LES MÉMOIRES DE JACQUES CHIRAC
En feuilletant ces mémoires de Jacques Chirac dont mon ami Jean-Luc Barré s’est occupé, je n’ai pu m’empêché de penser à mon défunt père qui me parlait jadis d’hommes politiques importants que je n’ai connus, moi, que par les livres… Je dis cela pour Jacques Chirac car la jeune génération qui ne le connaîtra vraiment bien que par un savoir livresque puisés aux ouvrages d’histoire sera dans la même situation… Connaître les hommes et leurs idées par les livres exclusivement.
La seconde réflexion a trait au temps : il y a un temps philosophique, un temps médiatique, un temps politique, un temps du travail, un temps des vacances etc… Et il y a le temps des mémoires : au soir de leur vie, les hommes d’Etat, de science ou de culture §et aujourd’hui même de simples journalistes ou amuseurs publics) cherchent légitimement à laisser une trace de leur passage sur terre et livrent leurs témoignages, un peu comme un naufragé jette une bouteille à la mer… Qui sait, un jour, peut-être, quelqu’un trouvera le message et se souviendra, aura une pensée pour l’auteur… C’est un peu comme survivre ou ressusciter… Tous les hommes en ont besoin, c’est un désir qui transcende les siècles ! Même dans les documents religieux les plus marquants, dans la Bible hébraïque par exemple, les prophètes se plaignent parfois d’être intégralement oubliés (nishkahti mi-lév)… Promenez vous dans un cimetière, écoutez les discours lors des commémorations de grands événements nationaux, quel est le message ? Toujours le même : ne nous oubliez pas, ne les oubliez pas.
Partant, quand un homme comme Jacques Chirac se met à publier des mémoires, cette entreprise, ce projet participe de cette volonté : voilà ce que j’ai voulu faire, voilà ce que j’ai vraiment fait, dans cet esprit et rien d’autre… C’est à la fois rassurant et triste car prendre la plume dans ce cas précis, c’est admettre que l’on a chevé son existence et que l’on pense à son testament.
On se défend mal de cette impression d’adieu en parcourant ces quelques pages de Jacques Chirac : bien sûr, il y a les phrases assassines dont raffolent les observateurs superficiels : comment Chirac brocarde Giscard d’Estaing (prétentieux, ampoulé, rancunier, conscient de sa supériorité intellectuelle), Balladur (froid et calculateur, traître à son parti politique) Nicolas Sarkozy (nerveux, dynamique, grand communicateur) etc… Mais ce qui compte en réalité, ce sont les rares rencontres d’être, les communications profondes, par exemple entre Chirac et Mitterrand… Entre ces deux hommes d’Etat il y avait plus d’affinités qu’il n’y paraissait : c’st peut-être l’aspect le plus novateur du livre et qui permet aussi de tirer Chirac qui s’était rarement livré précédemment. Un homme condamné à une hyper activité qui le rassure, contraint de se jeter dans le demain pour ne pas être sans cesse obsédé par la maladie de sa fille, un sujet qu’il évoquait rarement…
Certes, nous n’allons pas lui donner le bon D- sans confession parce qu’il entame son chant du cygne car il y a des aspects plus sombres dans sa vie, notamment politique, et l’extrême dureté avec laquelle il a écarté ceux ou celles qui eurent le malheur de se trouver sur son chemin. Et puis, il y a l’homme qui ne tenait pas ses promesses, même faites à des individus qui lui furent pourtant recommandés par d’éminents hommes d’Eglise… Mais enfin, c’est ainsi.
Et puis, il y a les aléas de l’existence ou plutôt les calculs malveillants. Tout le monde savait que Jacques Chirac faisait paraître son livre cette semaine et voilà que son renvoi devant le tribunal correctionnel coïncide bizarrement avec cette parution…
Etrange, étrange ! La politique devrait être moins cruelle, les hommes moins méchants, et alors la vie sera plus belle.