L’islam radical et le septième art
Les évolutions les plus importantes, les plus déterminantes pour l’avenir du monde et de la civilisation, s’effectuent généralement sans grand bruit. Et quand on en prend conscience, il est généralement trop tard. Pourquoi ? En raison, le plus souvent, de la paresse intellectuelle, des négligences de gouvernements endormis et du leurre de soi-même. L’exemple le plus extraordinaire dans l’histoire européenne récente est assurément la montée du nazisme dans les années trente et les menaces pesant sur l’avenir, que dis-je ? la survie des juifs. Bien que le programme national-socialiste fût des plus clairs (Hitler disant que si la guerre éclatait, il ne laisserait plus un seul juif vivant en Europe…) les dirigeants des communautés juives de l’époque faisaient comme si de rien n’était. Dans sa célèbre autobiographie De Berlin à Jérusalem, Gershom Scholem dénonçait post festum cet aveuglement volontaire.
Ce leurre de soi-même est peut-être de nouveau à l’œuvre de nos jours. Il met en question ce que l’on nomme de plus en plus l’islam radical que l’on semble préférer à intégrisme ou islamisme. Ce sont deux sources concomitantes qui m’ont conduit ce matin à en parler :
a)j’ai lu hier soir la longue interview dans le journal Le Monde (de ce samedi) d’une avocate algérienne, la féministe Wassila T. qui disait son désespoir devant cette montée inexorable de l’islam radical, lequel se manifeste par un recours généralisé des femmes au voile, voire à la burka. Cette femme dit sa foi en la laïcité, en la liberté et en la démocratie, conciliables, selon elle, avec une pratique normale de la religion islamique. Elle ajoute ne pas comprendre les motivations de ces femmes, jeunes et moins jeunes, qui optent «volontairement» pour ce voile qui pourrait, dans certaines conditions, les protéger ou rassurer des hommes inquiets de le corruption des mœurs en ces temps de grande permissivité sexuelle… Une phrase a retenu particulièrement mon attention : en arabe algérien, dit-elle, ne pas être voilée (mahzouba) équivaut à être nue (‘aryana)… Incroyable !
b)Le second élément qui m’a poussé à faire cet article et qui converge vers le premier est un excellent reportage de la chaîne France 24 sur le cinéma égyptien et l’intégrisme. Les personnes interrogées déploraient le déclin de cette industrie cinématographique qui plaçait l’Egypte en tête de tous les pays arabes. Ils soulignaient que le marché saoudien et ces émirats avait tendance à se réduire en raison de la censure et des règles religieuses qui devenaient une véritable digue sur la voie de la créativité cinématographique. Un acteur déplorait que les actrices arabes refusaient désormais des caresses ou des baisers à l’écran en raison du rigorisme religieux prompt à assimiler des scènes d’amour à de la pornographie. Or, sans marché pas de films puisque tout doit être financé. En conclusion, les personnes interroges déploraient la médiocrité ambiante qui contraint à se confiner à des comédies de mauvais goût, dépourvues de toute créativité artistique.
Comment faire pièce à tout cela ? Je doute que cela soit possible, tant le fossé s’est creusé en l’islam et l’occident. Mais je me pose une question : on dit qu’en Occident la psychanalyse a révolutionné les comportements et aidé les gens à mieux connaître leurs pulsions, même les plus secrètes et les plus intimes. Qu’en est-il du statut de la psychanalyse dans les pays arabes ? Est-elle enseignée ou seulement pratiquée dans ces pays ?
Au moment où l’on parle de notre monde comme d’un village planétaire, comment ne pas s’inquiéter de ce divorce des civilisations ? Ce refus par le monde arabo-musulman des valeurs occidentales est largement inquiétant. D’autant que la population musulmane dans les pays d’Europe, à tradition fondamentalement judéo-chrétienne, a tendance à s’accroître…
J’espère que nous ne découvrirons pas que Samuel Huntington avait raison.