l’extrême tendresse qui unit cette fratrie lorsque le jeune appelé, loin des siens, souhaite un bon anniversaire à sa jeune sœur, félicite son frère aîné pour son succès aux examen, rend hommage à ses parents et à leur amour), sa haine de la guerre, son tempérament mesuré (il se méfie de l’ambition dévorante de certains camardes de l’ENA) etc… Toutes ces raisons rendent ce livre extrêmement attachant.
LE DÉCHIREMENT : LETTRES D’ALGÉRIE ET DU MAROC 1953-1958 (PARIS, FAYARD, 2008)
C’est une aubaine que de pouvoir lire de nouveau Jérôme Monod. Il est rare que, recevant un livre (avec tant d’autres), j’en prépare le compte rendu dès le lendemain après-midi, après une lecture fort attentive, jusque tard dans la nuit. Croyez moi, quand vous prenez ce livre en main et que vous lisez les lettres de ce jeune appelé du contingent, quittant ses parents à 22 ans pour accomplir son devoir de conscrit en Algérie et ensuite au Maroc, deux pays en proie aux affres de l’indépendance, vous ne reposez l’ouvrage qu’après l’avoir dévoré d’une seule traite. Mais pourquoi donc ?
Plusieurs raisons à ce véritable engouement : d’abord, le Président Monod parle de deux pays qui me touchent, même si j’était un bébé aux années que couvre son livre. Natif d’Agadir, chassé de cette ville à peine âgé de 8 ans à la suite du tremblement de terre qui la ravagea, mes parents émigrèrent dans une Algérie encore française pour se fixer définitivement à Paris, peu de temps après.
Mais cela n’explique pas tout. Il me semble que toute l’œuvre de l’auteur est sous tendue par les exigences d’une éthique protestante qui m’a toujours séduit et que je devine très proche de l’éthique juive. (il y a d’ailleurs une expression malheureuse à ce sujet, avec le verbe cramer… Mais je ne détecte aucune intention désagréable). Avec son obsession de l’équité, son questionnement sans fin, son attachement à ses parents et la déférente affection qu’il leur témoigne (il faut voir l’extrême tendresse qui unit cette fratrie lorsque le jeune appelé, loin des siens, souhaite un bon anniversaire à sa jeune sœur, félicite son frère aîné pour son succès aux examen, rend hommage à ses parents et à leur amour), sa haine de la guerre, son tempérament mesuré (il se méfie de l’ambition dévorante de certains camardes de l’ENA) etc… Toutes ces raisons rendent ce livre extrêmement attachant.
Dans le contexte de l’attachement au protestantisme, je note que partout où il arrive, le jeune Monod s’enquiert de la présence de ses coreligionnaires et va voir le pasteur local. Cela me rappelle des souvenirs : mon père me disait que chaque fois qu’il arrivait dans une ville étrangère, il se renseignait sur la présence juive dans cette cité… Réaction typique de minoritaire ethnique ou religieux. P 41 (en haut) M. Monod évoque fugitivement la situation de convertis kabyles au protestantisme qui sont tenus de cacher leur nouvelle dénomination religieuse, par crainte de représailles de leurs familles…
Et puis, il y a la tonalité générale de ce témoignage, car c’en est un : je rappelle qu’il s’agit de lettres envoyées d’une Algérie en proie à des troubles sanglants et d’un Maroc guère plus calme peu avant la fin du protectorat en 1954… Et toutes ces lettres ont été reproduites nec varietur…
Nul ne savait que ce haut fonctionnaire, membre de la Cour des comptes, homme de confiance du président Jacques Chirac et futur président d’une multinationale super puissante, était un vrai humaniste, un intellectuel de grande culture, amoureux de livres qu’il lit entre deux exercices de manœuvres où son régiment de marche évolue avec les chars d’assaut parfois, même, avec l’appui de l’aviation. D’où lui vient cet amour pour la littérature américaine (Dos Passos, Norman Mailer etc…) ? Il réclame sans cesse des livres en anglais. Même la littérature allemande n’est pas oubliée puisqu’il lit le magnifique roman de Thomas Mann, Doktor Faustus qui valut à son auteur le prix Nobel de littérature. Il lit tout. Même l’Ancien Testament et commence bizarrement par le livre de Daniel, pièce classique de toute apocalypse juive… Vous rendez vous compte ? Il demande même une introduction à l’étude comparative des langues indo-européennes, alors que matin, midi et soir, on lui apprend le maniement des armes lourdes, les techniques de ratissage, du renseignement, de l’assaut etc…
Je découvre avec ravissement qu’il lit le meilleur livre de mon auteur préféré, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, (Paris, 1883) d’Ernest Renan. Et dans ces lettres on ne peut méconnaître cette avidité d’apprendre, de connaître et de réfléchir. Il est vrai que cela le changeait de l’école des cadres de Cherchell ou des blagues de ses camardes de chambrée… Ce jeune homme de bonne famille se retrouve, dès le début avec des viticulteurs de l’Hérault et des ouvriers de la région parisienne… Je comprends mieux à présent qu’il ait si bien appris à connaître la nature humaine : cela lui a permis de gérer les ambitions assez médiocres du petit personnel politique. Mais justement, maintenant qu’on connaît mieux Jérôme Monon, j’avoue ne pas comprendre qu’il ait pu passer tant de temps à s’occuper de ces petites choses politiques. Mais enfin…
En Algérie, le jeune homme découvre le racisme, la ségrégation qui dit son nom, sans complexe, la frustration des musulmans qui ne vont pas tarder à basculer du côté du FLN et surtout les atrocités du terrorisme aveugle. Il évoque le cas de sept suspects fusillés et exposés dans le souk pour l’exemple… Il évoque aussi les dizaines de cadres musulmans égorgés par leurs «frères» nationalistes qui les considéraient comme des traites à la Cause, celle de l’indépendance.
Si l’Algérie ne quitte l’empire qu’en 1962, le Maroc secoue le joug du Protectorat dès le début des années cinquante et en août 1954 de graves troubles éclatent à Port Lyautey : et là le jeune lieutenant découvre, à bout portant, ce que signifie vraiment une opération de maintien de l’ordre…
Rappelé en Algérie, il évoque tout ce qu’il y a vécu. Et au début d’avril 1957, peu avant de rejoindre le Gouvernement Général à Alger, il écrit ceci à son frère aîné Laurent : je suis dégoûté de cette guerre, de ses conséquences et de ses exigences, je crois qu’avec les moyens employés, notre cause devient injuste. (p 119) Dans cette même lettre, il relate la chose la plus horrible : une petite fille, blessé dans l’action, agonise dans ses bras alors qu’il la conduit à l’hôpital avec son chauffeur dans sa jeep…
Bref, un homme étonnant que ce Monsieur Monod. Jamais je n’aurais pensé qu’il savait autant de choses, avait autant lu… Connaissant beaucoup d’amis qui ont fait l’ENA et sont devenus préfets ou autres, c’est le seul qui soit aussi atypique Question de générations ?. Encore une retombée de sa foi protestante ?
Peut-être. Ils ont le même engouement pour la Bible que nous.